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Full text of "Rapport sur les différentes classes de chefs de la Nouvelle-Espagne, sur les lois, les moeurs des habitants, sur les impôts établis avant et depuis la conquête, etc., etc. ... (Inédit)"

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VOYAGES, 



ORIGINAUX 



POUR SERVIR A L HISTOIRE DE LA DECOUVERTE 

DE L'AMÉRIQUE 



IMPniMCniB DK rAIN CT TBimOTy 

ni'M KACINF. , 4, PRif DF. L'ODIÎOX. 



VOYAGES, 



ORIGINAUX 



POL'n SEHVIR A L HISTOIRE DE LA DECOUVERTE 

DE L'AMÉRIQUE, 



PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS EN FRANÇAIS, 



m 



RAPPORT 
SUR ISS DIFFÉRSITTES CZiASSSS DE CHEFS 

DK LA NOUVELLE-ESPAGïfF., 
PAR ALONZO DE ZURITA. 

■ IIBDIT. 



^ 



Pnrifg, 



ARTHUS BSRTRAVDi ZiZBRAXRS-ÉDXTSVRf 

LIBRAIRE DE LA SOCIETE DE GEOGRAPHIE DE PARIS , 
RUE HAUTEFEUILLE, N^qS. 



M. DCCC XL. 



N V 



RAPPORT 



SDR 



LES DIFFÉRENTES CLASSES DE €HEFS 

DE LA NOUVELLE -ESPAGNE, 

SUR LES LOIS, LES MOEURS DES HABITANTS, SUR LES IMPÔTS ÉTABUS 
AVANT ET DEPUIS LA CONQUÊTE, ETC., ETC. 



PAR AKONZO DS ZVBXTA, 

KX-AUDITEVR À l'AUDIBNCB ROYALE DE MEXICO. 



(miDiT.) 



DON J.-M. DE PARGA Y PUGA. 



c/wc^ntHoae ^edAec/ue^io: 



de l!jldit«ur. 



AVERTISSEMENT 



DE L'EDJTEUR 



Le manuscrit du licencié Alonzo de Zurita est 
resté inconnu à presque tous les auteurs qui se sont 
occupés du Mexique. Ni Antonio de Léon Pinelo , 
ni Barcia son continuateur , qui ont catalogué un si 
grand nombre d'ouvrages inédits , n'en font mention. 
Alonzo de Vetancourt, dans la préface de son Teatro 
Mexicano , n'en parle que vaguement, et dit que 
l'original appartenait au célèbre antiquaire D. Carlos 
de Siguenza y Gongora. Boturini en possédait un 
exemplaire qu'il cite p. 21 de son catalogue. Dans une 
note , il dit l'avoir copié au mois de novembre 1738 , 
sur l'original qui se trouvait dans la bibliothèque 
du collège de saint Pierre et saint Paul de Mexico , 



X AVERTISSEMENT DE l'ÉDITEUR. 

case 4.8, n** 19. Ce manuscrit, composé de 124. 
feuillets , avait en tête une apostille ainsi conçue : 

« Cet ouvrage est parvenu entre mes mains en 

» 1683. 

» Le licencié Pensada. » 

La copie de Boturini passa après sa mort dans les 
mains de D. Juan Bautista Munoz et de M. Uguina ; 
elle fut ensuite acquise par moi avec tous les manu- 
scrits que possédait ce dernier. 

Je n'ai pu trouver sur D. Alonzo de Zurita d'au- 
tres renseignements que ceux qu'il nous fournit lui- 
même , c'est-à-dire qu'il passa dix-neuf ans en Amé- 
rique où il fut successivement membre des audiences 
de la Nouvelle-Grenade , du Guatemala et du Mexi- 
que. Il se retira ensuite en Espagne où il mourut 
probablement. Il est vraisemblable qu'il était en 
Amérique entre les années 1540 et 1560, et que ce 
fut vers cette dernière époque qu'il composa son 
ouvrage. Boturini, outre un traité sur les impôts, 
lui attribue un recueil de faits relatifs à la Nouvelle- 
Espagne. 



DÉDICACE 



A SA MAJESTÉ CATHOLIQUE. 



VariusGeminus, s'adressantunjour à Jules-César 
pour lui parler d'affaires importantes, commença 
son discours en ces termes : « César, ceux qui osent 
t'adresser la parole ignorent ta puissance , et ceux 
qui n'osent parler devant toi ne connaissent pas ta 
bonté. » C'est avec plus de raison, prince trés-puissant, 
roi très-chrétien mon maitre , que Ton pourrait s'ex- 
primer ainsi devant vous , puisque vous avez mérité 
à de bien plus justes titres que César d'être placé 
à la tète d'un état dont la sécurité est plus grande 
que celle de l'empire romain à l'époque où parlait 
Varius Geminus. En effet , le Dieu tout-puissant 
ne vous a-t-il pas fait roi et souverain des royau- 
mes et des états les plus importants de l'Europe , 
d'une partie de l'Afrique, de^rAsie,et n'étes-vous 



XII DÉDICACE. 

pas roi universel et maître souverain de toutes les 
Indes de la mer Océanique ? D'où il résulte que Votre 
Majesté possède et gouverne plus de royaumes et de 
provinces que quelque prince que ce soit de ce 
monde. Bien plus, chaque jour on découvre et l'on 
soumet à votre puissance une multitude de nations , 
des contrées innombrables et immenses ; votre cou- 
ronne s'enrichit de richesses infinies et inconnues à 
vos prédécesseurs , et cela en si grande profusion que 
les rois les plus puissants de la terre tremblent et 
sont frappés d'épouvante lorsqu'ils en entendent le 
récit. 

Le soussigné , serviteur et loyal sujet de Votre 
Majesté , comparant votre efirayante puissance à 
son humble condition , a hésité , malgré ses dé- 
sirs, à dédier à Votre Majesté ce rapport abrégé 
qui traite des souverains et des états de la Nou-^ 
velle-Espagne, de la soumission des sujets à leurs 
chefs j des usages suivis dans la répartition des im- 
pôts à l'époque de Tidolâtrie, de ceux observés depuis 
et qui sont encore en pratique aujourd'hui qu'on les 
a conquis, des impôts payés à Votre Majesté ou à cer- 
tains particuliers en son nom, de la capitation ^ et 
de cette question à résoudre , savoir si les naturels 
de ce royaume doivent payer des dîmes. Mais con- 
naissant qu'il existe en Votre Majesté le motif 



DEDICACE. XllI 

que Varius trouva chez César pour oser parler, 
c'est-à-dire Textréme affabilité et la clémence dont 
Dieu Ta si complètement douée , il s'est vu en- 
couragé y il a banni la crainte qui le retenait et il a 
osé parler. 

Je supplie donc humblement Votre Majesté d a- 
gréer ce léger service. Si j'ai osé le lui offrir , ce 
n'a été que pour répondre au désir qu'elle a témoi- 
gné, et j'ai fait de mon mieux pour cela. Si Votre 
Majesté daigne l'agréer , ce sera un titre d'élévation 
pour son serviteur qui s'est efforcé de se maintenir 
à la hauteur de son sujet et qui désire que Ton 
fasse pour d'autres provinces ce qu'il a fait pour 
celle-ci, travail bien nécessaire , attendu leur grand 
nombre , les différents usages et coutumes qui y 
sont pratiqués , et qui nécessitera l'emploi de beau- 
coup de personnes. 

Que le Seigneur protège pendant de longues et 
heureuses années la personne catholique et royale 
de Votre Majesté et qu'il la maintienne dans sa sainte 
religion pour le bonheur de l'univers. 

Alonzo de Zurita. 



ADRESSE 



AUX THES-ILLUSTRES SEIGNEURS LE PRESIDENT ET LES AUDITEURS 

DU CONSEIL ROYAL DES INDES, 
LE DOCTEUR ALONZO DE ZURITA , EX-AUDITEUR DE l'aUDIENCE ROYALE 
DE LA TRÈS -INSIGNE ET GRANDE VILLE DE MEXICO, 
A LA NOUVELLE-ESPAGNE. 



Très-illustres Seigneurs , 

Platon, ce grand philosophe queCicéron, et le glo- 
rieux saint Jérôme après lui , ont décoré du nom 
de dwin , a dit que ce serait une chose bien triste 
si Dieu faisait plus d'attention aux offrandes et aux 
sacrifices qu'à Tintention de ceux qui les présentent. 
Notre souverain maître a confirmé cette sentence 
par ce qu'il a dit à la louange de la veuve qui jeta deux 
oboles dans le tronc, préférant la modesteoffrande de 
cette femme pauvre à celles des richeset des puissants, 
qui n'étaient prises que sur leur superflu. Réfléchissant 
à cette pensée, trèsril lustres Seigneurs J'ai osé offrir 
à Sa Majesté ce faible traité sur les états et impôts 
de la Nouvelle-Espagne ; sur Tordre de succession 
observé par les naturels , leur gouvernement à 
l'époque de Tidolâtrie, et autres sujets qui y ontrap- 



XVI ADRESSE, ETC. 

port ; sur la conduite à tenir dans la perception des 
dîmes en se conformant aux préceptes qui règlent la 
matière, sans introduire aucune mesure nouvelle. 
Persuadé que Sa Majesté , imitant le Roi du ciel , 
agréera ce petit travail avec bonté , considérant 
plutôt Tintention que j'ai en le lui offrant que le tra- 
vail en soi , je supplie en son nom vos Seigneuries 
illustrissimes de le recevoir et de donner ordre de 
l'examiner afin qu'il soit digne de paraître devant Sa 
Majesté , car il est nécessaire qu'elles donnent pour 
ainsi dire à cet ouvrage l'existence et une certaine 
autorité. Il est digne de personnes aussi illustres 
que vous , mes Seigneurs , d'accueillir avec une 
bienveillance égale ceux qui peuvent peu et ceux 
qui peuvent beaucoup , afin que les uns se considè- 
rent comme payés de leurs peines et que les autres 
soient encouragés à se rendre plus utiles. Si vous dai- 
gnez m'aceorder une faveur aussi signalée , vous me 
donnerez ie courage de terminer d'autres travaux 
que j'ai commencés ou seulement ébauchés. 

Diefu veuille accorder aux illustres personnes de 
vos Seigneuries la haute fortune qu'elles méritent 
et nprès une longue vie vous faire jouir de la ré- 
compense et de la gloire éternelles. 



RAPPORT 



SUR LES 



DIFFÉRENTES CLASSES DE €HEFS 



DE LA 



NOUVELLE-ESPAGNE , 

SUR LES LOIS , LES MGEURS , LES IMPÔTS PAYÉS PAR LES INDIENS 
AVANT ET APRÈS LA CONQUÊTE , ETC. , ETC. 



Causes qui ont engagé l'auteur à écrire ce rapport , et qui Tont 

empêché de le faire plus tôt. 



Sire , 

Au mois de décembre de Tamiëe 1553 on 
envoya de Valladolid une ordonnance royale 
qui prescrivait aux audiences des Indes de ré- 
pondre à certaines questions douteuses sur les- 
quelles Votre Majesté désirait être éclairée (i)» 
Elles portaient sur les anciens souverains, les 
impôts que payaient les naturels du Mexique 

(i ) Cette pièce est insérée dans le recueil des ordonnances du 
docteur Vasco de Puga, f" 140. 

11. 1 



2 RAPPORT SUR LES CHEFS 

pendant leur idolâtrie , et sur ceux qu'ils 
payent depuis la conquête qui les a soumis 
à la couronne ix)yale de Gastille. Les enquêtes 
faites à ce sujet devaient être adressées à Votre 
Majesté avec les avis des magistrats. 

Lorsque cette ordonnance arriva à l'audience 
des Confins ( i ), où j'avais résidé en qualited'au- 
diteur, je partais pour Mexico, où Votre Ma- 
jesté m'avait ordonné d'aller occuper le même 
poste près l'audience de cette ville. A mon ar- 
rivée, on avait déjà envoyé les enquêtes à 
Votre Majesté avec Tes avis des conseillers. 
L'audience des Confins ne fit son travail qu'a- 
près mon départ. Persuadé que j'étais obligé 
d'exposer ma pensée sur les matières en ques-" 
tion, puisque j'étais au service de Votre Ma- 



(i) C'est ainsi qu'où nommait Faudience de Guatemala. Éri- 
gée par une ordonnance du 2 5 novembre 1 54 3 , elle devait siéger 
dans la ville de Valladolid de Ck)mayagua. On la transféra en- 
suite à Gracias à Dios, où elle tint sa première séance le 26 oc- 
tobre 1548. L'année suivante elle passa à Guatemala, puis 
à Panama, en i565. Après trois ans de séjour dans cette ville, 
on la rétablit à Guatemala, où elle a toujours siégé depuis. 

{Note de V éditeur,) 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE, 3 

jesté au moment où rordonnance avait paru, 
pendant qu'on faisait les enquêtes et qu'on 
les expédiait, et que mon absence des deux 
audiences , quand on traitait cette affaire , 
n'était pas une excuse pour moi , j'ai voulu 
faire savoir ce que j'avais appris avec certi- 
tude durant une résidence de dix-neuf ans 
dans ce pays. Les deux premières années, j'ai 
servi Votre Majesté à Saint-Domingue en qua- 
lité d'auditeur, les trois suivantes à la Nou- 
velle-Grenade, à Sainte-Marthe, à Carthagène 
et à Cabo-de-la-Vela , où , d'après les ordres 
de Votre Majesté , j'ai été installer le gouver- 
neur de ces provinces. De retour à Saint-Do«* 
mingue, où j'avais été remplir mon emploi, 
je reçus des lettres de Votre Majesté par les^ 
quelles elle me fit la grâce de m'ordonner de 
la servir en qualité d'auditeur près l'audience 
des Confins, où je résidai trois ans. Je visitai 
presque toute la province de Guatemala : 
les travaux nombreux dont j'ai été constam- 
ment occupé m'ont empêché d'y faire ce que 



4 RAPPORT SUR LES CHEFS 

je désirais tant. Aujourd'hui, me trouvant 
sans emploi , de retour en Espagne avec l'au- 
torisation de Votre Majesté , et chez moi où me 
retient ma mauvaise santé , je veux encore la 
servir avec tout le zèle que je n'ai cessé d'ap- 
porter à ses affaires. Je vais donc extraire 
ce que pendant de longues années j'ai rassem- 
blé dans mes mémoires et dans mes notes, 
et le rédiger en forme de réponse à chaque 
paragraphe de l'ordonnance royale. 

Dans mes voyages je me suis constamment 
attaché à m'instruire des usages et des cou- 
tumes des naturels , et mon intention ayant 
toujours été de répondre à cette ordonnance , 
pendant mon séjour à Mexico je me suis in- 
formé fort en détail de ce que le pays ofire de 
remarquable , me conformant aux ordres de 
Votre Majesté, qui prescrivent de consulter 
les religieux, savants et anciens dans le pays, 
parce qu'ayant fréquenté pendant de longues 
années les naturels, ils sont mieux instruits 
que personne de leurs différentes -coutumes. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 5 

Un grand nombre de leurs enquêtes ont été 
faites en ma présence : j'ai pris aussi des infor- 
mations auprès des vieux chefs indiens qui 
offraient des garanties de véracité , encore qu'il 
soit certain que dans tout ce qui a rapport au 
gouvernement et aux mœurs des naturels on 
ne puisse établir une règle générale sur leur 
dire : en effet, chaque province présente de 
grandes différences en tout , et il y a même 
entre les villages une variété de langages si 
marquée, que dans certains on en parle jus- 
qu'à trois. A peine les habitants commu- 
niquent-ils entre eux , et c'est tout au plus 
s'ils se connaissent. On m'a dit qu'il en 
était ainsi dans toutes les Indes ; j'ai parcouru 
un grand nombre de provinces, et je puis affir- 
mer que j'y ai vérifié l'exactitude de cette 
remarque. Si donc l'expérience faisait décou- 
vrir des faits contraires à ceux que j'avance, 
il faudrait attribuer cette variation à la diver- 
sité d'usages qui existe dans chaque province, 
comme je viens de le dire , plutôt qu'à la né- 



b BAPPORT SUR LES CHEFS 

gligeuce que j'aurais apportée dans la i^e- 
cherche de la vérité. Cette contradiction 
sur les coutumes des Indiens n'est pas sur- 
pi^nante. La plupart du temps on doit l'attri- 
buer à la rareté des interprètes. A cette cause 
il faut en Joindre plusieurs autres; les naturels 
de la Nouvelle-Espagne n'ayant pas eu con- 
naissance de l'écriture , tout ce qui a trait à leur 
histoire ancienne était conservé par le moyen 
de peintures , qui presque toutes sont per- 
dues aujourd'hui : outre cela la mémoire s'ef- 
face, et la plupart des vieillards qui pouvaient 
conserver le souvenir des anciens usages dis- 
paraissent tous les jours; aussi les relations 
varient-elles sur quelque sujet que ce soit. Le 
peu d'intérêt que l'on a pris et que l'on prend 
à s'instruire de leurs mœurs est encore une 
des causes auxquelles on doit faire attention. 
Je puis garantir l'exactitude des faits que 
j'avance plus loin, m'étant aidé de trois reli- 
gieux franciscains, sans compter ceux des 
autres ordres établis depuis fort longtemps 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 7 

dans le pays , ou qui y sont arrivés peu après 
la conquête. Un d'eux faisait partie des douze 
premiers qui ont passé au Mexique : tous 
ont donné des preuves d'une grande dévo- 
tion ; ils ont eu des rapports continuels 
avec les naturels , propagé la foi dans toute 
la Nouvelle-Espagne , dans les provinces de 
Mechoacan, de Xalisco ou de la Nouvelle- 
Galice, et de Panuco. Ils n'ont cessé de 
s'instruire avec le plus grand soin des usa- 
ges , des mœurs et dès coutumes de ces 
peuples , et ils y ont réussi mieux qu'on ne 
pourrait le faire à présent, les vieillards avec 
qui ils ont communiqué étant morts depuis. 
11 existait encore à cette époque des peintures 
entières et bien conservées; aidés par ces vieux 
Indiens, qui connaissaient parfaitement cette 
manière d'écrire, et qui avaient été témoins 
des faits ou les avaient entendu raconter à 
leurs ancêtres , ils en ont retiré de nombreuses 
lumières. Je vais essayer de rédiger dans le 
meilleur ordre possible tout ce qui a rapport 



8 RAPPORT SUR LÈS CHEFS 

à l'ordonnance royale , soit que la connais- 
sance m'en soit parvenue par ces personnes , 
soit que j'en aie pris note en m'informant au- 
près des vieillards indiens par l'intermédiaire 
d'anciens religieux très-versés dans la langue 
du pays et qui appartenaient aux trois ordres 
qui y sont établis. 

Sans traiter de chaque province en particu- 
lier, je parlerai des faits importants qui ont 
un rapport général avec la Nouvelle-Espagne, 
et de ce qui est communément en usage dans 
la plus grande partie de cette contrée. L'or- 
donnance adressée à l'audience des Confins 
étant bien plus étendue que celle envoyée à 
Mexico, j'extrairai les paragraphes de la 
première, et j'ajouterai la réponse à chaque 
question, sans néanmoins suivre l'ordre de 
ces paragraphes, en commençant par le neu- 
vième , conçu en ces termes : 

PARAGRAPHE IX. 

« De plus , VOUS vous informerez quels 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 9 

» étaient les caciques dont la souveraineté se 
» transmettait par succession , et ceux qui 
» étaient élus par leurs sujets. Vous ferez con- 
» naître leur puissance, leur juridiction an- 
» ciennes, celles qu'ils exercent aujourd'hui, 
» et quel est l'avantage que les sujets retirent 
» de ce système de gouvernement, soit pour 
» l'administration, soit pour la police. » 



RÉPONSE. 



Ce paragraphe contient quatre questions ; 
pour plus de clarté je répondrai à chacune en 
particulier. 



PREMIERE QUESTION 



11 y a trois classes de chefs. 

En général , dans les provinces où l'on a 
conservé les chefs supérieurs, les Indiens les 



10 RAPPORT SUR LES CHEFS 

ont toujours divisés en trois classes ; cepen- 
dant^ dans quelques pays, comme àTlaxcala et 
à Tepeaca, il y en avait quatre. Chacun de ces 
chefs exerçait une puissance indépendante, 
dans une juridiction connue. Au-dessous d'eux 
il y en avait d'autres moins puissants qu'on 
appelait communément Caciques , terme de 
l'île Espagnole. 



Le même usage existe dans le Utlatlan (i). 

Pendant une tournée que je fis dans le Utla- 
tlan, province importante et voisine du Gua- 
temala où j'étais auditeur, j'y remarquai le 
même usage, ainsi que dans la vallée de Matlat- 
zincoet de Yztlapec, près de Mexico, où j'avais 
été remplir une mission de Votre Majesté; 
j'entrerai plus loin dans des détails à ce sujet. 



(i) A moins que les noms propres de lieux ou de personnes 
ne soient défigurés de façon à ne plus les reconnaître, je n'en- 
treprendrai pas d'en rétablir l'orthographe, ce qui nécessiterait 
une connaissance approfondie des nombreux dialectes parlés 
à la NouTelle- Espagne. {Noie de V éditeur.) 



HE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 11 

Gouvernement de la province de Mexico. — Partage des 
conquêtes entre les trois chefs supérieurs. 

La province de Mexico était soumise à trois 
principaux chefs : celui de Mexico, celui de 
Tezcuco et celui de Tlacopan , que Ton 
nomme aujourd'hui Tacuba. Tous les chefs 
inférieurs relevaient de ces souverains et leur 
obéissaient. Les troFs chefs supérieurs for- 
maient une confédération et se partageaient 
les provinces dont ils s'emparaient. 

Suprématie du souverain de Mexico quant à la guerre. 

Le souverain de Mexico avait au-dessous 
de lui ceux de Tezcuco et de Tacuba pour les 
affaires qui avaient rapport à la guerre; quant 
à toutes les autres, leurs puissances étaient 
égales, de sorte que l'un d'eux ne se mêlait 
jamais du gouvernement des autres. 

Ces souverains possédaient des villes en commun. 

Quelques-unes des villes conquises étaient 



12 RAPPORT SUR LES CHEFS 

tributaires de ces trois chefs à la fois. Dans 
certaines , les tributs étaient répartis en por- 
tions égales, et dans d'autres on en faisait cinq 
parts : le souverain de Mexico et celui de 
Tezcuco en prélevaient chacun deux , celui de 
Tacuba une seule. 



Ordre de succession le plus général. 

L'ordre de succession variait suivant les 
provinces ; les mêmes usages, à peu de diffé- 
rence près , étaient reçus à Mexico, à Tezcuco 
et à Tacuba. 



Droit du sang. 

Le droit de succession le plus ordinaire était 
celui du sang en ligne directe de père en fils ; 
mais tous les fils n'héritaient point, il n'y avait 
que le fils aîné de l'épouse principale que le 
souverain avait choisie dans cette intention. 
Elle jouissait d'une plus grande considération 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 13 

que les autres, et les sujets la respectaient 
davantage. Lorsque le souverain prenait une 
de ses femmes dans la famille de Mexico, elle 
occupait le premier rang, et son fils succédait, 
s'il était capable. Cet usage prévalait à Tez- 
cuco, à Tacuba et dans les provinces qui dé- 
pendaient de ces états. 



Si le fils aîné était incapable, le père en désignait un autre. 

Le fils aîné qui n'avait pas les qualités né- 
cessaires pour gouverner était écarté, et le 
père en désignait un autre qui fût capable, 
choisissant toujours parmi ceux de la femme 
principale, qui étaient préférés en tout. 



A défaut de fils, les petits-fils étaient appelés à la succession. 

Si le souverain n'avait que des filles , il 
désignait un de ses petits-fils, donnant la pré- 
férence au plus habile. Néanmoins les fils des 
fils étaient constamment préférés à ceux des 



14 RAPPORT SUR LES CHEFS 

filles, et Ton choisissait toujours les descen- 
dants de la principale épouse , pourvu qu'ils 
fussent capables. Le souverain qui n'avait pas 
d'enfant màle ou de petits^-enfantsr qui pussent 
gouverner, ne désignait pas son successeur; 
il laissait ce soin aux principaux chefs du pays, 
qui avaient le droit d'en élire un suivant la 
forme rapportée plus loin. 

Les souverains avaient plus d égards aux capacités de leurs 
successeurs qu aux droits du sang. 

Ainsi , ils préféraient laisser après eux 
un successeur qui fût capable de bien gou- 
verner , plutôt que d'abandonner cette charge 
à leurs fils, à leurs petits-fils ou à leurs lieu- 
tenants , comme fit Alexandre le Grand, Les 
mêmes règles de succession étaient observées à 
l'égard des vassaux et des terres que les chefs 
avaient en patrimoine, et que l'on nomme 
encore aujourd'hui maguejes (i) ; ils les par- 

(i) (yest-à-dire ici des champs plantés de maguei. (\ . p. 87.; 

[Noie de r éditeur.) 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 15 

tageaient comme ils l'entendaient entre leurs 
fils ou leurs héritiers, ainsi qu'on le verra 
plus loin (i). 



I.es collatéraux étaient appelés à la succession à défaut des 

héritiers directs. 



Lorsque le souverain ne laissait ni fils ni 
petit-fils, ou lorsqu'ils étaient incapables, on 
élisait le plus habile de ses parents. A défaut de 
parents on choisissait entre les autres chefs , 
mais jamais parmi \es macehuales j qui sont 
les gens du commun. 



Gomment l'élection des chefs était confirmée. 

Si le souverain de Mexico mourait sans hé- 
ritier, les principaux chefs lui choisissaient 
un successeur dont l'élection était confirmée 



(i) Voyez, p. 2 23 du Recueil de pièces relatives à la Conquête 
du Mexique , celle intitulée : De l*ordre de succession observé 
par les Indiens relativement à leurs terres et à leurs territoires 
communaux. — Simancas. 

[Note de l'éditeur.) 



16 RAPPORT SUR LES CHEFS 

par les chefs supérieurs de Tezcuco et Tacuba. 
Lorsque ces derniers ne laissaient pas d'héri- 
tiers, les personnes les plus distinguées de 
l'état élisaient un chef, qui recevait son inves- 
titure du souverain de Mexico, 

Ce prince s'informait si l'élection avait été 
faite dans les formes , et dans le cas contraire 
on la recommençait. 



Observations des mêmes règles à Tégard de la succession des 

chefs dépendants. 

On suivait les mêmes règles pour les succes- 
sions des chefs soumis aux provinces de Mexi- 
co , de Tezcuco et de Tacuba. Chaque souve- 
rain confirmait l'élection de ses vassaux , car, 
ainsi qu'on l'a déjà dit , leur juridiction était 
indépendante poui* les affaires civiles et cri- 
minelles. Les chefs qui étaient immédiatement 
au-dessous des souverains confirmaient l'é- 
lection de leurs inférieurs. Ces usages , à peu 
de différence près , étaient observés dans toute 
la Nouvelle-Espagne. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE, 17 



Mêmes usages dans }e Mechoacan. 

Dans le royaume de Mechoacan, on suivait 
à peu près les mêmes usages. Pendant sa vie, 
le souverain choisissait un successeur par- 
mi ses fils ou ses petits-fils. Aussitôt désigné, 
le chef futur prenait part au gouvernement 
du consentement du souverain; cet usage 
n'avait lieu que dans ce royaume* 

Si le souverain arrivait à ses derniers mo- 
ments sans avoir choisi un successeur, on 
venait le prier de le faire; mais il était plus 
fréquent de voir les chefs en santé se nom- 
mer un héritier qui, après les fêtes et les 
cérémonies d'usage, était considéré comme 
successeur légitime. 



Dans quelques états les frères succédaient de préférence 

aux fils. 



Dans quelques provinces, comme par exem- 
ple à Mexito, les frères étaient admis à la suc- 
11. 2 



18 RAPPORT SUR LES CHEFS 

cession^ quoiqu'il y eût des fils, et ils gou- 
vernaient successivement. Les naturels don- 
naient pour raison de cette règle que les frères 
étant fils d'un même père, ils avaient les 
mêmes droits. Quaiid tous étaient morts, la 
succession revenait au fils du frère aîné de 
l'ancien souverain. C'est ainsi qu'à Mexico , 
Montezuma succéda à deux de ses frères qui 
l'avaient précédé sur le trône. À Tecpan- 
Guatemala , ville très - importante et peu 
éloignée de la ville actuelle de Guatemala, 
j'ai connu un chef qui avait succédé à son 
frère. J'ai même connu le îBls de son prédé- 
cesseur : il touchait les revenus de certains 
champs de maguei qui avaient fait partie du 
patrimoine de son père; néanmoins on disait 
que ces dispositions avaient été prises par 
l'ancien chef, parce que son fils était aveugle. 



L'héritier trop avide du pouvoir était déchu de ses droits. 



Si le fils, héritier présomptif, ou toute autre 



DE LA NOUVELLE-Eât»AGNÊ, 19 

persoilne ayftnt dt^oit à la succèsâion > se irtion- 
trait trop avide de l'autorité^ s'il cherchait k 
éclipser les autres par ses vêtements ou s'il se 
mêlait trop tôt du gouvernement, bieti t|Uie le 
seigneur l'eut choisi, qu'il fût l'alné OU itièiiië 
le plus capable des héritiers, il était déclaré 
déchu de ses droits, le peuple liè l'acceptait 
pas ^ et le souverain qui devait donâ^tôer M>tî 
élection s'y refusait; La cérémonie de l'invés^ 
titure n'avait lieu qu'après la mort du sbuvê^ 
rain. Plusiieùrs jours- étaient employés à dé^ 
cider quel serait le plus capable des fils, dfe$ 
petits-fils, où de toute autre personne «j^aiit 
droit à la succession. Le nouveau chef étiîit 
élu dans la forme que nous avons indiquée , 
et recevait l'investiture du suzerain. 



On d<5nnait la préférence au plus brave. 

Comme les guerres étaient très-fréquentes 
chez ces peuples, lorsqu'il s'agissait delà suc- 
cession ou de l'élection d'un chef, on prenait 



20 RAPPORT SUR LES CHEFS 

en grande considération la bravoure et l'ha- 
bileté. Le chef qui n'avait fait aucune action 
d'éclat ou qui ne s'était pas signalé à la guerre 
ne portait sur ses habits ni bijoux ni marque 
de distinction. 

Ainsi, dans certaines contrées, la successioji 
la plus ordinaire avait lieu de frère à frère, en- 
suite venaient les fils suivant leur rang. Telles 
sont en général les dispositions qui réglaient 
les successions et les élections; je n'ai rien 
avancé sans m'en être assuré , et tout ce que 
j'ai dit m'a été confirmé par frère Francisco 
de Las'Navas (i), dans une relation qu'il m'a 
remise. 

Cérémonies qui avaient lieu lorsqu'un chef succédait ou qu'il 

était élu. 

Je crois qu'il suffît de dire comment le chef 
était conduit au temple. Une multitude nom- 
breuse l'accompagnait en silence; deux chefs 

(i) Frère Francisco de Las Navas , de l'ordre de Saint-Fran- 
çois , passa à la Nouvelle-Espagne en i538 , et fut le premier 
missionnaire qui pénétra dans la vallée de TIamachalco, ha> 
bitée par la nation Popoloca. Il baptisa plus de 1 2,000 Indiens^ 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 2f 

le prenaient dans leurs bras et le portaient 
au sommet d'un escalier fort élevé. Là, ce- 
lui qui avait la garde du temple le revêtait 
des insignes de la royauté, le complimentait 
en peu de mots, et lui mettait deux manteaux 
de coton, l'un bleu et l'autre noir, sur lesquels 
étaient représentés un grand nombre de tètes 
et d'os de morts , pour lui rappeler qu'il de- 
vait mourir comme les autres hommes. Quand 
les cérémonies étaient terminées, ce pi^être 
lui adressait une allocution dans ces termes ; 

Discours du graud-prétre. 

« Seigneur, considérez l'honneur que vous 
ont fait vos vassaux, et puisque vous êtes re- 
connu souverain , vous devez prendre lé plus 
grand soin d'eux, les regarder comme vos en- 
fants, faire en sorte qu'ils ne souffrent pas et 
que les petits ne soient pas maltraités par les 

possédait parfaitement la langue mexicaine, et mourut gar- 
dien du couvent de Tlatelolco, le 29 juillet 1578. Vetancourt^ 
Teatro mexicano. Mexico , 1698 , f», dans le Menologio fran- 
cis^ano, au 29 juillet. {NoU de V éditeur.) 



22 EAPPpRT SDK LES GHEPS 

grands* — Vous voyez ici les chefs de votre 
pftys (Çt de tous vos vassaux/ vous en êtes le 
père etvla mère, et comme tel vous devez les 
protéger et tes défendre contre l'oppression , 
par les yeux de tous sont tournés sur vous. 
»^ C'est à vous de commander eÉ de gouvei^ner* 
■*-- Vous devez traiter avec le plus grand sbîn 
les aflFaires qui oot rapport à la guerre^ sur- 
v^ller et punir les coupables^ les chefs coirime 
le^ autres ; enfin , corriger et châtier les re- 
belle^, -^ Que le service de Dieu* et de' son 
temple soit Tobjet de vos plus grands soins. 
Faites en sorte que rien ne manque pour 
les sacrifices; c'est par ces moyens que vous 
réussirez dans toutes vos entreprises et que 
Pieu vous protégera. » 



Hommage des chefs. — Épreuves auxquelles le souverain 

était soumis. 



Ce discours terminé, le souverain approu- 
vait tout ce que le prêtre lui avait dit, le 
remerciait de ses conseils et descendait 



DE' LA NèÙVELLE-lESPAGJNfE. 23 

dans la iôoiir, où tous les autres chêftl-àt- 
téHdaieht pdur lui reûdre hommage* Après 
Tavôîr Rallié, ils lui offraient des bijoux et de 
riches mânteaiix, puis ils ràôcompàghaiehf 
dâils des appartements construits dans la 
niéme êour. 'Le nouveau souverain y restait 
quatre jours , pendàht lesquels il jeûnait, se 
rendait au temple a des heures fixées , et of- 
fràll'des actions de grâces aux idoles. Ce 
terme étant expiré , toiià les chefs venaient le 
prendre et le conduisaient en grande pompe à 
son palais, où commençaient les réjouissances, 
les fêtes et les festins; après quoi il comman- 
dait en souverain. Ces princes étâieïlt si 
redoutés, qu'à peine ©sait^^on lever les yisiux 
sur- etix et les regardei^ au visage, «^cepte 
lorsqu'ils se délassaient en particulier avec 
quelques chefs ou Içûi^ favoris. 



r» 



Les mêmes usages étaient observés à TIaxcala et dans d'autres 

villes. 



A TIaxcala, à Huetzocinco et à Ghololan, 



24 RAPPORT SUR LES CHEFS 

rhéritier présomptif était préalablement dé- 
coré du titre de Tecuitli (i) , le plus hono- 
rable chez eux. Après plusieurs cérémonies 
religieuses , les gens du peuple l'insul- 
taient par des paroles injurieuses et Tac- 
câblaient de coups pour éprouver sa patience. 
Telle était leur résignation , qu'ils ne profé- 
raient pas une parole ^ et ne détournaient pas 
même la tête pour voir ceux qui les insul- 
taient ou les maltraitaient. 



Les Indiens sont très-patients. 

Ces gens sont d'un naturel fort endu- 
rant ; rien ne les trouble , rien ne les irrite. 
D'une soumission extrême, ils souffrent pa- 
tiemment les corrections. Si on les gronde ou 
si on leur reproche quelque négligence , ils 
se mettent au travail avec la plus grande 

(i) Sur les Tecuitlis ou Tecles, pq/'ez la page a 33 du recueil 

de pièces relatives à la conquête du Mexique qui fait partie 

de cette collection. 

(Note de V éditeur.) 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 25 

obéissance et sans répondre autre chose que 
peque (quoi?). Plus ils sont élevés en dignité, 
plus ils sont soumis; quelquefois seulement 
ils se contentent de dire : Qu as-tu? ne te mets 
pas en colère et réfléchis à ce que tu me de- 
mandes. Je ne parle ici que des Indiens qui 
sont encore dans leur simplicité naturelle, 
car ceux qui ont été dans l'esclavage, qui 
vivent ou qui ont des rapports avec les Espa- 
gnols, sont très -obstinés. Au reste, il est 
facile de voir par la conduite des naturels 
avec leurs nouveaux maîtres combien ils 
sont doux et soumis. 



Épreuves chez les habitaDls de TIaxcala. 

Après les cérémonies dont je viens de par- 
ler, on conduisait le nouveau dignitaire dans 
une partie du temple, où il restait quelque- 
fois un ou deux ans à faire pénitence. Il 
s'asseyait à terre pendant le jour; le soir seu- 
lement on lui donnait une natte pour se cou- 



26 ^APt»ORT SUR LES CHEFS 

éhèt*. La nuit, il allait au temple à dès heures 
fibcées pour brûler de rencèns-, et les quatre 
premiers jours il ne dormait que- quelque» 
heures dans la journée* Près de lui'étaîèM 
des gardes qui, lorsqu'il s'assoupissait, hlî 
piquaient les jambes et les braô avec des 
épines de mc^/ ou maguei , qui sdnt eômttië 
dés poinçons, et lui disaient : Eveitle-toi^ tUWè 
dois pas dormir^ mais veiller et prendre soinUé 
tes vassaux. Tu n entres pas en charge pour 
avoir du repos. Le sommeil doit fuir dé it^ 
yeux qui doivent rester ouverts et veiller sur 
le peuple. ; ^'^ 



Préparatifs de U fête. 

Lorsque ce temps d'épreuve était fini, ses 
parents et ses domestiques se procuraient 
tous les objets nécessaires pour la fêle qui 
devait avoir lieu. Ils faisaient une listé des 
chefs , des principaux amis , parents et 
alliés qu'ils voulaient inviter, et fixaient le 



DE LA NORUYELLË-ESPAOKE. - 27 

pomhre des gens du peuple qui devaient y 
assister. Ce que chacun apportait était déposé 
dans de castes salles ^ et dès que tout était 
prêt, on arrêtait le jour de la cérémonie, èti 
comptant avec le plus gr^^ndsoin, à partir 
de lu naissance dû nouveau souverain, pour 
qu'elle ne tombât pas un jour pair, qu'ils re- 
gardaient comme malheureux. Aussitôt que 
le jour était fixé, on envoyait les invitations 
aux chefs du voisinage, aux amis et aux pa- 
rents. Un messager allait les chercher, les pré- 
cédait dans leur marche, et les conduisait dans 
un logement où on leur fournissait tout ce 
dont ils avaient besoin. 



Le chef qui ne pouvait venir se faisait représenter. 

S'il arrivait qu'un chef fût malade ou qu'il 
ne pfût venir, il envoyait à sa place un de 
ses principaux sujets que plusieurs person- 
nages de distinction accompagnaient èonirtie 
si c'«àt été leur maître li|i-mênie. A son 



28 RAPPORT SUR LES CHEFS 

arrivée, on l'installait dans son logement, 
chacim en ayant un qui lui était destiné 
suivant son rang. On déposait devant son 
siège des vivres et des présents , et l'on rem- 
plissait à son égard toutes les cérémonies 
et tous les actes de respect que l'on, aurait 
remplis à l'égard du souverain qu'il repré- 
sentait. 



Le successeur Tenait au temple recevoir le titre de souTerain. 

— Présents offerts aux assistants. 



Le jour de la fête, de bon matin, tous les 
personnages de distinction conduisaient au 
temple le nouveau chef, suivi d'un concours 
innombrable de peuple qui se livrait à des 
danses, des chants et des réjouissances. 
Aussitôt arrivé , on lui conférait le titre de 
chef, on remplissait plusieurs cérémonies, 
puis on distribuait des vivres et des pré- 
sents à tous les invités. Ces solennités occa- 
sionnaient de grandes dépenses , car les 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 29 

assistants étaient fort nombreux; c'étaient les 
parents, les alliés et les domestiques du nou- 
veau dignitaire. L'on faisait aussi des aumônes 
considérables aux pauvres. 



Les œuvres de piété des Indiens n'étaient pas méritoires. 



Bien que les Indiens ne connussent pas 
le vrai Dieu, pour mériter ces dignités, ils 
se soumettaient à des pénitences , à des Jeûnes 
et à des épreuves de patience. Ils faisaient 
des prières à leurs idoles, des aumônes et 
d'autres œuvres pies , mais qui n'avaient au- 
cun mérite, car il leur manquait la foi, et 
comme dit Lactance en parlant des Gentils, 
liv. VI, chap. IX : Bien qu'ils eussent quel- 
ques idées des œuvres de miséricorde^ et qiûils 
s en acquittassent^ ces actes étaient semblables 
à un corps sans tête ; car ils manquaient de la 
connaissance du vrai DieUy qui est la tête , le 
principal objet de nos connaissances , et sans 



BO RAPPORT SUR LES GHEFâ 

quiittmtès les vertus sont comme dès méfhbrès 



munîmes. 



Anecdote sur le chef de Sdgomoso. 

J'ai entendu dire dans le nouveau royaume 
de Grenade qu'à Sogomoso, l'héritier pré- 
soraptif, avant de succéder, faisait pénitence 
pendâM sept àiis, enffei^mé datis Uiï téfti^le, 
sans voir le soleil, ni la lumière^ ni personne 
autre que ceux qui lé servaient, afin d'éprbuvér 
^ patience. Un .de ces chefs fît plus de trente 
lieues pour me voir, suivi d'Un cortège nom- 
breux. En passàUt dans chaque ville, la pre- 
mière chose qu'il faisait, c'était de s'informer 
fi^^il y avait des . Indiens ou dés Espagnols 
dans le l)esoin, et il leur faisait distribuer dés 
présents, des vivres et du bois, car ée pays 
est très-froid. Cependant, par la négligericé 
de ceux qui auraient dû l'instruire, ni lui ni 
ses sujets n'étaient chrétiens. Durant ition 
séjour dans ce pays, il est arrivé quelques 



DE hX NQUVELLE-ESPAGNE. 31 

religieux qui se soiit occupes à propager la 
foi. 

Coutume de Ghia. 

Un autre chef, je crois que c'est celui de 
Chia, avait d'abord gouverné un état moins 
important, comme pour faire ses preuves et 
pour que Ton pût voir s'il était capable d'ad- 
ministrer un gouvernement plus considérable. 
On m'avait dit à Cabo-de-la-Vela que les ha- 
bitants de cette côte, qui ne sont pas chrétiens,^ 
avaient aussi des jours de jeûne qu'ils nom- 
maient Cojmn , et qu'ils les observaient in- 
violablement : je m'y trouvai à cette époque, 
etj'ai pu reconnaître que c'était vrai. Pendant 
ma visite dans le Guatemala, un religieux sa- 
vant et vertueux, aujourd'hui évéque, m'a dit 
que les naturels qu'il était chargé d'instruire 
jeûnaient avant leur conversion, et qu'ils se 
levaient plusieurs fois dans la nuit pour réciter 
des prières. Les vieillards et les plus religieux, 
dans la crainte de se laisser surprendre par le 



32 RAPPORT SUR LES CHEFS 

sommeil , dormaient les jambes croisées ; et 
dès que la fatigue les réveillait, ils se levaient 
pour prier. Je néglige plusieurs autres faits 
que je pourrais raconter à ce sujet, pour reve- 
nir à l'objet en question. 

Lorsqu'un chef inférieur ou un personnage 
de distinction venait visiter le souverain ou 
lui faire des compliments de condoléance à 
l'occasion d'un malheur, il prononçait un dis- 
cours, sans art, il est vrai, mais plein de 
sages avis, et qui fait encore un meilleur effet 
dans l'original que dans une traduction. Le 
religieux qui l'a rendu en espagnol affirme 
qu'il n'y a rien changé; le voici : 



Discours des chefs inférieurs à leur souverain. 



« Seigneur, soyez heureux tout le temps de 
votre vie. Main gauche de Dieu dans ce 
royaume, vous êtes son lieutenant, vous com- 
mandez pour lui et vous le remplacez ; vous 



DE L\ NOUVELLE-ESPAGNE. 33 

devez donc porter le plus grand soin à vous 
bien conduire. — Soyez œil, oreilles, pieds, 
mains pour voir, entendre , exécuter ce qui 
convient à tous. — Que les paroles qui sortent 
de votre bouche soient celles que Dieu a fait 
entrer dans votre cœur, afin que vous disiez 
à vos sujets ce qu'ils ont à faire. — Le ciel et 
la terre sont devant vous comme un miroir, 
comme des tableaux dans lesquels vous pou- 
vez voir ce qui est périssable et ce qui ne 
Test pas. — Souvenez-vous de vos ancêtres 
et imitez les bons. — Dieu vous a accordé des 
pieds , des mains et des ailes pour que vos su- 
jets viennent y chercher un refuge. — Le Sei- 
gneur, en vous donnant le moyen de gouverner 
votre état , vous a donné aussi le pouvoir de 
^unir les méchants et d'aider les faibles. — 
Dieu secourt, conserve et aime les bons; il 
remplit les méchants de terreur, et l'in- 
nocent de contentement. — Les chagrins ne 
vous manqueront pas; mais observez qu'il 

n'y a rien sans peine. Vous n'aurez pas, 
M. 3 



34 RAPPORT SUR LES CHEFS 

il est vrai, le souci de vous procurer une de- 
meure tranquille et de quoi subsister, mais 
vous ne manquerez pas d'autres inquiétudes. 
— Observez avec soin le passé pour vous mettre 
en garde contre l'avenir. — Vous êtes menacé 
de bien des chagrins, si l'on considère le passé, 
le présent et l'avenir; c'est ce qui vous empê- 
chera de goûter du plaisir en mangeant, en 
buvant et même dans le sommeil. — Votre 
cœur sera tourmenté en cherchant à conserver 
vos états et à les agrandir ; néanmoins prenez 
courage , ne vous abandonnez pas, car vous 
êtes chef, père et mère de tous , et personne 
n'est au-dessus de vous. — Vous êtes un grand 
arbre, le refuge et l'abri de tous. — Les chefs 
que vous avez sous vos ordres et qui sont vos 
pieds et vos mains, viendront chercher votre 
ombre pour y goûter la fraîcheur de la con- 
solation. — Vous avez la main pleine pour les 
consoler et des lois pour punir les méchants. 
Vous avez les facultés nécessaires pour per- 
fectionner et amender tous vos sujets, et pour 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 35 

faire en sorte que le peuple, de jour en jout^, 
augmente ses forces par ses bonnes mœurs. 
— Réglez la conduite de chacun , honorez les 
hommes suivant leur mérite, et augmentez 
leur récompense à mesure que leur mérite 
augmente. — Soyez l'exemple de tous vos 
sujets , et vous laisserez dans ce monde mor- 
tel une réputation durable comme dans un 
tableau. — Honorez les vieillards , prenez 
leurs conseils; c'est ainsi que vous aurez la 
certitude d'ordonner des choses justes et d'é- 
viter ce qui ne Test pas. — Dieu vous a fait 
une grande faveur en vous mettant à sa place; 
honorez-le, servez-le, prenez courage, ne 
doutez pas; ce puissant maître qui vous a im-- 
posé une charge aussi pesante, vous aidera 
et vous donnera la couronne de l'honneur, si 
vous ne vous laissez pas vaincre par le mé--- 
chant. — Dans la situation où Dieu vous a 
placé, vous pouvez mériter beaucoup en ne 
faisant pas de mal. — Les morts ne voient pas 
vos fautes, ils ne viendront pas vous conseil- 



36 RAPPORT SUR LES CHEFS 

1er, car ils ne le peuvent pas.— Ne faites rien 
qui puisse être d'un mauvais exemple aux 
vivants. — Vos ancêtres n'ont point été 
exempts de peines , ils en ont eu beaucoup en 
gouvernant leurs états; ils n'ont pas dormi 
tranquilles, ils ont cherché à étendre leur 
puissance et à laisser d'eux un souvenir ho- 
norable. L'ordre qu'ils ont établi n'a pas été 
l'œuvre d'un jour. Us ont eu à cœur de con- 
soler le pauvre, l'affligé, le faible, et les vieil- 
lards avec raison , car ils ont trouvé en eux de 
bons conseillers. Tous les malheureux étaient 
l'objet de leurs soins empressés. Enfin, ils 
vous ont laissé des honneurs et une charge à 
remplir; affermissez donc votre cœur, ne 
vous laissez pas abattre , soyez ce que vous 
devez être, et ne faites jamais de lâchetés. — Je 
ne vous fatiguerai pas davantage. » 



Réponse du Bouverain. 



« Mon ami, vous êtes le très-bien venu, ce 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 37 

que vous m'avez dit m'a fait plaisir^ et vous 
avez rendu service à Dieu. Que ne puis^je mé- 
riter une seule de ces bonnes paroles, un seul 
de ces avis si précieux, sortis de vos entrailles ! 
Oh ! certes, ils sont bien dignes d'être estimés et 
de se graver dans mon cœur. Je dois bien tenir 
eompte de votre peine et de l'affection qui 
vous a inspiré ces avis et ces consolations. Si 
j'étais tel que je devrais être, toutes mes en- 
trailles se rempliraient de vos discours. Qui 
pourrait me donner de tels avis? Oh! oui 
certainement, mon ami, vous avez rempli 
votre devoir devant Dieu, et je vous en remer- 
cie! Reposez-vous, reposez-vous, mon ami. » 
Les dames qui allaient rendre visite aux 
épouses des souverains prononçaient aussi un 
discours conçu en ces termes : 



Discours des dames à la souveraiue. 

(( Madame, soyez heureuse autant que Dieu 
le permettra et qu'il vous maintiendra sur ce 



38 RAPPORT SUR LES CHEIS 

ttàne que vous occupez en son nom. Servez^le> 
reconnaissez les grâces que vous avez reçues 
de sa main ^ veillez à son service, qu'il soit 
l'objet de vos pensées et de vos soupirs. Pre- 
nez courage, confiez-vous en Dieu. Qui mieux 
que lui peut remplir la charge qu'il vous a 
imposée? — Que deviendraient vos sujets et le» 
pauvres sans vous? Tous prient Dieu pour 
vous, afin que vous les abritiez sous vos 
grandes ailes, comme les oiseaux abritent leurs 
petits. Ils s'adresseront à vous pour que vous 
les secouriez et que vous les consoliez ; faites 
attention, madame, n'en oubliez aucun puis- 
que vous êtes l'abri , le refuge et la conso- 
lation de tous. — Regardez vos sujets avec 
douceur et bonté , ne les découragez pas, ne 
leur dites rien de désagréable; au contraire, 
élevez-les tout doucement comme des enfants, 
et ne les étouffez pas dans l'oubli avec le 
bras de la négligence. — Ne soyez ni crain- 
tive ni avare; mais libérale et miséricor- 
dieuse. Ouvrez les ailes de la piété, afin que 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 39 

VOS enfants, qui sont vos sujets, viennent s'y 
réchauflFer et quHls y trouvent de la consola- 
tion. Par ce moyen ils se multiplieront, votre 
puissance augmentera, et vous ne serez que 
mieux obéie, car vous êtes la souveraine et la 
mère de tous. Voilà comme vous mériterez 
d'être chérie et servie avec zèle. — Ne sovez 
pas avare de douces paroles ni de consola- 
tions, et vos sujets feront de bon cœur ce que 
vous leur ordonnerez. — Quand ils seront 
affligés, ils viendront vers leur souveraine et 
leur mère pour exposer leurs chagrins, et 
lorsque Dieu voudra vous retirer de ce monde, 
tous pleureront en se rappelant l'amour que 
vous leur avez montré et les bienfaits qu'ils 
ont reçus de vous. — Chaque jour vous vous 
approchez de la mort, madame, réfléchissez 
bien à tout ce que je vous ai dit. Si vous suivez 
mes avis, vous laisserez après vous un bon 
souvenir et un bon exemple qui se propageront 
même dans les contrées les plus éloignées 
de vos états, et vous habiterez dans le cœur de 



40 RAPPORT SUR LES CHEFS 

tous. Si VOUS ne vous montrez pas reconnais- 
sante envers Dieu des bienfaits qu'il vous a 
conférés en vous comblant d'honneurs et de 
puissance , ce sera votre faute , madame^ votre 
ruine , et vous en aurez la honte : si , au con- 
traire , vous lui témoignez votre reconnais- 
sance, il vous en récompensera. Je ne veux 
pas vous ennuyer davantage. » • 



Réponse de la souverarne. 

« Ma sœur, je vous remercie beaucoup de 
vos bons avis, que, grâce à Dieu, j'ai reçus avec 
grand plaisir. Vous venez de rendre service 
au Seigneur et à son peuple, et moi j*ai ac- 
cepté vos bons conseils. — Que suis-je? que 
suis-je pour avoir une bonne opinion de moi? 
Une pauvre femme, un vase sujet à la cor- 
ruption. — Je n'oublierai de ma vie ni votre 
affection , ni vos discours, ni les larmes avec 
lesquelles vous m'avez encouragée. Je vou- 
drais être digne de la peine que vous avez 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 41 

prise, et suivre vos conseils de mère; je vous 
en suis bien reconnaissante. — Reposez-vous, 
ma sœur, et soyez heureuse. » 

Quiconque a eu des rapports avec ce peuple 
ne s'étonnera pas de ces sages discours. 

Lorsque je visitai le pays de Guatemala, en 
traversant des forêts et des montagnes par des 
chemins escarpés et difficiles, chaque jour 
des envoyés venaient me voir et me deman- 
daient de la part de leurs chefs éloignés quand 
j'irais les visiter; car ceux qui n'étaient pas 
loin venaient eux-mêmes. Tous me tenaient 
les meilleurs propos, ils me remerciaient des 
fatigues que j'endurais pour eux dans un pays 
si sauvage. J'en ressentais en vérité un vif 
contentement, qui m'aidait à supporter 
les fatigues extraordinaires que j'éprouvais à 
remplir l'objet de ma visite, qui était de voir 
par moi-même et de recueillir des informa- 
tions. Ces gens disaient, soit qu'ils vinssent 
eux-mêmes ou qu'ils m'envoyassent leurs 
femmes et leurs fils, qu'ils étaient tous recon- 



42 RAPPORT SUR LES CHEFS 

naissants : ils me faisaient remettre des pré- 
sents , et les plus voisins amenaient avec eux 
leurs enfants même en bas âge. 



On a injustement accusé les Indiens de manquer de raison. 

C'est à tort qu'on les a accusés de manquer 
dMntelligence et d'être ingrats ; s'ils donnent 
quelques sujets de le croire, c'est lorsqu'ils 
sont troublés par la peur, résultat des horribles 
cruautés que l'on a exercées contre eux et 
que Ton exerce encore, ce qui empêche de 
croire aux bonnes qualités que l'on nous a 
rapportées d'eux. U'n'y a pas d'Indien, quel- 
que grossier qu'il soit, qui, sans avoir vu 
des Espagnols, ni eu des rapports avec eux, 
ne leur donne tout ce qu'ils demandent et 
ne leur rende toute espèce de service. Ils 
sont doués de beaucoup d'intelligence, s'ac- 
quittent parfaitement des messages dont on les 
charge, exposent fort bien leurs prétentions 
sans se troubler, soit devant le vice-roi , soit 



DE LA NOIIVELLE-ESPAGNK. 43 

devant l'audience, comme s'ils eussent été 
élevés par des gens très-capables et qu'ils se 
fussent occupés toute leur vie de ce genre 
d'affaires. Je pourrais encore citer d'autres 
exemples, si c'était nécessaire. Je supplie Votre 
Majesté de me pardonner ces détails, je n'ai 
d'autre intention que celle de lui être utile, 
et de lui faire savoir combien ont tort les 
personnes qui disent du mal des naturels , et 
j'ai craint que l'occasion ne se représentât 
plus de lui exposer toute ma pensée. 



Titres des souverains. 



Les souverains se nommaient et se nomment 
encore Tlatoques, mot qui vient du verbe tla-- 
toa , qiii veut dire parler, parce que, comme 
chefs et véritables seigneurs, ils étaient inves- 
tis de la juridiction civile et criminelle, ainsi 
que du gouvernement suprême de toutes les 
provinces et villes dont ils étaient maiti^s. 
Us avaient sous eux deux autres espèces 



44 RAPPORT SUR LES CHEFS 

de chefs, comme on l'expliquera plus loin. 



Les jeunes gens ne gouvernaient pas. 

A la mort du souverain , s'il laissait un fils 
ou un petit-fils en bas âge , ou si celui à qui 
revenait la succession était trop jeune, on 
remettait le gouvernement entre les mains 
du vieillard de la famille qui paraissait le plus 
habile, et cela dans Tordre qui a été indiqué, 
c'est-à-dire au parent le plus proche, ou à son 
défaut à celui qui venait ensuite s'il était ca- 
pable. Lorsqu'il n'y avait pas de parents, un 
autre chef était choisi et le souverain su- 
prême le confirmait. Celui de Mexico nommait 
ceux de Tezcuco ou de Tacuba, et ceux de 
Tezcuco ou de Tacuba confirmaient l'élection 
du tuteur du souverain de Mexico. Ces vieil- 
lards étaient comme les curateurs du nouveau 
souverain. On ne leur retirait pas ces charges 
pendant leur vie ; mais aussitôt qu'ils mou- 
raient, le successeur était investi de l'auto- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 45 

rite. Cette règle s'observait tant à l'égard 
du souverain suprême que des chefs infé- 
rieurs, qui, dans leurs provinces, gouver- 
naient sans contrôle. D'autres disent qu'en 
effet si le curateur ou tuteur était un parent , 
il conservait la puissance toute sa vie, bien 
que le nouveau souverain atteignît l'âge de 
gouverner, et qu'il administrait tout sui- 
vant sa volonté ; mais que s'il n'était pas pa- 
rent du nouveau seigneur, celui-ci, parvenu à 
l'âge de régner, le dépouillait de son carac- 
tère et de l'autorité. J'en ai été témoin dans 
une ville capitale près de Guatemala, L'âge 
voulu pour gouverner était trente ans et 
plus. 



Les Indiens n'étaient pas barbares comme on le dit. 

On voit par ce qui précède, et par les céré- 
monies qui avaient lieu, que tout ce qui se 
pratiquait, quant à la succession et à l'élection 
des chefs, était conforme aux droits naturel , 



46 RAPPORT SUR LES CHEFS 

divin , civil et canon , quoique ces règles leur 
fussent inconnues. On pourrait ajouter ici 
d'autres exemples pour faire voir que ces peu- 
ples ne sont pas aussi privés de raison que 
quelques personnes l'ont prétendu; mais^ en 
traitant des impôts, on ne manquera pas d'oc- 
casions de le remarquer. 

Seconde classe de chefs. — Leurs titres. 

La seconde classe de chefs se nomme Tec 
Tecutzcin ou Teutlej. Il y en a un grand 
nombre d'espèces qui tirent leurs noms de leurs 
dignités et de leurs grades ; mais comme ils sont 
très-nombreux, et qu'il n'est pas important 
de les détailler, on s'en abstiendra. Les Teu- 
tley étaient ce que sont en Espagne les com- 
mandeurs des ordres militaires ; lem^s rentes et 
privilèges étaient plus ou moins considérables. 

Sur les noms propres. 

Il est à propos de faire ici une remarque re- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 47 

lative aux noms. Ceux de dignités , d'emplois, 
de villes, de montagnes ou de forêts étaient 
tirés de la qualité des personnes, de la fertilité 
ou de la stérilité du territoire : c'est ainsi 
que le Mechoacan portait ce nom à cause du 
grand nombre de poissons qu'on y péchait; 
Teguantepec voulait dire les montagnes des 
serpents ,• il en est de même des autres noms 
propres. 

Seigneurs à vie. 

Les chefs qui, comme nous l'avons dit, se 
nommaient Tec Tecutzcin , ouTeutley au plu- 
riel, n'exerçaient le commandement qu'à vie, 
parce que les souverains suprêmes ne les éle- 
vaient à ces dignités qu'en récompense des 
exploits qu'ils avaient faits à la guerre, et des 
services rendus à l'état ou au prince. Ces di- 
gnités leur étaient accordées comme lorsque 
Votre Majesté donne une commanderie à vie. 
Il y avait parmi eux des supérieurs et des in- 
férieurs. 



48 RAPPORT SUR LES CHEFS 



Noms des maisons des chefs. 

Les maisons de ces chefs se nommaient 
Teccalliy ce qui veut dire palais ou maison des 
Tecutli ou seigneurs : Calli signifie maison. Le 
Tecutli , ou chef, commandait la peuplade 
établie autour du Teccalli. Elles étaient plus 
ou moins nombreuses. 



Privilèges des chefs. 

Voici les avantages que ces chefs retiraient 
de leurs dignités : les naturels les servaient 
chez eux, leur fournissaient du bois, de l'eau, 
chacun à proportion de la prestation qui 
lui était imposée; cultivaient les terres, et 
pour cela on les exemptait du service du 
souverain suprême et de travailler dans ses 
domaines. Ils étaient tenus seulement du ser- 
vice militaire, pour lequel aucune espèce 
d'excuse n'était admise. Outre ces avantages. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 49 

le souverain suprême payait une solde à ces 
chefs, et leur faisait délivrer des rations. Ceux- 
ci se tenaient continuellement dans son palais 
pour former sa cour. 



Office des chefs de la seconde classe. 

Ces chefs étaient chargés de faire cultivei* 
les terres tant pour eux que pour les particu- 
liers; ils avaient au-dessous d'eux des offi- 
ciers qu'ils commandaient. Ils devaient aussi 
prendre soin des naturels qui leur étaient 
confiés, faire les démarches nécessaires, por- 
ter la parole en leur faveur, les défendre, les 
secourir; de sorte qu'ils travaillaient à la 
fois au bien public et au bien du souverain. 



Ces charges n'étaient pas héréditaires. 

Lorsqu'un de ces chefs mourait, le prince 

accordait sa charge à celui qui s'en était rendu 

digne par ses services, car les fils du défunt 
11. 4 



50 RAPPORT SUR LES CHEFS 

n'çq héritaient pas s'ils n'ei> étaient pas in- 
ve$jti^; néanmoins, le souverain tenait tou- 
jours compte de leur qualité d'héritiers, s'ils 
en étaient dignes; autrement il dontiait Isl 
charge à un Pille (i) : c'est ainsi que l'on 
nomme les nobles. 



Troisième classe de chefs. 



Les chefs de la troisième classe se nomment 
encore Calpullec au singulier, et Chinancallec 
au pluriel, c'est-à-dire chefs de race ou de 
famille fort ancienne, du mot Calpulli ou Chi- 
nancalli , qui est le même , et signifie un quar- 
tier (barrio) habité par une famille connue 
ou d'une origine ancienne , qui depuis très- 
longtemps possède un territoire dont les déli- 



(1) Molina, dans son Dictionnaine mexicain ^ écrit />i7/i\ qu'il 
traduit par cavaltero, noble persona^ et chinancalli par c^rcado 
de seto , enceinte fermée par mie haie. Nous avons cru devoir 
rendre par quartier le mot barrio , qui , dans certains caè , ré^ 
pond aussi aux expressions françaises village , arronditôement, 
tribu, etc. {Note de l'éditeur,} 



DE LA NOUVELLF>ESPAGNE. 51 

mitations sont connues et tous les membres 
de la même lignée. 



Ces terres appartenaient à tous les membres du caipulli. 

Les calpullis, familles ou quartiers, sont 
très-comrhuns dans chaque province. Dans 
lés terres que l'on donnait à vie aux chefs de 
la seconde classe , il y avait aussi des calpul- 
lis. Ces terres sont la propriété de la massé du 
peuple depuis que les Indiens sont arrivés dan s 

ce pays. Chaque famille ou tribu reçut une 
eeirtaine portion de terrain pour en jouir à 
perpétuité. Elles portent aussi le nom de cal- 
puïli , et la propriété en a été respectée jus- 
qu'à présent. Elles n'appartiennent pas en 
particulier à chaque habitant du village, mais 
au caipulli qui le possède en commun. Celui 
qui Icfs a reçues du souverain n'a pas droit de 
les aliéner ; il ne peut qu'en jouir pendant sa 
vie, saps les laisser à ses enfants ou à ses hé- 
ritiers. 



52 RAPPORT SUR LES CHEFS 



Origine des calpullis. 

Les calpullis sont plus ou moins grands , 
plus ou moins importants, suivant le partage 
que les anciens conquérants ou colons ont 
fait du territoire; ils appartiennent à leurs 
descendants. Lorsqu'une famille s'éteint par 
la mort de tous ses membres , les terres 
qu'elle possédait reviennent à la communauté 
du calpulli, et le chef les distribue à ceux du 
quartier qui en ont le plus grand besoin, sui- 
vant la coutume qui sera rapportée plus loin. 
Ainsi, jamais on n'a pu les donner à des per- 
sonnes étrangères au calpulli , de même que 
chez les Israélites il n'était pas permis de faire 
passer les terres d'une tribu dans une autre. 
Ce fait et d'autres encore ont fait penser à cer- 
taines personnes que les naturels de ce pays 
descendaient du peuple juif. Un grand nombre 
de leurs cérémonies , de leurs usages et de 
leurs coutumes ressemblent à ceux des Is- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 53 

raéiites. On dit même que la langue du 
Mechoacan, qui était un royaume impor- 
tant, contient un nombre considérable de 
mots hébreux, et que presque tous les au- 
tres se prononcent d'une manière analogue à 
la langue hébraïque. Les personnes qui ont 
été dans les provinces du Pérou et dans les 
autres parties des Indes affirment qu'on y 
fait la même remarque, et que les cérémonie» 
et les rites sont semblables à ceux des Juifs. 
Enfin, ce que l'on appelle calpulli à la Nou- 
velle-Espagne répond à ce que chez les Israé- 
litjes on nommait tribu. 



Ces terres s'affermaient à des habitants d'un autre calpulli. 

On pouvait, en cas de besoin public du 
calpulli , louer ces terres à des habitants d'un 
autre calpulli; mais c'était la seule circon- 
stance. Dans aucun cas il n'était permis, et c'est 
encore défendu aux membres d'un calpulli, 
de travailler aux terres d'un autre calpulli. 



6 A RAPPORT SUR LÉS CHEFS 

a^n d'éviter que les habitants ne se mélept 
et qu'ils ne changent de famille. 



Raiions qui engag^sàient les Indiens à prendre ces terres 

afferme. 



lU avaient plusieurs raisons pour prjendre 
ces terres à ferme plutôt que de les joindre à 

leur calpulli : d'abord on les leur cédait ayant 

• ■ > 

déjà été cultivées , moyennant une rente mo- 
dique ou une partie des fruits, suivant les 
conventions; secondement il pouvait arriver 

t. 

qu'elle.^ fussent meilleures que celles qu'ils 
possédaient déjà ou qu'on leur aurait distri- 
buées dans leur calpulli ; ou bien on ne pouvait 
pas leur en donner, ou enfin il leur était facile 
de cultiver les unes et les autres. 



Celui qui quittait son calpulli perdait ses terres. 

Si, par hasard, le membre d'un calpulli 
le quittait pour aller demeurer dans un autre, 



DB LA "nOUVELLE-ESPAGNË. 55 

on lui retirait les terrés qui lui avaient été 
assignées , en vertu d'une <îouttime qui ré- 
monte à uile époque fort reculée, et qui ja- 
mais n'a été violée. Ces terres revenaient en 
commun au calpulli, et le chef les partageait 
entre les habitants qui n'en avaient pas. 



Surveillance des terres du calpulli. 

• ■ _ 

Ldràque clans uri calpulli il y a des terrains 
incultes et j)rbpres à la culture, on fait la plus 
grande atteiition à ce que les membres d'un 
autre calpulli he s'y installent pas , ce qui 
ofccasiorihe dés querelles très-sérieuses entre 
les Iiîdiéhs. ' 



r.e rreillat'd le plus âgé ou le chef du calpulli donne des terre;^ 

a. celui qui n'en a pas. 



L'habitant qui n'a pà^ de terre en deniafndé 
au chef de la tribu, qui, sur l'avis dès autres 
vieillards,, luiien di$tribwe en raison de ^ 



56 RAPPORT SUR LES CHEFS 

besoins , de sa qualité et de ses forces. Ces 
terres passent à ses héritiers, suivant la règle 
qui a été rapportée ; mais le chef ne fait rien 
sans consulter les autres vieillards du calpulli. 



- • » ■ 

On laissait les terres à celai ^tii les cultivait. 

Personne ne pouvait s'établir dans les terres 
qu'un habitant du calpulli cultivait , et le chef 
n'avait pas le droit de les lui ôter pour ies 
donner à d'autres. Si elles étaient mauvaises , 
le possesseur pouvait les abandonner ou en 
chercher de meilleure^ qu'il demandait à son 
chef, qui les lui accordait si elles étaient va- 
cantes, en observant les règles rapportées. . 



Celui qui négligeait ses terres était sommé de les cultiver. 

Le propriétaire qui ne cultivait pas pendant 
deux années, par sa faute ou par négligence , 
sans juste cause, comme, par exemple, s'il 
était mineur, orphelin, trop âgé, malade ou 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 57 

incapable de travailler, était averti de les cul- 
tiver; et s'il ne le faisait pas, l'année d'ensuite 
on les donnait à un autre. 



En donnant ces terres à des Espagnols, on a commis 

des injustices. 



Ces terres appartenant en commun aux cal- 
pullis, on a commis des injustices en les don- 
nant à des Espagnols, ce qui se fait encore 
aujourd'hui. Ceux-ci, voyant des terres in- 
cultes, les demandent aux personnes qui gou- 
vernent. Les officiers chargés de les visiter 
servent mal les intérêts des Indiens, et 
s'il arrive qu'un chrétien honnête ait cette 
commission, celui qui a demandé les terres 
intrigue pour que l'on en choisisse un 
autre qui le favorise et qui fasse annuler 
la première décision , ce qui arrive surtout si 
quelque personne d'autorité s'est mêlée de 
Taffaire, comme cela ne manque jamais; d'où 
il résulte que l'on conclut constamment que 



58 RAPPORT SUR LES CHËFd 

l'on peut adjuger les terres à eelui qth \tÈ de- 
mande ^ sans faire tort à qui que ce isoit^ at- 
tendu qu'elles sont incultes, et èela bien qu'il 
y ait des Indiens qui les possèdent, qu'elles 
aient été déjà cultivées, et malgré l'opposi- 
tion de la part des membres du calpulli. 
Si les chefs disent qu'ils les gardent pour 
ceux qui doivent se marier, ou poui^ les ha- 
biteifats qui n'ôtat pas de terre, ces ôbjectioiid 
ne sont pas jirisès en considération, et Viiii 
prétend qu'ils les font par taëchanceté. On voit 
par Un passage d'une lettre que Votre Majesté 
fit écrire à l'audience dé Mexico , aii mois àè 
septembre 1556, que plusieurs péhsondès ont 

* * 

exposé leurs droits à Votre Majesté; en effet', 
il n'y a pas de ferme, pas de terre qùî aient* 
été données aux Espagnols sans faire le plus 
grand tort âiix Indiens, en les dépouillant de 
leur pi^ôpriété, en les chassant de leur jiays, 
en les forçàtit d'être sans cesse occupée à' fa 
garde de leurs ehâîtips ensemencés; encore, 
malgré leurs soins, les troupeaux détriii- 



I)E LA NOUV^LLE-ESPAGltE. 59 

sent- ils leurs récqjtes. Quplqwfois mêitie, 
bien que des terres aient u» propriétaire, 
et qu'elles soient ensemencées > on s'çn em- 
pare et on |es adjuge 4 des Espagnols sous 
prétexte que Içs Indiens ne les ont cultivées 
que par malice, pour empêcher qu'on ne 
les leur donne. Ceci est cause que 4ans 
certains pays les Espagnols ont tant étendu 
leurs cultures, qu'il nç reste pas de terrain 
labourable pour les naturels. Dans d'autres, 
les fermes et les troupeaux de gros bétail se 
sont tellement multipliés qu'il en résulte de 
graves inconvénients. Les bétes à cornes qui 
pâturent sans être gardées ravagent le peu 
de cultures qui sont restées aux Indiens, 
malgré la garde qu'ils font jour et nuit pour 
les conserver: aussi sont-ils dans la mi- 
sère et meurent-ils de faim toute Tannée. 
J'exposerai plus loin les autres vexations qui 
les empêchent de se livrer à l'agriculture, et 
de profiter de leurs récoltes, toutes faibles 
qu'elles soient. 



60 KAPPOKT SUR LES CHEFS 

On n'a pas compris que ces terres sont la 
propriété commune des calpullis; il est résulté 
de là que, surtout dans ceux qui sont près 
des Espagnols et dont le sol est fertile, il nV 
a plus de terrain que Ton puisse mettre en 
culture, ce qui occasionne de grands excès et 
de grands désordres, outre que les troupeaux 
des encomenderos (1), qui sont toujours sur 
les territoires des Indiens, v occasionnent 
des dégâts considérables. 

Des chefs des calpuUis. 

Les calpullis ont toujours un chef pris né- 
cessairement dans la tribu; ce doit être un 
des principaux habitants, un sujet habile qui 
puisse les secourir et les défendre. L'élection 
se fait entre eux. Ils v sont fort attachés. 



(i) Cette expression n'a pas de correspondant en français; 
dans l'origine , les encomenderos étaient des conquérants à qui 
le roi avait accordé des terres et des Indiens. L'encomendero 
était chargé de veiller à la conversion des Indiens, qui, de leur 
côté , lui devaient des redevances et des prestations person- 
nel les . ( IVoie de r éditeur. > 



I)E LA NOUVELLE-ESPAGNE. 61 

comme les habitants de la Biscaye et des 
montagnes à celui qu'on appelle pn n'ente 
major. La charge de ces chefs n'est pas hé- 
réditaire ; quand il en meurt un, ils élisent 
à sa place le. vieillard le plus respecté, le plus 
sage, et le plus habile pour un pareil emploi. 
Si le défunt a laissé un fils qui soit capable, 
le choix tombe sur lui , et constamment on 
préfère un parent de l'ancien chef. 



Occupations du chef. 

Ce chef est chargé du soin des terres du cal- 
pulli et d'en défendre la possession; il con- 
serve des peintures qui représentent les pro- 
priétés , le nom des possesseurs , la situation , 
les limites des terres, le nombre d'hommes 
qui les cultivent, la fortune des particuliers, 
la désignation de celles qui sont vacantes, de 
celles qui appartiennent à des Espagnols, la 
date de la donation, à qui et par qui elles 
ont été données. Il renouvelle constam- 



62 RAPPÔKT SUR LES CHEFS 

ment ces peintures, suivant les mutations 
qui arrivent, et ils y sont fort habiles. Comnie 
nous l'avons dit, ce chef est chargé àe distri- 
buer des terres à ceux qui n'en possèdent pus 
ou qui en ont trop peu en proportion de leur 
famille. Il a soin de défendre les membi'ès 
du calpulli, de parler pour eux devant la 
justice et les gouverneurs. Dans ces circon- 
stances, les habitants du caIpuHi se réunis- 
sent pour traiter les intérêts communs^ et 
régler la répartition des impôts, ou ce qui a 
rapport aux fêtes, qui occasionnent au chef 
des dépenses considérables ; car lors des as- 
semblées annuelles, qui sont très-nom- 
breuses , il distribue gratuitement des vivres 
et des boissons, mesure nécessaire pour con- 
tenter lès Indiens et les tenir tranquilles. En 
répondant au quatrième paragraphe , je dirai 
quels sont les revenus des chefs et comment 
ils pourvoient aux dépenses de la commu- 
nauté. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 63 

La conservation des calpuUis est très-importante. 

Le hfon ordr^ qui règne dans les ciilpùnis 
est une forte raison pour les protéger devant 
la justice et pour empêcher qu'ils ne se con- 
fondent comme ils le sont déjà presque tous; 
car si on les divise, jamais on ne pourra réta- 
blir l'ordre qu'on remarquait dans le prin- 
cipe. L'ignorance où l'on était de ces institu- 

% 

tions, et le peu de cas que l'on en a fait, $ont 
cause que l'on a accordé à beaucoup d'Indien^ 
des terres de leurs calpullis qu'ils avaient 
reçues seulement pour les cultiver, et sur la 
simple assertion qu'ils les ont possédées et 
cultivées eux et leurs ancêtres. En agissant 
ainsi, ils ne font que suivre les conseils des 
Espagnols , des métis et des mulâtres, qui les 
engagent dans des procès , et qui vivent de ces 
contestations, comme jel'expliquerai plus loin. 
C'est en vain que les chefs contredisent ces pré- 
tentions et assurent que ces terres appartien- 
nent au caipulli, on ne les écoute pas, les vrais 



64 RAPPORT SUR LES CHEFS 

propriétaires en sont dépouillés, et ceux à qui 
on les adjuge n'en profitent pas, car ils les ven- 
dent ou les aliènent au détriment ducalpulli. 

Quatrième classe de chefs. 

La quatrième classe de chefs ou caciques 
se compose de ceux qui, n'ayant ni seigneu- 
ries ni autorité, sont seulement nobles de 
race : on les nomme Pipiltzin , dénomination 
générale, qui signifie personnage de distinc- 
tion , comme nous disons en espagnol cabal- 
lero (gentilhomme). Tous les fils de souve- 
rains «e nomment Tlatopipiltzin , ce qui veut 
dire fils de souverains; ceux qui portent le 
titre de pipiltzin ne sont que leurs petits-fils 
ou arrière-petits-fils. Après ces nobles, il y 
en a d'autres que l'on nomme tecquïvac (i), 
autrement dit hidalgos ( gentilshommes ) ; 

(i)On trouve dans le P'ocabulaire de Molina : tecuyva^ titre 
de dignité, et non tecquïvac. Soit ignorance de Tauteur de ce 
rapport, soit inattention du copiste , la plupart des mots mexir 
cains sont orthographiés d'une manière fautive. 

{Note de V éditeur.) 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 65 

ce sont les fils de ceux qui avaient les 
charges dont on vient de parler. Tous ces 
chefs et leurs descendants étaient exempts 
d'impôts parce qu'ils étaient nobles ou guer- 
riers. Us se tenaient constamment dans le 
palais du souverain suprême, réunis en 
nombre fixe pour transmettre ses ordres, 
d'un côté ou d'un autre, se relevaient à 
tour de rôle, et remplissaient différents em- 
plois ou administraient la justice. Outre 
l'exemption des impôts , ils jouissaient d'un 
grand nombre de privilèges, étaient nourris 
et logés aux frais du souverain; mais aujour- 
d'hui ils sont tout à fait déchus , soumis aux 
charges publiques , dans la pauvreté la plus 
absolue et la plus profonde misère. 



REPONSE A LA SECONDE QUESTION DU PARAGRAPHE IX 

Les chefs gouvernaient , et exerçaient la juridiction civile 

et criminelle. 

A l'égard de la seconde partie de ce para- 
il. 5 



66 RAPPORT SLR LES CHEFS 

graphe, où il est question du pouvoir et de la 
juridiction que ces caciques ou seigneurs exer- 
çaient dans le temps de leur idolâtrie , il ré- 
sulte des informations que les souverains 
avaient la juridiction civile et criminelle, et 
gouvernaient tout le pays. Au-dessous d'eux 
étaient des officiers et des magistrats chaînés 
de rendre la justice ou de la faire exécuter. La 
réponse à la troisième et à la quatrième partie 
de ce paragraphe donnera de plus grands dé- 
tails à ce sujet. 



REPONSE A LA TROISIEME QUESTION. 



Pour répondre à la troisième partie du pa- 
ragraphe IX, où Ton demande quelle espèce 
d'autorité les chefs exercent aujourd'hui , il 
est nécessaire d'exposer leur manière de gou- 
verner pendant les premières années qui ont 
suivi la conquête. Lorsque les rois de Mexico , 
de Tezcuco et de Tacuba faisaient la con- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 67 

quête d'une pmvince, ils étaient dans l'usage 
de maintenir tous les chefs naturels, su- 
prêmes ou inférieurs, dans leur autorité. 
Le peuple conservait constamment ses pro- 
priétés, enfin on respectait les usages, les 
eoutumes et la forme du gouvernement 
établi. 



Terrains désignés à la culture par le conquérant. 



Ces souverains désignaient des territoires 
proportionnés à leurs conquêtes; les vaincus 
les cultivaient en commun et y faisaient des 
semailles appropriées au sol. Cette espèce de 
tribut ou d'hommage-lige se payait à des in- 
tendants ou officiers préposés par les souve- 
rains de Mexico, de Tezcuco ou de Tacuba, 
suivant que les vaincus étaient devenus vas- 
saux de l'un ou de l'autre prince. De plus, ils 
étaient soumis au service militaire, obligation 
imposée indistinctement à toutes les provin- 



68 RAPPORT SUR LES CHEFS 

ces conquises. Les chefs, restant seigneurs 
comme avant la guerre , conservaient la juri- 
diction civile et criminelle dans toute reten- 
due de leurs domaines. 



Coutume suivie dans les états indépendants. 

Dans les provinces indépendantes^ telles 
que le Méchoacan, le Mextitlan, Tlaxcala, 
Tepeaca, Ghollolan, Huetxocingo, Opolt- 
zinco^ Acapulco, Acatepec, et autreis , les 
chefs ne reconnaissaient pas de suzerains. 



Manière générale de contribuer. 

En général , les sujets apportaient à leurs 
chefs les contributions en nature, quelques 
classes les acquittaient par leur propre travail. 
Ces impôts étaient légers , mais comme la po- 
pulation était nombreuse , ils finissaient par 
produire un résultat considérable. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 69 



Forme de gouvernement respectée à l'époque de la conquête. 

Ce système de gouvernement subsista en- 
core quelques années après la conquête, Mon- 
tezuma seul perdit son royaume, qui fut réuni 
à la couronne de Castille. Plusieurs de ses 
villes furent données à des Espagnols. Dans 
la plupart des autres états , dépendant ou non 
de son empire, dans les royaumes de Tezcuco 
et de Tacuba, le pouvoir resta entre les mains 
des chefs, et bien que Votre Majesté ou 
les encomenderos en eussent le domaine di- 
rect, ces princes conservèrent le domaine 
utile; néanmoins, on diminua leurs rentes 
et le nombre de leurs vassaux. 



Gomment s est introduit l'usage de s'adresser aux chefs 

pour les impôts. 



Suivant Tusage établi avant la conquête, 
les contribuables continuèrent de payer en 



70 Rapport sur les chefs 

nature, età leurs chefs, les impôts dus à Votre 
Majesté ou aux encomenderos. Des officiers, 
institués à cet effet, les percevaient de la main 
même des chefs indiens, de sorte que ceux-ci 
ne perdaient rien de leur ancienne autorité et 
de la considération qui leur était due. Les 
sujets leur obéissaient aveuglément et les ser- 
vaient, comme auparavant, tant en payant 
les impôts qu'en faisant les corvées. De là 
vient qu'encore aujourd'hui c'est aux chefs 
que l'on s'adresse pour les impôts^ cç qui leur 
occasionne des vexations, car, ainsi qu'on 
le verra plus loin, ils sont déchus de leur 
puissance, et les sujets ne leur obéissent plus. 



Causes de la déconsidération des chefs. 

Dans le principe, on n'avait pas revêtu les 
chefs indiens des charges d'alcalde, de gou- 
verneur ni d'alguazil ; en le faisant depuis, on 
les a tout à fait dépouillés de leur autorité. Le 
pouvoir qu'ont les encomenderos de les dé- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 71 

poser sous leur bon plaisir^ a beaucoup con- 
tribué à diminuer la considération dont ils 
jouissaient. Quand ils n'en sont pas satisfaits 
pour la perception des impots ou pour les 
prestations personnelles, ils les remplacent 
par un macehuale qui se soumet entière- 
ment à leurs volontés. Il en est de même des 
calpiques , Indiens placés dans les villages par 
les commandeurs pour exiger chaque jour les 
prestations, percevoir les rentes et envoyer 
les hommes aux mines. Ces officiers vexent 
les naturels de tout leur pouvoir afin de com- 
plaire à leurs maîtres, et chaque fois qu'un 
chef leur déplaît, ils le déposent et le rem- 
placent par un autre. 



Résultat de la création des charges^ 

11 est résulté de l'abus de l'institution des 
charges d'alcalde, régidor, alguazil et procu- 
reur fiscal t|Uî existent aujourd'hui, qu'un 
grand nombre Ho personnes dilapident la for- 



72 RAPPORT SUR LES CHEFS 

tune publique, qu'elles y sont autorisées et 
peuvent le faire sans crainte de contrôle. 
Chaque année le notaire du gouvernement 
amasse des trésors, car tous ces officiers se pré- 
sentent devant lui pour se faire confirmer dans 
leurs charges. 



Inconvénients qui naissent des voyages que font les officiers 
pour se faire confirmer dans leurs charges. 



Un grand nombre et même la plupart de 
ces nouveaux officiers tombent malades et 
meurent en voyage, ce qui provient de la di- 
versité des climats , car ils sont souvent d'un 
pays fort éloigné, puisqu'il y en a qui vien- 
nent de cent lieues et plus. Ils dépensent en 
route presque tout ce qu'ils possèdent. Il serait 
donc très-nécessaire d'éviter que ces officiers 
vinssent se faire confirmer dans leurs charges, 
il devrait suffire qu'ils fussent nommés dans 
leurs villages ; mais ce qui vaudrait mieux pour 
le moment, ce serait de supprimer les alcaldes 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE, 73 

et les alguazils qui ne font que piller le peuple, 
le vexer, ne pensent qu'à leurs plaisirs et ne 
s'occupent pas de la perception des impôts ; 
d'autant plus qu'il y a dans toutes les pro- 
vinces des alcaldes majors, des corrégidors, 
des lieutenants et des alguazils espagnols qui 
ont sur les Espagnols et sur les Indiens la ju- 
ridiction civile et criminelle. Jedirai plus loin 
pourquoi il vaudrait mieux qu'il n'y en eût 
pas dans les villages indiens. 



Tout était bien réglé sous le gouvernement des chefs indiens. 

Lorsque le gouvernement était entre les 
mains des chefs naturels, le pays était sou- 
mis et tranquille. Ils exerçaient l'autorité, 
percevaient les impôts, faisaient cultiver les 
terrains communaux ou ceux des particuliers, 
et s'occupaient à réunir dans chaque village 
les Indiens qui devaient le service personnel 
aux Espagnols. Ils prenaient en considération 
la qualité et les moyens de chaque ville pour 



74 RAPPORT SUR LES CHEFS 

régler ce qu'elles devaient payer, en distri^ 
huaient le montant à ceux qui y avaient droit 
et allaient eux-mêmes percevoir les impôts, 
ce qui leur a attiré les vexations dont ils sont 
victimes aujourd'hui. A cette époque tous 
les villages étaient pacifiques; il n'y avait ni 
trouhle, ni procès; les chefs jouissaient pai- 
siblement de ce qu'on leur avait laissé , terres, 
vassaux , rentes ou patrimoines , et levaient 
les impôts suivant leur ancien usage , à titre 
de souverains, comme ils l'étaient avant de se 
soumettre à Votre Majesté. 



Origine de la discorde qui est née entre les chefs 

et leurs vassaux. 



Sous ce bon gouvernement, si convenable 
aux chefs et aux sujets , quelques religieux , 
émus d'un saint zèle , se lièrent avec les 
chefs qui venaient se confesser à eux et s'in- 
struire dans la religion. Pour éclairer leur 
conscience, ils leur rendirent compte de lad- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 75 

ministration de leurs états et des impôts qu'ils 
levaient. Les i^ligieux les engagèrent à dé- 
grever leurs sujets d'une partie de ces charges^ 
en raison de ce qu'ils payaient à Votre Ma- 
jesté , et en votre nom aux encomenderos, en 
reconnaissance de la religion qu'on leur avait 
fait connaître, pour pourvoir à l'entretien 
des prêtres qu'on leur avait envoyés (ce qui 
était de toute justice) ainsi que pour les dé- 
penses de l'audience royale , instituée pour les 
protéger. Ces Indiens, qui professaient le plus 
grand respect pour ces serviteurs de Dieu, con- 
sentirent à ce qu'ils demandaieut. Le résultat 
des conventions réglées entre eux fut ré- 
digé par écrit et signé afin d'établir d'une 
manière positive les impôts que les sujets de- 
vaient payer. Les gens de loi et des personnes 
instruites approuvèrent cet accord , et le vice- 
roi, qui gouvernait à cette époque, en fut si 
satisfait qu'il voulut et ordonna que tous les 
autres seigneurs du pays fussent astreints 
de tenir ce contrat que Ton mit à exécution. 



76 RAPPORT SUR LES CHEFS 

C'est ainsi qu'un traité, inspiré par un saint 
zèle en faveur des laboureurs ou mace- 
huales qui forment la classe du peuple, a oc- 
casionné des troubles et détruit l'autorité de 
tous les seigneurs du pays. Il a été pour les su- 
jets et les vassaux une occasion de se plaindre 
et de dire que leurs chefs ne tenaient pas leurs 
promesses et les conventions réglées, et ils 
se sont soulevés contre eux à l'instigation des 
Espagnols, des métis et des mulâtres qui vivent 
de ces querelles. Le désordre en est venu à un 
tel point que chefs et sujets, tous sont perdus 
de corps et d'âme, et ruinés par les provoca- 
teurs de ces dissensions qui leur sucent le 
sang. Sous l'ancien gouvernement tout le pays 
était tranquille ; Indiens ou Espagnols , cha- 
cun était satisfait, les impôts rendaient davan- 
tage, et la perception en était moins vexatoire 
parce que les chefs du pays gouvernaient. Cela 
dura jusqu'à ce que quelques sujets eussent 
commencé à les attaquer, en quoi ils furent 
soutenus par des personnes turbulentes et 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 77 

ambitieuses. Ces instigateurs, je l'ai déjà dit, 
sont des Espagnols, des métis et des mulâtres 
qui connaissent la langue du pays, et fré- 
quentent les Indiens pour les voler. Aussitôt 
qu'ils ont connaissance qu'il y a des méconten- 
tements dans une province, ils s'y rendent, les 
Indiens viennent les trouver, leur portent des 
présents , et comme ces gens sont au courant 
des affaires, ils les prient de se charger de 
leurs discussions et de renverser l'autorité de 
leurs chefs naturels. 



Origine et résultat des procès. 

Voilà comment , dans toute la Nouvelle-Es- 
pagne , les Indiens se sont mis à plaider les 
uns contre les autres, les sujqts contre les 
souverains, les villes contre les villes, les 
chefs entre eux et les capitales entre elles, d'où 
il est résulté de très-grands dommages. Un 
nombre considérable de plaideurs allant et 
venant sans savoir pourquoi , sont morts en 



78 RAPPORT SUR LES CHEFS 

chemin. Ils ne compi^nnent rien à leurs af- 
faires, ne savent ce qu'ils prétendent, ignorent 
le sujet de leurs discussions et même à qui 
s'adresser à l'audience, de sorte qu'ils ne font 
que dépenser leur argent au profit de ceux 
qui , sous prétexte de soigner leurs intérêts , 
dévorent leur fortune , seul objet de leurs 
désirs, et souvent les plaideurs finissent par 
mourir à la peine* 



Un grand nombre de chefs et de sujets sont morts en voyage, 
beaucoup ont été condamnés aux mines. — Grande dimi- 
nution delà population. 



Des chefs de distinction sont morts dans ces 
voyages, ainsi qu'une multitude de gens du 
peuple, hommes, femmes et enfants qui les 
accompagnent pour porter ce qui leur est né - 
cessaire. Beaucoup de chefs , de nobles et de 
macehuales ont été condamnés aux mines ou 
aux travaux publics, y ont perdu la vie ou 
ont été séparés pour toujours de leurs fa- 
milles, ce qui a occasionne fréquemment des 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 79 

révoltes sérieuses, une confusion générale, et 
ruiné les chefs et le peuple. Enfin, cet abus fait 
le plus grand tort à tout le monde en géné- 
ral, tant au spirituel qU'au temporel, et le dé- 
sordre règne dans toute la Nouvelle-Espagne, 
par suite du manque de respect envers les 
chefs et les nobles , des désobéissances et des 
rébellions, toutes choses qui s'opposent au 
bon gouvernement, tant civil que religieux. 
Les chefs les dirigeaient aussi bien dans les 
affaires ecclésiastiques que dans les affaires 
civiles, et cela était nécessaire, car le peuple 
est comme des enfants qui, s'ils perdent 
la crainte et le respect, perdent aussi toutes 
leurs bonnes qualités. Les Indiens ont besoin 
d'être soumis à 4es gens qui se fassent craindre 
et respecter comme faisaient les anciens chefs 
qu'ils comprenaient, et nous, ils ne nous 
comprennent pas. Il est résulté de tout cela 
d'autres inconvénients graves , que l'on peut 
imaginer par ce que j'ai rapporté, pour peu 
que l'on connaisse ce peuple, ses mœurs et 



80 RAPPORT SUR LES CHEFS 

son caractère. J'en parle sans passion , sans 
préjugé, sans intérêt, et ce n'est que parce 
que certaines personnes tirentavantage du dés- 
ordre existant, qu'elles préfèrent l'état actuel. 



On n'aurait pas dû occasionner les procès. 

Si l'on n'avait pas fourni aux Indiens l'occa- 
sion d'entamer tant de procès et d'affaires ena- 
brouillées , ils ne se seraient pas détruits les 
uns les autres; une multitude n'auraient 
pas péri et on aurait évité la ruine totale 
dont ils sont victimes. Il aurait été bien plus 
prudent de les remettre sous l'autorité de 
leurs caciques et de leurs chefs qui connais- 
sent le bon droit de chacun, phitôt que d'écou- 
ter les brouillons qui se sont mêlés de leurs 
affaires. On aurait prévenu un grand nombre 
d'offensés qui ont été faites à Dieu, de faux 
serments, de haines, d'inimitiés, la destruc- 
tion des états, des provinces, toutes les mé- 
chancetés de ceux qui les excitent pour avoir 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 81 

occasion de les voler; enfin, l'extrême con- 
fusion qui règne aujourd'hui, et qui est ar- 
rivée à un tel point, qu'il semble impossible 
d'y porter remède. Tous ces maux n'auraient 
pas eu lieu si l'on avait observé une me- 
sure prescrite par les nouvelles lois, qui 
défend de juger les procès entre les Indiens 
ou contre eux dans la forme ordinaire, 
prohibe les mémoires, et ordonne, au con- 
traire, de les juger sommairement en obser- 
vant leurs usages et leurs coutumes , à moins 
qu'elles ne soient évidemment injustes. On ne 
devrait pas permettre qu'ils se fissent assister 
par des procureurs, des avocats, ni des 
hommes de loi, puisque toutes ces affaires peu- 
vent facilement s'instruire, et que les avocats 
et les procureurs ne font que les embrouiller 
et les obscurcir. On peut connaître la vérité 
par les Indiens en personne; les chefs, les 
nobles, beaucoup d'autres naturels, et même 
les parties, l'exposent sincèrement lorsque 

ceux qui vont chez eux, c'est-à-dire les avocats 
11. 6 



82 RAPPORT SUR LES CHEFS 

OU les gens de loi , ne les ont pas engagés à 
dire le contraire; et quand même ils en im- 
poseraient^ il se trouve toujours beaucoup 
d'autres personnes présentes qui pourraient 
mettre au courant de l'afFaire. 



Prétexte des Indiens pour plaider. — Goi^ment ils se sont 
soulevés contre leurs chefs et les ont ruinés. 



Aussitôt que les rebelles commencèrent à 
se soulever contre leurs seigneurs, ils colo- 
rèrent leur ambition d'un faux prétexte, en 
disant au peuple que l'amour du bien public 
les portait à renverser l'autorité des che£s. Ils 
les empêchaient d'obéir, et tout en égorgeant 
les gens du commun, ils prétendaient que 
c'était pour les protéger et les délivrer des 
mains de leurs maîtres. Voilà comment se sont 
formées les coalitions contre les seigneurs , 
qui, ne pouvant se défendre, ont fini par 
succomber. La première mesure que prennent 
les mutins et ceux qui les excitent, c'est d'in- 
spirer la haine des chefs; ensuite ils font en 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 83 

sorte qu'on ne leur paye plus les impôts or-* 
dînaires ni tes prestations. Ces ressources 
tenant à manquer, iU tombent dans là misère 
k plus absolue et dans l'abattemeùt, n'osent 
élever la voix, et ne savent plus à qui s'âdïses- 
ôer pour demander protection. Tout le moftde 
est contre eux, parce que l'on est prévenu 
et mal informé par de faux rapports, dans 
lesquels on les accuse de piller et de maltrai- 
ter leurs sujets. D'un autre côté, les mutins 
ne font pas perdre aux encomenderos les 
impôts qui leur sont dus; au contraire, ils ne 
les payent que mieux, afin qu'ils se taisent, 
et qu'ils soient du parti des factieux ^ui ont la 
haute main sur le peuple. C'est ainsi qu'en peu 
de temps ils ruinent les chefs, car toute leur 
fortune consiste dans le travail de leurs vas- 
saux; aussitôt qu'il vient à cesser, qtiand 
ce ne serait qu'un jour, ils manquent de 
tous les objets nécessaires à la vie. Comme 
leurs ennemis, au contraire, sont nombi^ux 
et qu'ils volent le peuple, soit par eux- 



84 RAPPORT SUR LES CHEFS 

mêmes , soit par ceux qui les soulèvent et les 
soutiennent dans leurs querelles, ils ne man- 
quent jamais de rien, car ils jouissent de ce 
qui revenait aux chefs , et de plus de ce qu'ils 
volent : c'est ainsi que la noblesse a été dé- 
truite, et que sa ruine se consomme tous les 
jours. 



Effets de la création des charges de gouverneurs indiens. 

Une des causes les plus puissantes de la 
ruine des chefs, c'est de leur avoir donné les 
titres de gouverneur des provinces ou des villes 
qu'ils possédaient. Comme ils avaient parmi 
leurs sujets un nombre considérable d'en- 
vieux soutenus par des Espagnols et des mé- 
tis, on les accusait de mal administrer, on 
portait contre eux de faux témoignages, on 
les faisait condamner; ils étaient cassés^ 
et leurs ennemis triomphaient. Quand l'au- 
dience les avait dépouillés de leurs gouverne- 
ments, ce qui équivalait à leur enlever leurs 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 85 

seigneuries, on mettait à leur place un de 
leurs sujets , et les seigneurs devenaient vas- 
saux de leurs vassaux. C'est ce qui existe au- 
jourd'hui dans tout le paysj le bouleverse- 
ment est complet, les chefs sont ruinés, et 
le pouvoir est entre les mains des gens du 
peuple. 



Raisons qui ont engagé quelques chefs à Toler. 

Beaucoup de chefs, voyant la puissance des 
rebelles et l'heureux succès de leurs entre- 
prises , se mettent de leur côté pour ne pas 
être renversés, s'insurgent avec une partie 
de leurs propres villages, et laissent agir les 
révoltés dans les autres. Ils demandent des 
charges de gouverneur, d'alcalde et de régi- 

dor pour voler plus facilement , puis se con- 
duisent suivant les désirs du peuple, des re- 
belles, et de ceux qui les excitent, pillant 
tous d'un commun accord, et vivant de la 
sueur des pauvres macehuales. Comme la 



86 RAPPORT StJR LES GH£FS 

eonfudion est générale, ils font ce qu'ib veu^^ 
lent; d'où il résulte que le pays a pwdu toute 
la puiasance et la richesse dont il jouissait sou9 
la bonne administration de ses anciens souve-^ 
rains naturels. Avant qu'il y eût des al- 
calde3, des régidors, des alguazils et des gou^ 
verneurs , les chefs exerçaient un plein pou- 
voir et administraient toutes les affaires; on 
leur obéissait ponctuellement; des personnes 
étaient préposées pour prélever les impôts 
d'une manière moins vexatoire que celle qui 
existe aujourd'hui que l'on voit tant d'alcaldes 
et d'officiers de justice; toutes les provinces 
et les villes étaient en paix, les chefs étaient 
obéis, respectés, et la ruine est devenue com- 
plète quand on les a eu dépouillés de leur 
autorité, et que l'on a renversé leur bomie 
administration. 



Farce qu'il y a des chefs qui pillent leurs sujets, ce n'est pas 
une raison pour les accuser tous de ces excès. 



Les Espagnols se sont prévalus de ce qui se 



DE LA NOUVELLE-fiSFAGNE. 87 

passe aiyourd'hui au Mexique pour dire que 
les chefs volent les macehuales ; mais ce sont 
eux qui en ont été la cause en leur en im- 
posant de nouveaux > comme je l'ai dit, en 
privait les anciens de leurs seigneuries, de 
leurs vtôsaux, de leurs revenus, et en suppri- 
fiiant leurs intendants et leurs maguejres (i), 
qui étaient des laboureurs qui cultivaient leurs 
terres. Ces derniers se sont soulevés contre 
leurs maîtres; ceux qui ne l'ont pas fait ne 
leur payent que ce qu'ils veulent, et les chefs 
n'osent rien dire dans la crainte que les rebelles 
ne leur intentent un procès. On aurait tort 
de dire en général que les Seigneurs volent 
leurs vassaux parce qu'il y en a eu qui l'ont 
fait ; ce sont ceux qui ont pris parti pour 
les rebelles et les insurgés, qui sont parvenus 
à obtenir le titre de chefs par les itioyéns 
dont j'ai parlé, qui les ruinent afin de vivre 



(i) Si Fauteur a bien écrit ee mot, il signitiait donc à la foW 
les terres plantées de maguei et les eolons. 

(Noie de VédiUur.) 



88 RAPPORT SUR LES CHEFS 

comme ils le font. Voilà des voleurs publics 
très - nuisibles ; car s'étant soulevés, et 
emparés de ce qui ne leur appartient pas , ils 
craignent que d'un jour à l'autre de nou- 
veaux rebelles ne les chassent comme ils ont 
chassé leurs maîtres. Aussi , tant qu'ils ont le 
pouvoir entre les mains, ils volent le plus 
qu'ils peuvent, sans crainte et sans pudeur, 
parce qu'une fois dépouillés de leurs charges 
ils savent qu'ils retomberont dans leur premier 
état. L'usage qu'ont les Espagnols de donner à 
ces intrus les titres impropres de caciques, 
seigneurs ou chefs, fait que l'on dit en général 
que les chefs volent leurs vassaux. 



Les geigQeuTS indiens pourvoient à la subsistance 

de leurs yassauz. 



Les chefs naturels ont soin de nourrir 
leurs vassaux , parce qu'ils les aiment comme 
étant leur propriété patrimoniale. Ils crai- 
gnent de les perdre , font en sorte de ne pas 
les accabler, de peur qu'ils ne se soulèvent 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 89 

comme ils voient que tant d'autres l'ont fait , 
les soulagent autant qu'ils peuvent, les trai- 
tent comme leurs enfants, les protègent et 
les défendent; mais il reste fort peu de sei- 
gneurs de cette classe. Les chefs qui n'agissent 
pas ainsi sont ceux qui se conduisent sui- 
vant les désirs des rebelles et qui les exci- 
tent. Ils volent et ne vivent qu'aux dépens 
du pauvre peuple , qui ignore ce qui lui con- 
vient , ne sait pas leur résister, et croit ces 
factieux qui lui disent qu'ils agissent dans 
son intérêt. Les grands malheurs seuls 
sont capables d'instruire les Indiens, car la 
masse du peuple est sans malice et pleine 
de franchise. L'amour de la liberté et le désir 
de ne plus avoir de chefs qui les corrigent et 
les forcent de vivre vertueusement les aveu- 
glent, comme cela arrive dans de semblables 
occasions à bien d'autres nations qui passent 
pour beaucoup plus prudentes, et chez les- 
quelles il y a des gens fort instruits et très- 
respectables. 



90 RAPPORT SUR LES CHEFS 

Il a ëtë nécessaire ite s'étendre smssk toi»- 
guement sur le sujet des chefs et des nobles > 
de noter les différences qui existent entre eux, 
leurs titres et leurs règles de succession , 'povit 
répondre aux questions de Votre MaJesté^Ume 
autre raison , c'est que quand elle a donne 
ordre aux audiences de ce pays de faire une 
enquête sur le contenu de l'ordonnance dont 
il s'agit y on a pensé que c'était certainement 
dans l'intention de publier le rétablissement 
des seigneurs et des seigneuries. S'il arïrr^ft 
qu'on le fit, comme cela convient, et même 
est t^essaire , il sera bien d'avoir exposé en 
aussi grand détail les titres des seigneurs, le 
nom des seigneuries , le mode de succession , 
comment elles ont été bouleversées, détruiled , 
quelles sont celles qui doivent être rétablies 
et celles qui ne le doivent pas ; toutes choses 
dont on pourra être instruit par ce qui pré- 
cède. 



DE LA NOUVEU.Ë-ËSPAGNE. 9i 



RÉPONSE A LA QUATRIÈME QUESTION 
DU PARAGRAPHE IX. 



Il me reste à répondre à la quatrième ques- 
tion proposée dans ce paragraphe , savoir : 
quel est l'avantage que les sujets retirent de 
ce système féodal de gouvernement et d'ad- 
ministration ? Bien que la réponse puisse se 
déduire de ce que j'ai déjà exposé, j'entrerai 
dans de plus grands détails sur ce sujet, et 
pour le faire convenablement , je remonte- 
rai au temps de ridolâtrie de ces peuples, et 
j'exposerai ce qui s'est fait depuis ou se fait 
encore, de sorte qu'en traitant la quatrième 
question, je réviendrai sur la seconde et la 
troisième. 

A?astage que les Indiens reliraient de ce gouyerneBient. 

Ce mode de gouvernement était très-avan- 
tageux aux Indiens, et le serait encore s'il 
était adopté; car les seigneurs avaient établi 



92 RAPPORT SUR LES CHEFS 

tout Tordre possible et l'administration la 
plus convenable à ces peuples. On ne connais- 
sait pas les dissensions qui sont nées depuis 
que tout a été renversé; les affaires mar- 
chaient sans vexer le peuple comme on le 
feit à présent; les impôts se payaient; on cul- 
tivait les terres; les officiers remplissaient 
leurs charges , recrutaient les naturels , les 
répartissaient pour le service des Espagnols ; 
on ne volait pas, on ne maltraitait pas les 
Indiens comme c'est général à présent; on 
prenait soin qu'ils remplissent leurs devoirs 
religieux, qu'ils se rendissent au catéchisme , 
au sermon et à la messe ; on les empêchait 
de se livrer à leurs vices et à l'ivrognerie : 
mais, aujourd'hui, tout est dans le désor- 
dre , dans la confusion , et rien de cela ne se 
fait. Autrefois, il est vrai , les chefs se livraient 
à leurs débordements, mais du moins ils 
avaient soin que le peuple ne les vît pas, 
afin d'éviter le mauvais exemple : à présent 
ils ne se gênent plus. Pour mieux prouver ce 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 93 

que j'avance, je vais exposer les règles qu'ils 
suivaient dans le gouvernement et l'adminis- 
tration de la justice, et qui se sont prati- 
quées quelques années encore après la con- 
quête : j'en ai été instruit par des religieux , 
témoins oculaires. 



La Nouvelle-Espagne avait autrefois trois souverains. — L'ordre 
et la justice régnaient dans leurs états. 



Ainsi qu'on l'a dit, il y avait alors à la 
Nouvelle - Espagne trois souverains à qui 
toutes les principales provinces de ce pays 
étaient soumises : c'étaient les rois de Mexico, 
de Tezcuco et de Tacuba. Ces trois villes 
et les provinces qui en dépendaient surpas- 
saient toutes les autres par leur bonne admi- 
nistration et l'observation de la justice ; en 
effet, il y avait dans chaque capitale des tri- 
bunaux que l'on peut comparer à nos audiences 
royales pour l'organisation. Les lois et la pro- 
cédure étaient les mêmes dans ces trois états. 



^ RAPPORT SUR LES CHEFS 

de sorte qu'en exposant les usages établis 
dans l'un d'eux, on fera connaître ce qui se 
passait dans les autres. Je m'étendrai plus 
particulièrement sur les coutumes de Tezcuieo. 



Amour des souverains de Tezcuco pour la justice. 



Cette province fut gouvernée pendant qua- 
rante-deux ans par Nezabalcoiotzin (i), 
prince d'un jugement sain, qui fît plusieurs 
lois pour la bonne administration et la con*^ 
servation de son vaste royaume. Son fils, 
nommé Nezavalpiltzintli , qui lui succéda , 
et régna quarante-quatre ans , promulgua de 
nouvelles lois; car les temps ayant changé, 
il était nécessaire de prendre d'autres me- 
sures et d'approprier les remèdes aux épo- 
ques et aux circonstances. Le soin extrême 
que ces deux souverains prirent pour gou— 



( i) Les auteurs les plus corrects écrivent Nelzahualcojrotzin . 

{^Nole de l'éditeur,) 



DE lA N0UVEiI.E-£SPAGN£. 96 

verner kurs états et y établir le bon ordre fit 
q«eles rois de Mexico et de Tlacopan, qui les 
considéraient comme leurs pères y non-seule- 
ment à cause des liens de parenl^é qui les unis^ 
salent^ mais encore de l'estimie qu'ils profes- 
saient pour leurs personnes, adjnmistraient 
suivant les règles et les lois de ces princes ou 
d'après celles des anciens souverains de Tez- 
cuco. 

Un grand nombre d'affaires étaient por- 
tées à Tezcuco pour être jugées; néanmoins, 
lorsqu'il s'agissait de la guerre, Mexico avait 
toujours la prééminence, et ce n'était que 
dans cette ville que l'on discutait les raisons 
de l'entreprendre. 

Chacune des nombreuses provinces sou- 
mises à ces souverains entretenait à Mexico, à 
Tezcuco et à Tlacopan, qui étaient les trois 
capitales, deux juges, personnes de sens 
choisies à cet effet, et qui quelquefois étaient 
parents des souverains. Pour les rétribuer, 
le roi désignait des terres que ces juges 



96 RAPPORT SUR LES CHEFS 

faisaient cultiver, et dont le produit était 
employé à l'entretien de leurs familles. 
Dans ces terres étaient établies des maisons 
pour des Indiens qui les cultivaient, prenaient 
une partie de la récolte, donnaient aux juges 
ce qui leur revenait, travaillaient pour eux, 
les servaient, leur fournissaient de l'eau et 
du bois pour les besoins de leurs maisons, 
tout cela en compensation des impôts qu'ils 
devaient aux souverains. A la mortd'un juge, 
la jouissance de ces terres revenait à celui qui 
le remplaçait, et on ne pouvait en changer la 
destination. 



Tribunaux , procès et divorces. 

Il y avait dans les palais des souverains des 
appartements vastes, élevés de sept à huit mar- 
ches comme nos entre-sol, et destinés à la ré- 
sidence des j uges. Ces magistrats fortnombreux 
étaient divisés par provinces, villes et quar- 
tiers. Les sujets se rendaient prés du juge de 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 97 

leur pays, qui connaissait aussi des affaires re- 
latives aux mariages et aux divorces. 

Lorsqu'il se présentait une question de di- 
vorce, ce qui était rare, les juges cherchaient 
à concilier les parties, réprimandaient sé- 
vèrement le coupable, engageaient les plai- 
deurs à considérer dans quel but ils s'étaient 
mariés, à ne point attirer du déshonneur 
sur leur père, leur mère et les parents qui 
s'étaient occupés de leur union ; leur disaient 
qu'ils seraient mal vus du public, qui savait 
qu'ils étaient mariés; enfin, ils leur tenaient 
toute espèce de discours capables de rétablir 
l'harmonie. 



Le nombre des procès et des divorces est augmenté. 

Les religieux établis depuis longtemps dans 

ce pays gisent qu'à dater de la soumission 

des Indiens aux Espagnols, le bon ordre de 

leur gouvernement s'est ^erdu ; l'harmonie, fe 

bonne administration et la justice n'existent 
11. 7 



98 RAPPORT SUR LES CHEFS 

plus; les procès et les divorces sont plus 
fréquents ; enfin la confusion est générale. 



opinion des Indien^ sur la nouvelle administration de la justice. 

Un chef indien de Mexico, ayant été inter- 
rogé sur la cause de la multitude des procès 
et des divorces entre les Indiens , répondit : 
« C'est parce que vous ne nous comprenez pas, 
nous ne vous entendons pas, et nous ne sa- 
vons ce que vous nous voulez. Vous nous 
avez privés de la bonne administration de 
notre gouvernement, et nous ne concevons 
rien à celle que vous nous avez imposée ; voilà 
pourquoi tout est en confusion , et il n'y a 
plus d'accord entre nous. Les Indiens se livrent 
à des procès, mais c'est vous qui en êtes la 
cause ; ils se conforment à ce que vous dites 
sans jamais arriver à leur fin , car vous êtes 
législateurs, juges et parties. Vous coupez et 
rognez suivant votre bon plaisir. Ceux qui sont 
éloignés et qui n'ont pas de rapports avec vous 



DE LA NOUVELLE-E8PAGNE. 99 

tf ont point de discussions et vivent en paix. 
pu temps de uqtve idolâtrie, nou? n'avions 
qite peu de différends ; Ton agissait sincère- 
ment, rt bientôt ils étaient terminés, car il 
était facile de découvrir le bon droit de chacun, 
et Ton ne connaissait ni les retards ni les chî-* 
canes si communes aujourd'hui. » Un autre, 
ayant entendu dire qu'un comlnissairc espa- 
gnol allait visiter une province, s'écria: « C'est 
contre nos intérêts que chaque jour il arrive 
des juges et des commissaires, nous ignorons 
k quoi cela peut servir ; la justice du ciel est 
la seule qui soit bonne, » Un troisième dirait 
quela justice de la terre était crochue, et qu'il 
n'y avait que celle du ciel qui îiït droite et 
bonne; et se disputant avec un Espagnol qui 
le traitait de fripon, de menteur, et l'acca- 
blait d'autres injures, il lui répondit : « C'est 
vous qui nous avez appris à agir ainsi. » Les 
vieux Indiens assurent qu'a l'arrivée des Es- 
pagnols tout a été bouleversé, la justice ne 
s'est plus exécutée, et l'on n'a plus puni les 



100 RAPPORT SUR LES CHEFS 

crimes. En somme , tout ordre a été détruit , 
Ton ne peut plus punir les coupables , et 
les menteurs, les parjures et les adultères 
échappent aux châtiments , ce qui n'était pas 
autrefois. Voilà pourquoi les mensonges , les 
crimes sont si communs , et les femmes per- 
dues si nombreuses. Il serait trop long de 
rapporter tout ce qu'ils disent. 



Ancienne manière de rendre la justice. 

Le matin, aussitôt que les juges dont nous 
avons parlé avaient pris place sur leurs tri- 
bunaux garnis de nattes, les sujets venaient 
exposer leurs demandes. De bonne heure on 
apportait au palais même les repas des ma- 
gistrats; après avoir mangé, ils prenaient un 
peu de repos et donnaient audience aux plai- 
deurs qui n'avaient pu être expédiés. L'au- 
dience était ouverte jusqu'à deux heures 
avant le coucher du soleil. Les appels étaient 
portés devant douze autres juges supé- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 101 

rieurs qui prononçaient d'après l'avis du 
souverain . 



Tribunal d'âjppei. 



« < 



Tous les douze jours il y avait une as- 
semblée générale des juges présidée par le 
prince (i). On y jugeait les affaires difficiles, 
celles de crimes qualifiés, et l'on examinait mi- 
nutieusement tous les détails. Lorsque des té- 
moins, par crainte ou pour tenir le serment 
qu'ils avaient fait, cachaient la vérité, ce que 
les magistrats s'efforçaient soigneusement de 
découvrir en les interrogeant avec sagacité, 
on les punissait très-sévèrement. 

U était défendu aux juges de receroir des présents^ 

Les juges ne recevaient aucun présent, ni 



( I ) 11 est évident, comme on le verra page 1 06, qu'il y a ici une 
erreur, et que ces assemblées, dont les sessions duraient douze 
jours , ne se tenaient que tous les quatre-vingts jours. 

{Note de V éditeur,) 



•K 



102 RAPPORT SUR LES CHEFS 

léger^ ni considérable ; ils ne faisaient aucune 
acception de personne. Grands ou petits, 
riches ou pauvres, la même justice était pour 
tous, et de la plus grande sévérité : les autres 
officiers de justice se conduisaient de même. 
Découvrait -on qu'un magistrat recevait des 
présents, qu'il se livrait à l'ivrognerie ou 
qu'il était coupable de négligence , si la faute 
était légère, les autres juges lui faisaient 
en particulier de graves reproches ; si après 
trois admonitions il ne se corrigeait pas, 
on le condamnait à avoir les cheveux coupés, 
ce qui était chez eux le comble du déshonneur, 
et on le privait de son office d'une manière 
ignominieuse; quand la faute était grave, 
dès la première fois le prince le privait de 
sa charge. Un juge de Tezcuco ayant favorisé 
un noble contre un homme du peuple et 
présenté au roi un faux rapport du procès , 
ce prince le fit pendre , ordonna de revoir la 
procédure , et l'homme du peuple gagna sa 
cause. Les juges étaient assistés par des écri- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 103 

vains ou des peintres fort habiles , qui , au 
moyen de figures qui remplaçaient nos carac^ 
tères, représentaient les plaideurs, le sujet 
de la demande, les témoins et la décision de 
l'affaire. On n'accordait pas de délai , et il n'y 
avait d'appel que celui qui était porté devant 
le souverain , assisté des juges en dernier res-» 
sort. Un procès durait tout/ au plus quatre- 
vingts jours, espace de temps nécessaire pour 
arriver à la session des assemblées. 

En général , ainsi qu'on le dira plus loin , 
personne n'osait revenir sur une affaire une 
fois jugée* Ce n'était pas comme aujourd'hui, 
qù ceux qui se mettent à plaider n'en finis- 
fiient pas , et recommencent un autre procès 
dèa que le premier est jugé, surtout si l'af- 
faire n'a pas été portée à l'audience royale. Il 
e^t certain que les Indiens qui sont encore 
dans leur simplicité naturelle, et qui ne fré- 
quentent pa3 les Espagnols ou les métis qui 
les excitent à plaider, sont tout à fait étran-r 
gers à cette manie, comme je Tai vu en voya- 



104 RAPPORT SUR LES CHEFS 

géant dans le Guatemala. Des Indiens se pré- 
sentèrent à moi pour me réclamer des terres 
contre d'autres naturels qui s'en étaient em- 
parés et les avaient ravagées. Le défendeur 
me dit : « Il est vrai que je m'en suis emparé, 
mais ils ne les cultivaient pas. » Je lui expli- 
quai à quel titre on les réclamait; alors il me 
répondit : « Vous pouvez les leur rendre. » 
D'autres m'exposèrent qu'ayant planté des ca- 
caotiers (catahuatal) et d'autres arbres dans 
un terrain inculte, ils demandaient à partager 
la récolte avec les propriétaires. Ceux-ci y 
consentirent et me dirent d'autoriser leurs ad- 
ver-saires au partage des fruits. C'est ainsi que 
les affaires se terminaient sans écritures, et la 
sentence était respectée comme une loi. Chaque 
jour les Indiens me présentaient des affaires 
avec simplicité et candeur, sans nier la vérité, 
car personne ne les poussait à cela. La même 
chose arrive à l'égard des coupables ; aussitôt 
qu'ils sont pris ils avouent tout franchement; 
mais dés qu'on les a mis en prison ou qu'on 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 105 

les laisse communiquer avec quelqu'un , ce 
n'est que fort tard que l'on peut en obtenir 
un aveu, et même ne consentent-ils jamais à 
dire la vérité, parce qu'ils sont fermes dans, 
ce qu'on leur a conseillé. 



Officiers charges d'exécuter les jugements. 

Les douze juges d'appels avaient au-dessous 
d'eux autant d'officiers faisant les fonctions 
d'alguazils majors. Ils étaient chargés d'arrêter 
les nobles, se transportaient dans les villes 
de province pour appréhender au corps ceux 
que le souverain ou les juges leur désignaient. 
Partout on leur témoignait le plus grand res- 
pect, attendu leur qualité d'envoyés du prince 
et d'exécuteurs de la justice supérieure. 

D'autres remplissaient les fonctions d'huis- 
siers et de juges commissaires. Lorsqu'ils 
étaient chargés d'assigner pour une affaire, ils 
faisaient la plus grande diligence, et mar- 
chaient jour et nuit à toute heure, soit qu'il 



106 RAPPOET SUR LES CHEFS 

neigeât^ qu'il plùt ou qu'il tombât de la 
grêle. 

Juges ordinaires des provinces. 

Dans les provinces et dans les villes il y avait 
des juges ordinaires qui n'exerçaient qu'une 
juridiction limitée. Ilsconnaissaientdes affaires 
peu importantes, faisaient arrêter les coupa- 
bles , les interrogeaient, instruisaient l'afiFaire 
et réservaient le jugement pour les assemblées 
générales , présidées par le souverain tous les 
quatre mois, qui étaient de vingt jours. 
On se rendait à ces audiences de toutes les 
parties du pays. Les causes criminelles pu 
graves se jugeaient en présence du souverain. 
Les sessions duraient dix ou douze jours. Outre 
les procès , on y traitait de toutes les affaires du 
royaume comme dans nos assemblées des 
cortès. 

Des lois. 

llsavaient des lois fixes; beaucoup de crimes 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 107 

étaient punis de mort* Dans le principe> les 
adultères étaient lapidés ; mais plus tard cette 
peine fut changée ^ et on les pendait ou on les 
j&isait mourir d'une autre manière. On re- 
dierchait atec grand soin si personne ne se 
livrait au crime contre nature : il était réputé 
comme très -grave et puni de mort^ parce 
qiie, disaient-ils, on ne le voyait pas chez les 
animaux* La bestialité a toujours été trés^rare 
thez eux et très-rigoureusement punie sans 
acception de personnes. 

Les pères sévissaient même contre leurs en- 
fidats. Un roi de Tezcuco fit mettre à mort son 
fils et sa femme qui s'étaient rendus coupables 
d'ilicêsté, en vertu d'une loi qui punissait 
aitlsî les deux complices. Un autre souverain 
dé là même province fit exécuter en uiiê seule 
toiê ^atre de ses fils et sa femme convain- 
isus du même crime. Un chef de Tlaxcala, 
prince très - puissant , qui possédait beau- 
coup de villes et de vassaux, et qui éÉÈiit frère 
de Maxizcatzin, ayant commis un adultère. 



108 KAPPORT SUR LES CHEFS 

tous les chefs de TIaxcala se réunirent 
à ce dernier, qui était fort brave, géné- 
ralissime de toute la province et le second 
des quatre chefs de TIaxcala , et il fut décidé 
que les lois seraient respectées , et que le cou* 
pable serait mis à mort. Il fut exécuté , ainsi 
que sa complice. Celui qui pénétrait dans les 
enceintes où étaient enfermées et élevées les 
jeunes vierges encourait la peine de mort. Il en 
était de même de celle qui l'avait introduit. Le 
fils d'un chef très-puissant, ayant escaladé 
les murailles d'un palais où l'on élevait les 
filles du souverain de Tezcuco, eut avec une 
d'elle, et debout, un court entretien, sans 
qu'il en fût davantage. Ce prince l'apprit, or^ 
donna de saisir sa fille, qu'il chérissait et qu^il 
avait eue d'une femme de distinction, et la fit 
étrangler à l'instant sans que les plus instantes 
prières pussent obtenir son pardon. Le jeune 
homme, ayant été averti à temps, prit la fuite, 
se cacha et ne put être arrêté. La réponse 
du roi fut qu'il ne fallait violer la loi pourper^ 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 109 

sonne, qu'il donnerait un mauvais exemple 
aux autres chefs, serait couvert de honte 
et regardé comme injuste s'il faisait exé- 
cuter la loi contre ses sujets et non contre 
ses enfants, et qu'un aussi grand crime de- 
vait être puni. Ce même souverain, nommé 
Netzahualpiltzintli , ordonna de mettre à mort 
une de ses filles mariée et son amant. Cette 
sentence fut exécutée, bien que le mari eût 
pardonné à sa femme j « dans la crainte, dit le 
prince, que l'on ne puisse penser que son 
mari ne lui ait pardonné qu'à ma considéra- 
tion et non de son plein gré. » Les filles et les 
femmes de la cour étaient amenées à ces exé- 
cutions. On les instruisait du motif de la 
sentence , afin qu'elles évitassent de se rendre 
coupables de pareil crime ; mais on n'y con- 
duisait pas les jeunes filles qui étaient dans 
l'âge de l'innocence, pour leur éviter l'occa- 
sion de penser au vice. Les personnes qui se 
rendaient coupables de scandale, surtout dans 
les marchés ou dans les endroits publics, et 



110 RAPPORT SUR LES CHEFS 

les entremetteuses^ étaient condamnées à mort. 
Cette loi était exécutée avec la plus grande ri- 
gueur. Il y avait des prisons publiques pour 
les coupables. 

Personne ne pouvait boire de vin (i) sans la 
permission des chefs ou des juges. On ne l'ae*- 
cordait qu'aux malades et aux vieillards qui 
avaient plus de cinquante ans^ parce qu'on 

disait qu'il leur était nécessaire, et qu'il t^ 
chauffait le sang; mais ils n'avaient droit 
d'en prendre que trois petites tasses à chaque 
repas. Ce vin ne causaitpas d'ivresse, à moins 
que l'on n'en bût une grande quantité. Dans 
les noces publiques et les fêtes , les hommes 
âgés de plus de trente ans étaient ordinaire* 
ment autorisés à en boire deux tasses; ils 
pouvaient aussi en faire usage lorsqu'ils por- 
taient du bois de construction ou des pierres 
de taille, en considération de la grande -fa- 
tigue causée par ce travail. Les femmes eh 

(i) Sans doute Xepulque^ liqueur que les Indiens se procu- 
rent en incisant le maguey. {Note de Védiïeur.) 



DE LA NOtJVELLE-ESRAGNE. 141 

couche avaient le droit d'en boire les premiers 
jours seulement. Beaucoup refusaient d'en 
faire usage^ même étant malades. Les chefs^ les 
nobles et les guerriers regardaient comme nu 
déshonneur d'en boire. L'ivrognerie était en 
horreur, ils tenaient pour infâme celui qui 
s^ livrait. La punition pour les hommes et 
poiir les femmes était d'avoir les cheveux 
coupés en place publique; on allait ensuite 
abattre la maison du coupable, parce que, di- 
èaient-ils, celui qui s'enivre jusqu'à perdre la 
raison ne mérite pas d'avoir une maison dans 
une ville et d'être compté au nombre des ci- 
toyenSv II était privé de ses emplois publics , 
et réputé incapable d'en remplir par la suite. 
Nous nous sommes étendus sur ces peines parce 
que plusieurs savants religieux ont eu scru- 
pule des punitions que l'on inflige aujour- 
d'hui aux ivrognes. D'autres religieux d'Es- 
pagne consultés à ce sujet ont répondu que 
si les Espagnols n'étaient pas punis pour 
l'ivrognerie, c'était un abus, mais qu'il fallait 



112 RAPPORT SUR LES CHEFS 

sévir contre les Indiens si , à l'époque où ils 
étaient idolâtrés, ils étaient soumis à des 
peines. On voit par ce qui précède combien 
elles étaient rigoureuses. 

Les Espagnols et les religieux , excepté néan- 
moins les plus anciens qui ont cherché à s'in- 
struire des mœurs primitives des naturels , 
se trompent très-gravement lorsqu'ils pré^ 
tendent que du temps de l'idolâtrie il se com- 
mettait de grands excès de boisson. Ce qui en 
est cause, c'est qu'aussitôt que l'on se fut 
emparé du pays et que l'autorité et la puis- 
sance de leurs juges naturels eurent cessé, les 
Indiens se sont livrés à l'ivrognerie d'une ma- 
nière effrénée. Les vieillards le reconnaissent 
et disent qu'il faut attribuer au changement 
de gouvernement les excès dont on a été té- 
moin , car chacun a été libre de faire ce qu'il 
voulait. Les officiers de justice espagnols ne 
s'occupant pas avec autant de zèle que les 
juges naturels à découvrir et à punir ces excès, 
peu à peu l'autorité et les lois des Indiens sont 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. H 3 

tombées en désuétude jusqu'à ne plus laisser 
de trace; enfin l'ordre et l'administration éta- 
blis dans le pays ont été détruits. 

Une cause puissante de l'ivrognerie des In- 
diens, c'est que beaucoup d'Espagnols et de 
métis, hommes ou femmes, voulant gagner de 
l'aient sans peine, se sont mis à faii^ du 
pulque. Ils reçoivent les Indiens chez eux, 
les cachent, et les enivrent pour que ces 
gens leur donnent tout ce qu'ils leur de- 
.mandent , ce qui procure de gros bénéfices , 
car les frais sont peu considérables, et ils ven- 
dent cette boisson aussi cher qu'ils veulent. Sou- 
vent même, quand les Indiens sont ivres, ils 
les mettent à la porte après leur avoir pris leur 
argent et leurs habits , parce qu'ils savent 
qu'ils n'oseront se plaindre. Les excommuni- 
cations et les peines n'ont pu remédier à ces 
abus. 

Il y avait des lois et des dispositions légales 
qui s'opposaient au mariage dans certains cas. 
On aurait regardé comme illicite et déshon- 

11. 8 



114 RAPPORT SUR LES CHEFS 

nète que les parents de la femme s'occu- 
passent du mariage; ce devaient être ceux du 
futur. Des femmes honorables et âgées &i« 
saient la demande. Jamais les parents ne di^ 
saient oui la première fois, quoique la pro- 
position fut à leur convenance; ils donnaient 
des excuses sans consentir ni refuser. Aussi- 
tôt que le mariage avait été réglé et célébré 
suivant leurs usages, les nouveaux mariés, 
avant la consommation, entraient en péni- 
tence et jeûnaient quatre jours sans sortir de 
leur appai'tement. Dans certaines contrées 
ils restaient enfermés pendant vingt jours (i). 

(i) Echeverria y Veitia, dans son Efutoria antigua dei 
Mexico , après aToir rapporté le mariage de la JBUe de Nanyotl , 
roi des Toltèques, avec le prince Pochotl , fils de Topiltzin , 
ancien souverain de ce royaume , raconte ainsi les cérémonies 
pratiquées à l'occasion du mariage des Mexicains : 

• A propos de ce mariage , les historiens nous ont conservé 
le souvenir des cérémonies en usage à cette époque chez les 
Toltèqucs. Ils choisissaient une des belles pièces de leur mai- 
son , la nettoyaient , ornaient le plafond , les murailles et le 
sol de branches d'arbres et d'une grande quantité de (leurs 
disposées avec ordre et symétrie, de sorte que toutes les parois 
en étaient entièrement couvertes. Au milieu s'élevait un petit 
foyer où l'on allumait du feu. Quand tout était ainsi préparé, 
le père du jeune homme , accompagné de ses parents et de ses 



DE lA NOUVELLE-ESPAGNE. H 5 

Ceux qui entretenaient des concubines 
étaient mal vus, et lorsque pour éviter un 
plus grand abus ils le faisaient, ils avaient 
soin de se cacher, et encore fellait-il absolu- 
amis* le conduisait dans cette pièce. Quelques moments àpr<ès 
la jeune fille y était amenée par sa mère et sa famille. On faisait 
asseoir le jeune homme sur un petit siège à droite da foyer et 
la jeune fille à gauche par terre sur une natte- Alors un vieil- 
lard qui portait le titre de eihuailanqui , c'est-à-dire marient , 
commençait une espèce de discours : c'était lui qui dans ces céré- 
monies jouait le rôle principal. Chaque village avait un marieur, 
11 exposait aux futurs les devoirs du mariage, Tobéissance 
de la femme envers son époux, les attentions et les soins 
que celui-ci devait avoir pour sa femme, l'obligation où il 
était de pourvoir à ses besoins et à ceux de ses enfants, il 
lui recommandait de les élever sous ses yeux et de leur ensei- 
gner, suivant leur condition , tout ce qu'ils devaient savoir 
pour se rendre utiles à letat, d'éviter la paresse et le 
vagabondage. 11 disait à la franme d'aider son mari dans 
les travaux appropriés à son sexe pour contribuer à l'entre- 
tien de la famille, qu'ils se devaient une fidélité réciproque. 
11 les engageait à supporter patiemment les défauts l'un de 
l'autre, afinquelapaixet l'harmonie régnât dans leur ménagé, 
et leur rendît tolérables les maux de cette vie; de considé- 
rer que le lien qui les unissait durerait jusqu'à leur mort ; enfin , 
le discours de ce vieillard renfermait des avis de la plus saine 
morale. Lorsqu'fl avait fini de parler, les deux jeunes gens se 
levaient, sans s'éloigner des deux côtés du foyer où l'on jetait 
constamment des parfums tels que de l'ambre, de l'encens et 
. du copal, et le marieur attachait la pointe du manteau du jeune 
homme au voile que la femme portait sur la tête en gufse de 
mantille. En même temps on leur passait aU cou des guirlandes 
et on les couronnait d'élégants chapeaux de fleurs. Cet usage , 



116 RAPPORT SUR LES CHEFS 

ment que les deux partis fussent libres, au- 
trement ils encouraient la peine de mort. 
Celui qui voulait vivre avec une concubine 
la demandait à ses père et mère> dans des 

continue Echererria, subsiste encore, et j'en ai été ténunn 
non-seulement dans les villages indiens, mais même à Mexico 
et k la Pnebla. Aujourd'hui , que j'écris ceci ( en 1 7 79 ) , j'ai tu 
cette cérémonie pratiquée dans la chapelle des Indiens de la 
cathédrale de la Puebla. Au moment d'assister a la messe nnp- 
tiale, on couvre les époux et leurs parrains de guirlandes qu'ils 
tiennent à la main avec les cierges. 

» Ces premières cérémonies terminées, les époux prenaient 
un instant de repos et recevaient les félicitations des assistants ; 
après quoi commençaient les danses au son de leurs instru- 
ments, qui étaient des tambourins {teponaztlî)y des hautbois, 
des flûtes de différentes formes , et l'on accompagnait les nou- 
veaux époux au temple en continuant les danses. Les TYoma- 
eaxques ou prêtres recevaient à la porte les époux , qui seuls 
montaient les degrés du temple , tandis que la foule qui formait 
leur suite restait en bas. Chacun d'eux était accompagné de ses 
parrains et de ses père et mère s'il les avait encore. Le grand- 
prétre, revêtu de ses ornements de cérémonie, les parfuaiait 
avec un encensoir. Il se plaçait entre eux deux, ayant rhonune 
à sa droite et la femme à sa gauche, puis les prenant par la 
main, il les conduisait à l'autel des idoles en récitant des prières. 
Lorsqu'ils y étaient arrives , il les revêtait d'un riche manteau 
d'une étoffe très-fine , tissue et brodée de différentes couleurs , 
et au milieu duquel était représenté un squelette, image de la 
mort, pour faire comprendre aux époux que leur mariage de- 
vait durer toute leur vie sans qu'ils pussent se quitter. Le grand- 
prêtre les reconduisait dans le même ordre jusqu'à la porte du 
temple, où la foule les recevait et les accompagnait chez eux 
en dansant et en chantant. Alors commençait un banquet plus 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. f17 

formes différentes de la demande en ma- 
riage. Il disait aux parents qu'il désirait leur 
fille pour avoir des enfants^ et dès qu'il en 
était né un, les père et mère de la jeune fille 



oa moins abondant en yivres et en boisson , suivant la fortune 
des nouveaux mariés; mais dans tous les cas la fête durait toute 
la journée. A Ventrée de la nuit , les parrains les conduisaient 
dans une pièce séparée où ils les laissaient seuls jusqu'au len- 
demain , après avoir fermé la porte sur eux. Le matin toutes 
les personnes qui avaient assisté aux noces venaient féliciter 
les époux dans la supposition que le mariage avait été con- 
sommé. 

On vit plus tard s'introduire une vilaine coutume que je crois 
devoir rapporter, non-seulement par respect pour l'histoire , 
mais parce qu'il en existe encore des traces de nos jours, malgré 
les efforts des curés et des magistrats pour les effacer. Lorsque 
la fiancée passait pour avoir conservé sa virginité , le lendemain 
du mariage les parrains entraient dans la salle où les époux 
avaient été enfermés , et demandaient la chemise de la jeune 
femme. S'ils la trouvaient tachée de sang« ils l'emportaient en 
donnant des témoignages de joie , la plaçaient au haut d'une 
perche et l'exposaient aux regards de la multitude comme 
preuve de la virginité de l'épouse. Aussitôt se formaient des 
danses qui parcouraient tonte la ville en promenant la che- 
mise I c'est ce qu'ils appelaient la danse de la chemise. Si au 
contraire on n'y voyait aucune trace de sang , la fête se con- 
vertissait en scène de deuil ; la malheureuse femme était l'objet 
des reproches et des injures des assistants, et le mari pouvait 
la répudier. 

A l'époque de l'introduction du christianisme, on s'atta- 
cha beaucoup à détruire cette coutume, et l'on parvint à 
empêcher que ces danses ne s'exécutassent en public ; mais les 
Indiens continuent de s y livrer dans l'intérieur de leurs mai- 



118 11APH)RT SUR LES CHEFS 

requéraient le jeune homme de Tépouser 

ou de la laisser libre puisqu'il avait eu un 

enfant; ce qu'il devait faire ou bien la rendre 

à $e8 parents et cesser tout rapport avec 

elle. 

D'autres lois avaient rapport à la guerre et 

fixaient les raisons de l'entreprendre. On re- 
gardait comme causé légitime le meurtre d'un 
marchand ou d'un envoyé. Pour décider cette 
question tous les vieillards et les gens de 
guerre se rassemblaient, le souverain leur 
faisait savoir que son intention était de dé- 
clarer la guerre à telle province pour telle 
raison , et si c'était pour une des causes pré- 
vues, tous l'approuvaient à l'unanimité. S'il 

ions, et chaque jour les curés et les juges reçoivent des dënon* 
çiatious à ce ^ujet. Les danses publiques ont donc cessé ; néan- 
moins les parrains et les parents les plus proches du marié Tout 
encpre le lendemain visiter la chemise de la femme , la féli* 
citent s'ils la trouvent tachée, autrement ils l'injurient, la 
maltraitent et exposent k la porte de son habitation un vaso 
défoncé , un comali d'argile qui est une espèce de tourtière ou 
tout au^re pièce semblable dont le fond est percé , pour don- 
ner à entendre que l'épousée n'était pas vierge. l>e nos jours 
les VÇ^fi% ne peuvent plus répudier leurs femmes, mais ils font 
un mauvais ménage, etc. {Note de V éditeur,) 



Dfi Là NOUVELLE-ESPAGNE* 119 

s'agissait d'un motif moins important^ ils di- 
saient deux ou trois fois qu'il ne le fallait pas , 
qu'il n'y avait pas de raison pour Tentre- 
prendre. Quelquefois le souverain s'en dé- 
sistait; mais s'il renouvelait plusieurs fois 
ses propositions d'entrer en campagne, et 
persévérait dans son intention , les vieillards, 
par respect pour lui , lui disaient de faire ce 
qu'il voudrait, qu'ils avaient donné leur avis^ 
et ne pouvaient rien de plus. 



Mode de déclarer la guerre. 

Quand ils avaientdécidé de faire la guerre, ils^ 
envoyaient des rondaches et des manteaux à 
ceux qu'ils voulaient attaquer, et ils les instrui- 
saient de leur intention. Aussitôt la récep- 
tion du messager porteur de la déclaration 
de guerre, les habitants se réunissaient, 
se concertaient sur les moyens de défense et 
faisaient les préparatifs nécessaires. Mais lors- 
qu'ils n'étaient pas en force, ils réunissaient 



120 RAPPORT SUR LES CHEFS 

tous leurs bijoux, leur or, leurs plumes et 
d'autres présents , et se mettaient en marche 
pour aller faire acte de soumission. 



Mode de payer les tributs. 



Les peuplades qui se présentaient ainsi sans 
faire la guerre payaient des tributs à titre d'al- 
liées; elles étaient forcées de se présenter 
quand elles en étaient requises et de fournir 
les troupes auxiliaires nécessaires. Les états 
qui prenaient les armes étaient soumis à des 
tributs plus forts. 



Le prisonnier qui prenait la fuite était mis à mort par les siens. 

Un chef fait prisonnier qui revenait chez 
les siens était aussitôt condamné à mort, parce 
que, disaient-ils, il ne s'était pas montré assez 
brave , qu'il aurait dû se faire tuer en com- 
battant pour la défense des siens ou mourir 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 121 

prisonnier, ce qui était plus honorable que de 
prendre la fuite (i). 



Lois sur l'esclayage. — Il n'y avait pas d'usuriers. 

Des lois réglaient l'esclavage et la manière 
de vendre et d'acheter. Le prêt à intérêt était 
inconnu chez eux ; on ne prêtait que gratui- 
tement sur parole ou sur gage. Ils exerçaient 
un grand nombre d'arts mécaniques dans les- 
quels ils étaient fort habiles comme on le ver- 
ra plus loin. 



Éducation des enfants. 



Le plus grand soin et la plus grande atten- 
tion présidaient à l'éducation des enfants des 
souverains , des nobles et des gens du peuple. 
On les instruisait et on les punissait sans né- 

(i) Voyez à propos de ce passage le volume de cette collec- 
tion intitulé Recueil de pièces relatives à la conquête du Mexique^ 
page 6u. {Note de V éditeur,) 



122 RAP^BT SUR LES CHEFS 

gligence. Généralement les fils des princes 
étaient allaités par leurs mères, et lorsqu'elles 
ne le pouvaient pason leur choisissait une nour- 
rice. Pour faire voir qu'elles étaient d'une santé 
satisfaisante, elles versaient une goutte de lait 
sur l'ongle ; s'il était trop épais pour ccmler, 
la nourrice était admise comme d'une bonne 
santé. La mère ou la nourrice nechangeaient 
pas d'aliments pendant tout le temps qu'elles 
nourrissaient; quelques-unes mangeaient de 
la viande et d'autres des fruits salubres. Elles 
allaitaient pendant quatre ans. Les Indiennes 
sont si affectionnées à leursenfants et les élèvent 
avec tant de tendresse, que, dans la crainte 
de devenir enceintes pendant qu'elles nourris- 
sent, elles cherchent toutes sortes d'excuses 
pour éviter la société de leurs maris. Si elles 
deviennent veuves en nourrissant, elles ne se 
marient sous aucun prétexte jusqu'à ce que 
leurs nourrissons soient sevrés. Toute femme 
qui se conduirait autrement serait considérée 
comme infâme. On prenait le plus grand soin 



D£ LA MOUVELLE-ESPàGNE. 123 

de ne laisser manger qu'une espèce d'aliment 
aux fils des chefs (i). 



Époque où les enfants étaient admis au service des temples. 

A cinq ans , les fils des chefs étaient con- 
duits au temple pour le service du culte ; on 
les y instruisait à fond de ce qui avait rapport à 
la religion. Ils étaient soumis à une discipline 
et à des châtiments sévères. Ces emplois étaient 
oonsidérés comme les plus honorables. Les 
enfants qui ne montraient pas une attention 
scrupuleuse étaient punis très- sévèrement. 
On les employait au service des autels jusqu'à 
leur mariage (q) ou jusqu'à ce qu'ils fussent 
d'âge à prendre les armes. 

(i) C était un usage constant chez les grands de prendre pour 
fOOTernimtes de leurs enfants des femmes âgées de préférence 
à de jeunes filles. 

(9) A la naissance des fîls ou des filles de chefs, on leur assi- 
gnait, pour leur appartenir en propre , des maisons, des terre» 
et des Tassauz pour les cultiver ou pour les servir. Lorsque les 
ttloB se mariaient , ce qui avait lieu la plupart du temps dan» 
d*autre8 villes que celles où elles étaient nées , elles conservaient 
la propriété de leurs terres et de leurs vassaux. 



124 RAPPORT SUR LES CHEFS 



Éducation des filles. 

Les filles des nobles étaient élevées avec un 
soin extrême et la plus grande pudeur par 
leurs mères, leurs sœurs aînées ou des gouver- 
nantes. A quatre ans , on leur recommandait 
la chasteté dans leurs discours et leurs ma- 
nières, soit qu'elles fissent des visites , qu'elles 
en reçussent ou qu'elles fussent seules. D'or- 
dinaire elles ne sortaient jamais avant d^êtrè 
mariées ; quelquefois seulement, dans des cir- 
constances rares , on les conduisait au temple 
en accomplissement d'un vœu que leurs mères 
avaient fait à leur naissance ou pendant une 
maladie. Elles s'y rendaient accompagnées 
par des femmes âgées, en tenant une conte- 
nance si modeste qu'elles n'osaient lever les 
yeux, et si elles y manquaient par distrac- 
tion , aussitôt on leur faisait signe de les bais- 
ser. Elles ne parlaient dans le temple que 
pour réciter les prières qu'on leur avait ap- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGi^E. 125 

prises. Elles gardaient le plus profond silence 
pendant le repas. Il était expressément défen- 
du aux hommes de manger avec les femmes^ 
même avec Içurs sœurs, avant d'être mariées. 



Habitations des chefs. — Punitions. — Pourquoi elles étaient 
« - infligées. 



Les maisons des chefs étaient spacieuses. 
On les élevait d'une toise et plus au-dessus du 
sol pour éviter l'humidité. Elles ressemblaient 
à des entresols ; il y avait des jardins et des 
vergers; les appartements des femmes étaient 
à part. Les jeunes filles n'en sortaient pas 
sans leurs surveillantes pour aller dans les 
jardins. Si elles faisaient un seul pas hors 
de la porte on les punissait sévéremeiît , sur- 
tout si elles avaient dix ou douze ans. On in- 
fligeait des châtiments cruels à celles qui 
osaient lever les yeux, regarder derrière elles 
ou qui étaient négligentes et paresseuses. On 
leur prescrivait comment elles devaient par- 



126 RAPPORT SUR LES CHEFS 

1er aux dames ou aux autres personneê du 
sexe y et si elles oubliaient ces avis elles étaient 
punies. 

Occupations des jeunes filles. 

A cinq ans on commençait à leur enseigner 
à travailler, à filer, à tisser des étoffes, et ron 
avait soin de ne pas les laisser oisiveô. EHes 
avaient leurs tâches prescrites, travaillaient 
sous les veux de leurs mères, de leurs insti- 
tutrices ou de leurs surveillantes. Celle qui 
quittait son ouvrage sans permission, ttiéine 
étant enfant, était punie. Si les gouvernantes' 
manquaient à leurs devoirs ou négligeaieiirt 
<l'infliger les châtiments, on les emprison- 
nait. Enfin les jeunes filles devaient être 
-comme sourdes, aveugles et muettes. Pour 
éviter que l'oisiveté ne les fit tomber dans 
l'engourdissement, on les faisait lever matin 
pour travailler, et coucher tard. On les^ for- 
çait à se tenir proprement, et à se laver avec 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 127 

beaucoup de soin et de pudeur. Lorsqu'elles 
étaient accusées d'une faute, elles se discul- 
paient en disant : « Est-ce que notre seigneur 
Dieu , )i et elles nommaient la plus puissante 
de leurs idoles, « m'aurait vue? « Cette excu^ 
suffisait; car personne déciles n'aurait osé se 
rendre coupable de mensonge , dan^ la crainte 
que leur Dieu ne les punît en leur envoyant 
une maladie. 



Comment les jeunes filles allaient visiter leur père. 



Lorsque le souverain voulait voir ses filles, 
elles se rendaient chez lui, marchant en pro- 
cession , guidées par une femme âgée et ac- 
compagnées d'une suite nombreuse. Ce n'était 
jamais que d'après l'ordre de leur père 
qu'elles lui rendaient visite. Aussitôt qu'elles 
étaient arrivées en sa présence , il leur ordon- 
nait de s'asseoir; la gouvernante qui les con- 
duisait prenait la parole, complimentait le 



128 RAPPORT SUR LES CHEFS 

souverain au nom de ses filles qui se tenaient 
dans le plus grand silence et le plus profond 
recueillement, quelque jeunes qu'elles fus- 
sent, La gouvernante offrait ensuite au père 
les présents qu'elles avaient apportés ; c'étaient 
des fleurs, des fruits, des étofiFes, des man- 
teaux de coton ou d'autres qui servent encore 
d'habillement aux Indiens , ouvrages de leurs 
mains, d'un travail précieux. 



Discours du père à ses filles. 



Le père leur adressait la parole à toutes, 
les exhortait à être sages , obéissantes à leurs 
mères, et respectueuses. Il les remerciait de 
leurs présents, afin de faire voir qu'il. était 
satisfait de leur travail . Aucune d'elles ne ré- 
pondait; leur contenance était sérieuse et 
décente; elles s'approchaient seulement de 
leur père chacune à leur tour, avec ordre, 
s'inclinaient comme lorsque l'on prend congé 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 129 

de quelqu'un, puis elles se retiraient satis- 
faites de ce qu'il leur avait dit. 

Education des fils des simples particuliers. 

Les chefs inférieurs et les personnes du 
peuple élevaient aussi leurs enfants avec beau- 
coup de soin', leur inspiraient l'horreur du 
vice, leur recommandaient le respect des 
dieux, les conduisaient aux temples et les 
faisaient travailler suivant leurs dispositions ; 
cependant, en général, le fils embrassait la pro- 
fession de son père. Les enfants vicieux étaient 
soumis à des peines cruelles. Lorsqu'ils s'en- 
fuyaient de la maison paternelle , on les rece- 
vait deux ou trois fois au plus , si on le jugeait 
à propos; mais s'ils se montraient incorrigi- 
bles, on les abandonnait, et la plupart du 
temps on en faisait desjesclaves. 

Punition des menteurs. 



Le mensonge était sévèrement puni; on 
11. 9 



130 RAPPORT SUR LES CHEFS 

fendait un peu la lèvre aux enfants qui s'y 
montraient enclins ; aussi étaient-ils généra- 
lement véridiques. Quelqu'un ayant demandé 
à des vieillards pourquoi les Indiens étaient si 
changés, « c'est, répondirent-ils, parce qu'il 
n'y a plus de punitions, et que la fierté et la 
cruauté des Espagnols les remplissent telle- 
ment de crainte ,v qu'ils n'osent leur faire que 
des réponses qui leur soient agréables. Ils 
disent toujours oui, quoiqu'une chose soit 
impossible , et craignent constamment de 
leur déplaire en répondant, parce que leurs 
maîtres ne se fient pas à eux et ne les com- 
prennent pas. » De là vient que lorsqu'un Es- 
pagnol interroge un Indien, celui-ci se re- 
cueille avant de répondre et parle rarement 
sans avoir réfléchi. Ils prétendent que ce sont 
les Espagnols qui les y ont habitués. 



Des précepteurs veillaient sur leurs mœurs. 



Comme il y avait beaucoup d'enfants, un 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 131 

certain nombre, tels que ceux des souverains, 
étaient élevés dans les temples en côhipagnie 
d'autres enfants nobles ; et ceux des gens du 
peuple, dans des collèges militaires établis 
dans chaque tribu , sous l'inspection d'un 
vieillard qui les surveillait, les instruisait, les 
occupait à porter du bois pour le temple, et 

« 

à l'entretenir, ainsi que les maisons dans les- 

• ' . ' 

quelles on les instruisait. Ils étaient obligés de 
travailler aux terres affectées à ces établisse- 
ments , pour pourvoir à leur nourriture. On 
leur feisait observer des jeûnes établis à des 
époques fixes; on ne leur permettait pas de 
rester dans l'oisiveté, vice sévèrement puni. 
11 V avait des heures destinées à l'instrue- 
tion, et d'autres dans lesquelles on examinait 
leur conduite et les fautes qu'ils avaient com- 
mises. Ceux qui avaient l'âge nécessaire par- 
taient pour la guerre, les autres allaient les 
voir combattre et s'instruire par leur exemple. 
Us étaient si soumis qu'ils ne répliquaient ja- 
mais aux ordres de leurs chefs, et les remplis- 



132 RAPPORT SUR LES CHEFS 

saient avec la plus grande promptitude^ sans 
considérer le temps ou Theure. 



U était défendu de se marier sans autorisation.. 

Lorsqu'ils étaient d'âge à se marier 3, c'est- 
à-dire à vingt ans ou un peu plus , ils en de- 
mandaient l'autorisation. Celui qui y man- 
quait était considéré pour toujours comme un 
mal élevé et un ingrat. Si le jeune homme 
était pauvre, la communauté où il avait été 
élevé l'aidait. Les parents riches faisaient des 
présents à la maison et au chef militaire qui 
avait eu soin de l'éducation de leurs enfants. 
L'autorisation de se marier , qui était donnée 
par les père et mère , était fort importante ; 
très-rarement ils se mariaient sans l'avoir ob- 
tenue, parce que celui qui agissait ainsi était à 
jamais entaché d'infamie. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 133 



Les enfants des laboureurs étaient autorisés à aider leurs pères 
dans leurs travaux. — On les élevait durement. 



Tant qu'ils restaient dans cette commu- 
nauté , à certains jours fixes, mais rares, les 
fils des laboui^urs avaient la permission d'al- 
ler partager les travaux de leurs pères , et ils 
rapportaient à leurs collèges une certaine 
quantité de produits destinés à la commu- 
nauté. On les élevait durement : ils ne man- 
geaient qu'un peu de pain dur, dormaient 
légèrement vêtus, dans des salles humides ou 
dans des dortoirs ouverts comme des porti- 
ques. Les Indiens disaient que les guerres étant 
fréquentes , il fallait que les jeunes gens fus- 
sent faits à la fatigue. 



Époque de leur sortie de la conununauté. 



L'âge de se marier étant arrivé, s'ils ne 
voulaient pas prendi^e de femmes, on les con- 



134 RAPPORT SUR LES CHEFS 

gédiait; surtout à TIaxcala; mais il était bien 
rare qu'ils ne se mariassent pas lorsqu'ils en 
étaient avertis. 

Discours du chef militaire aux jeunes gens qui qajtUient 

la communauté. 

Lorsque les jeunes gens sortaient de la mai- 
son où ils avaient été élevés , le chef leur fai- 
sait vin, long discours dans lequel il kur re- 
comms^ndait d'être pieux envers les dieuK , de 
se souvenir de l'instruction qu'ils avaient re- 
çue dans la maison qu'ils quittaient , de tra— . 
vailler pour soutenir leurs femmes et leurs 
familles^ de ne pas négliger l'éducation de leurs 
enfants^ d'être braves à la guerre, et il leur 
promettait la protection des dieux s'ils se eon>- 
duisaient bien. Il terminait en leur recom- 
mandant de chérir leurs parents , de respecter 
les vieillards et d'observer leurs maximes. 

Admission des jeunes ^ens dans la classe des contribuables. 

Aussitpt que les Jeunes gens étaient mariés. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 135 

on les classait, car, suivant leur usage, ils 
étaient divisés en sections qui avaient chacune 
un chef ou capitaine, tant pour faciliter la 
perception des impôts que pour d'autres rai- 
sons. Tout était réglé avec beaucoup d'ordre, 
et bien que le pays fut très-peuplé , petits ou 
grands étaient enregistrés, et chacun se tenait 
prêt à obéir à son chef avec ponctualité. 

Non content de Tordre et du soin qui pré- 
sidaient à l'éducation publique des enfants, 
les pères en particulier étaient très-attentifs 
à leur donner d'excellents avis, comme on le 
voit encore aujourd'hui par les peintures que 
conservent des chefs indiens. Un religieux qui 
réside depuis très-longtemps dans cette con- 
trée , qui sans cesse a entretenu des rapports 
avec les naturels et s'est occupé de leur con- 
version, en a traduit une explication. Des 
chefs indiens, qu'il pria de 'rédiger succinc- 
tement ces maximes, firent des extraits de 
leurs peintures qu'ils comprçnïieiit fort bien. 
Ce religieux leur recommanda de remplacer les 



136 RAPPORT SUR LES CHEFS 

noms de leurs idoles par celui du vrai Dieu ; 
du reste il ne changea pas une lettre à ces ex- 
traits; il se contenta de les diviser par articles 
et par paragraphes^ afin qu'on en comprit 
mieux le sens. Son intention était de faire voir 
clairement que les Indiens ne sont pas privés 
de raison , comme on Ta prétendu autrefois ; 
je vais les transcrire littéralement. Je sup- 
plie humblement Votre Majesté de m'excuser 
si je m'écarte un moment des sujets sur les- 
quels elle désire être instruite; je n'ai d'autre 
intention que de la servir, et j'ai lieu de croire 
que la connaissance de ces préceptes lui sera 
agréables d'autant plus qu'ils n'ont pas été 
inventés à plaisir, et que leur origine est 
certifiée par des serviteurs de Dieu. Ils sont 
conçus en ces termes : 



Avis des pères à leurs enfants. 

« mon fils très-cher, créé par la volonté de 
Dieu, sous les yeux de tes père et mère et de 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 137 

tes parents (i), comme un poussin qui sort 
de sa coquille s'essaye à voler, tu t'essayes à la 
peine. Nous ignorons jusqu'à quand Dieu nous 
permettra de jouir de toi; supplie-le, mon 
fils, de te protéger, car il t'a créé; c'est ton 
père, il t'aime mieux que moi. Adresse-lui tes 
soupirs nuit et jour, qu'il soit l'objet de tes 
pensées, sers-le avec amour, il te sera misé- 
ricordieux et te délivrera de tout danger. 
Respecte l'image de Dieu et tout ce qui a rap- 
port à lui. Prie-le dévotement, observe les 
fêtes religieuses ; celui qui offense Dieu mour- 
ra misérable, et ce sera sa faute. 

» Honore et salue les vieillards , console les 
pauvres et les affligés par tes discours et par 
tes bonnes œuvres. 

» Révère, aime, sers tes père et mère, obéis- 
leur, car le fils qui ne se conduit pas ainsi 
s'en repentira. 

(i) Le commencement de cette phrase est rendu difTérem- 
ment par d'autres auteurs. M. Charles-Marie de Bustamante, qui 
a tiré le plus grand parti de ce rapport pour composer le II* et 
le III* livre de l'ouvrage intitulé : Tezcuco tous ses anciens Rois, 



138 RAPPORT SUR LES CHEFS 

» Aime et honore tout le monde, et tu vi- 
vras en paix. 

» N'imite pas les insensés qui ne respectent 
ni père ni mère, et qui, semblables aux ani- 
maux, n'écoutent les conseils de personne. 

» Fais bien attention, mon fils, de ne pas te 

moquer des vieillards , des malades , des es- 
tropiés, ni des pécheurs. Ne sois pas superbe 
à leur égard, ne les hais pas, mais humilie- 
toi devant le Seigneur, et crains d'être aussi 
malheureux qu'eux. 

» N'empoisonne personne, car tu ofiFenserais 
Dieu dans sa créature, ton crime se décou- 
vrirait, tu en porterais la peine et tu mour- 
rais de la même mort. 

» Sois probe , poli, et ne cause de la peine à 
personne. 

» Ne te mêle pas des affaires où tu n'es pas 
appelé, dans la crainte de déplaire et de pas- 
ser pour un indiscret. 

s'exprime ainsi : O mon fils ^ loi sur qui ^ depuis ta naissance ^ 
sont tournés lesj^eujc de ton père, de ta mère et de tes parents. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 139 

>j N^ blesse personne, évite Tadultère et la 
luxure : c'est un vilain vice qui cause la 
perte de celui qui s'y livre, et qui offense Dieu. 

» Ne donne pas de mauvais exemples. 

» Sois modeste en tes discours; n'interromps 
pas les personnes qui parlent, ne les trouble 
pas; si elles s'expriment mal, si elles se trom- 
pent, contente-toi de ne pas les imiter. Garde 
le silence quand ce n'est pas à toi de pailler, 
et si l'on t'interroge , réponds ouvertement; 
sans passion et sans mensonge. Ménage les 
intérêts des autres, et l'on fera cas de tes dis- 
cours. Si tu évites, ô mon fik, de rapporter 
des contes, de répéter des plaisanteries, tu 
éviteras de mentir et de semer la discorde : 
ce qui est un sujet de confusion pour celui 
qui le fait. 

»'Ne sois pas un batteur de pavés, ne rôde 
pas dans les rues, ne perds pas ton temps dans 
les marchés ou dans les bains, de crainte que 
le démon ne te tente et ne fasse de toi sa vic- 
time. 



440 RAPPORT SUR LES CHEFS 

» Ne sois pas affecté ou trop recherché dans 
ta mise^ car c'est un indice de peu de juge- 
ment. 

» Dans quelque endroit que tu te trouves, 
que ton regard soit modeste ; ne fais /pas 
de grimaces, évite les gestes déshonnétes; 
tu passerais pour un libertin, et ce sont des 
pièges du démon. Ne prends personne par. la 
main ni par ses habits, ce qui est le signe 
d'un esprit indiscret. Fais bien attention, 
quand tu marches , de ne pas barrer le pas- 
sage à qui que ce soit. 

w Si l'on te prie de te charger d'une afifairé et 
que ce soit-pour te tenter , excuse-toi honnê- 
tement de le faire, bien que tu puisses en re- 
tirer quelque avantage, et tu seras tenu pour 
un homme sage et prudent. 

» N'entre pas ou ne sors pas avant tes supé- 
rieurs, évite de prendre le pas sur eux, laisse- 
leur toujours la place d'honneur, et ne 
cherche à l'emporter sur personne, à moins 
que tu ne sois élevé en dignité; car tu serais 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 141 

regardé comme un grossier. Sois modeste; 
l'humilité nous mérite la grâce de Dieu et des 
puissants. 

» Ne te hâte pas trop en mangeant ou en 
buvant, et si tu es à table, offre à celui qui se 
présentera à toi dans le besoin de prendre 
part à ton repas; tu en seras récompensé. 
Si tu manges en compagnie, que ce soit 
sans avidité et sans gloutonnerie, tu pas- 
serais pour un gourmand. Prends tes repas 
la tête baissée , et de manière à ne pas finir 
avant les autres , de peur de les ofiFenser. 

» Si l'on te fait un présent, quelque faible 
qu'il soit, ne le dédaigne pas, et ne pense pas 
mériter davantage, car tu n'y gagnerais 
pas devant Dieu ni devant les hommes. 

>j Confie-toi entièrement au Seigneur, c'est 
de lui que te viendra le bien, et tu ne sais 
pas quand tu peux mourir.» 

» Je me charge de te procurer ce qui te con- 
vient, souffre et attends patiemment. Si tu 
veux te marier, dis-le-moi; et puisque tu es 



142 RAPPORT SUR LES CHEFS 

notre enfant, n'entreprends pas de le faire 
avant de nous en avoir parlé. 

» Ne sois ni joueur ni voleur, car un de ces 
défauts occasionne l'autre, et c'est très-hon- 
teùx. Si tu évites de l'être, tu ne seras pas diffa- 
nié dans les places publiques et dans lesraar- 
chés. 

» Suis toujours le bon parti, ô mon fils! 
sème et tu recueilleras ; tu vivras de ton tra- 
vail, et conséquemment tu seras satisfait, et 
chéri de tes parents. 

» On ne vit dans ce monde qu'avec bien de 
la peine, on ne se procure pas facilement le 
nécessaire. J'ai eu bien du mal à t'élever, et 
pourtant jamais je ne t'ai abandonné et je n'ai 
rien fait dont tu puisses rougir. 

» Si tu veux vivre tranquille, évite de mé- 
dire, car la médisance occasionne des que- 
relles. 

» Tiens secret ce que tu entends dire, qu'on 
l'apprenne plutôt par d'autres que par toi; et 
si tu ne peux t'empécher de le dire, parle 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 143 

franchement sans rien cacher, quand même 
tu croirais bien faire. 

» Ne raconte pas ce dont tu as été témoin. 
Sois discret, car c'est un vilain vice que d'être 
bavard, et si tu mens, tu seraa certainement 
puni. Garde le silence, on ne gagne rien à 
parler. 

» Si l'on t'envoie en message près de quel- 
qu'un qui t'accueille durement, qui parle mal 
de celui qui t'a envoyé, ne rapporte pas cette 
réponse donnée de mauvaise humeur, et ne 
laisse pas entendre qu'on te l'a faite. Si l'on te 
demande comment tu as été reçu, réponds 
tranquillement, en termes doux; cache le 
mal que l'on t'a dit , dans la crainte d'irriter 
les deux parties, qu'on ne se blesse ou qu'on 
ne se tue, et que plus tard tu ne te dises tris- 
tement : Oh ! si je ne Pavais pas dit ! mais il sera 
trop tard, et tu passeras pour un brouillon, 
sans que tu aies d'excuse. 

» N'aie aucun rapport avec la femme d'un 
autre, vis chastement, car on n'existe pas deux 



144 RAPPORT SUR LES CHEFS 

fois dans ce raondc^ la vie est courte, difficile, 
et tout a un terme. 

>) N'offense personne, n'attente pas à son 
honneur, rends- toi digne des récompenses 
que Dieu accorde à chacun comme il lui plait, 
reçois ce qu'il te donnera, remercie-le, et si 
c'est beaucoup, ne t'enorgueillis pas. Humilie- 
toi, ton mérite n'en sera que plus grand, et 
les autres n'auront pas occasion de murmu- 
rer ; mais au contraire, si tu t'attribues ce qui 
ne t'appartient pas , tu recevras des affronts 
et tu offenseras Dieu. 

» Lorsque quelqu'un te parle, ne remue ni 
les pieds ni les mains, ne regarde pas à droite 
et à gauche, évite de te lever, ou de t'asseoir 
si tu es debout ; tu passerais pour un étourdi 
et un impoli. 

» Si tu es au service de quelqu'un , aie soin 
de te rendre utile avec zèle et de lui être agréa- 
ble; tu ne manqueras pas du nécessaire, et tu 
seras bien traité partout: si tu fais le con- 
traire, tu ne pourras rester chez personne. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGJSE. 145 

» Mon fils, si tu refuses d'écouter les con- 
seils de ton père, tu feras une mauvaise fin, 
et ce sera ta faute. 

» Ne sois -pas orgueilleux de ce que Dieu t'a 
donné et ne méprise pas les autres; tu offen- 
serais leSeigneur, qui t'a placé dans une posi- 
tion honorable, 

» Si tu es ce que tu dois être, on te citera 
aux autres pour modèle quand on voudra 
qu'ils se corrigent. 

>x Voici, ô mon fils! les conseils que te 
donne un père qui te chérit; observe-les, et 
tu t'en trouveras bien. » 



Réponse du fils. 

« Mon père, vous m'avez fait beaucoup de 

bien, disposez comme vous voudrez du fruit 

de vos entrailles. mon père chéri! je ferai 

ce que vous m'avez prescrit; je serais sans 

excuse si je tenais une autre conduite, et il ne 

faudrait pas vous en attribuer la faute, ô mon 
II. 10 



146 RAPPORT SUR LES CHEFS 

père ! car vous m'avez donne d'excellettts avis. 
Vous savez, néanmoins, que je suis encore 
un enfant, j'ignore ce qui me convient; mais 
je suis votre sang : continuez -moi donc vos 
conseils , que ce ne soit pas la dernière fois 
que je les reçoive; je suis persuadé que vos 
autres avis paternels me seront donnés avec 
la même affection que ceux-ci, et je vous prie 
de ne pas m'abandonner si je ne les suivais 
pas aussitôt. mon père, je ne réponds à 
vos conseils et à vos avis que par ce peu de 
mots; mais Dieu vous récompensera du bien 
que vous m'avez fait! » 

Tels étaient les conseils que les nobles ou 
les habitants des villes, les marchands et les 
artisans donnaient à leurs enfants; voici 
ceux des gens du peuple : 



Conseils des labourears à leurs enfants. 

« Mon fils , prépare-toi sans cesse avec pa- 
tience aux infirmités et aux punitions que 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 147 

Dieu peut t'envoyér chaque jour; car nous 
devons souffrir continuellement dans ce 
inonde. 

» Ne dors pas trop j ne néglige pas de servir 
celui chez qui tu es, afin de mériter ses 
bonnes grâces; remplis bien ton devoir, tu 
en as le moyen. 

» N'évite pas le travail pour lequel Dieu t'a 
créé, car tu ne méritais pas davantage; sois 
satisfait de ton état. 

» Si tu remplis un emploi , sers à la fois les 
intérêts du peuple et ceux du chef; tu gagne- 
ras par ce 'moyen de quoi élever ta famille. 

» Remplis bien les devoirs de ton état; la- 
bouré, sème, plante tes arbres, et vis de la 
sueur de ton front. Ne te déeourage pas, évite 
la paresse; car si tu es oisif et négligent, tu 
ne pourras ni vivre, ni nourrir ta femme et 
tes enfants. L'activité et le travail sont ftivo- 
rables à la santé et rendent l'àme joyeuse. 

» Fais en sorte que ta femme ait soin du mé- 
nage et remplisse son devoir; donne à tes en- 



148 RAPPORT SUR LES CHEFS 

fantslesconseilsdontilsont besoin^ soit comme 
fils, soit comme pères, afin qu'ils vivent 
sans oJBTenser Dieu. Ne fais rien dont ils aient 
à rougir. Que le travail dans lequel tu vis ne 
t'effraye pas; c'est par le travail que tu sub- 
sisteras et que tu nourriras tes enfants. 

» Je t'ai déjà dit, mon fils, d'avoir soin de ta 
femme et de ta famille; il faut aussi travailler 
pour tes parents et pour aider ceux qui vien- 
nent chez toi, afin que tu puisses les secourir 
quoique pauvre^ qu'ils jugent de ton bon cœur, 
qu'ils t'en remercient et qu'ils te rendent les 
mêmes services. 

» Aime ton prochain , sois compatissant , 
modeste, poli, sobre, tu seras aimé et estimé. 
Ne maltraite qui que ce soit, n'humilie per- 
sonne, fais ce que tu dois et n'en sois pas 
fier; car tu offenserais Dieu et tu serais puni. 

» Si ta conduite n'est pas droite, qu'as-tu à 
attendre de Dieu , sinon qu'il ne t'ôte ce qu'il 
t'a donné et qu'il ne te plonge dans l'abatte- 
ment et dans le malheur? 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 149 

» Sois «soumis à tes supérieurs , évite les 
occasions de mal faire , fuis les paresseux et 
recherche ceux qui travaillent ; si tu agis au- 
trement^ tu vivras dans la honte et dans la 
misère. 

» Évite la médisance, ne réponds pas mal 
à tes père et mère ou à ceux qui te conseillent 
de travailler ; autrement tu t'attirerais du cha- 
grin et tu ne ferais qu'augmenter tes peines. 

» Si tu es d'un caractère difficile, tu ne pour- 
ras vivre avec personne , chacun te repous- 
sera, tu seras la cause de ta ruine, de celle de 
ta femme et de tes enfants; tu ne trouveras 
pas d'asile, tu mourras de faim, et ce sera ta 
faute. 

» Lorsque tu reçois un ordre , obéis de 
bonne volonté, et réponds poliment. Si tu 
peux faire ce qu'on te demande, fais-le; si tu 
ne le peux pas, dis-le franchement, sans men- 
tir ; car, s'il est impossible que tu le fasses, on 
s'adressera à un autre et ta conduite ne sera 
pas répréhensible. 



>* 



150 RAPPORT SUR LES CHEFS 

» Sois actif, n'aime pas trop le repos, ne 
perds pas ton temps à aller et venir. 

» Construis pour toi et pour tes enfknts une 
maison où tu puisses vivre toute ta vie; et 
quand tu mourras, il sera consolant pour toi 
de laisser à ta famille de quoi subsister. Que 
ces avis te suffisent, ô mon iîls; observez- 
les. » 



Réponse du fils. 

« Mon père, je vous remercie beaucoup des 
cojGiseils que vous m'avez donnés dans cet en- 
tretien affectueux. Je serais bien coupable de 
ne pas suivre d'aussi bons avis ; mais cepen- 
dant je ne suis qu'un pauvre malheureux 
macehiial qui vit dans une misérable maison 
au service d'^utrui. Pauvre laboureur que je 
suis , Dieu m'a accordé une grande faveur en 
se spuveoant de moi, puisqu'il a fait que vous, 
mon père, vous me donniez d'aussi bons 
conseils! Qui aurait pu me tenir de tels dis- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 151 

cours ? Les paroles précieuses de votre cœur 
sont inestimables, et rien ne peut leur êtrecom ^ 
paré. Oh I que je désire de m'en rendre digne, 
jamais je ne les oublierai. Elles ont versé la 
joie dans mon cœur, et vous, mon père, qui 
m'aimez, vous avez rempli votre devoir.» 



Ck)nsei1s des mères nobles à leurs filles. 

Les mêlées ne négligeaient pas de doni^r 
des conseils à leurs filles : avant de quitter 
la maison paternelle, elles leur recomman- 
daient dans un long discours d'aimer et de 
servir leurs maris , afin d'entretenir l'union 
^ conjugale. « Ma fille , leur disaient -elles , 
puisque tu es mariée, prépare-toi à nous 
quitter, car tu sais qu'il est d'usage que les 
femmes suivent leurs maris pour vivre avec 
eux et chez eux. Accompagne donc ton 
époux, et que ta vie serve d'exemple aHx 
autres femmes; souviens-^toi que tu es fille 
et femme d'un noble, qii« tu dois vivre dans 



152 RAPPORT SUR LES CHEFS 

la vertu , servir Dieu et lui faire des sacrifices 
comme c'est l'usage <ie la noblesse. Sois pa- 
reillement attentive à servir ton mari et à lui 
plaire; c'est ainsi que tu mériteras la faveur 
de Dieu, et il t'accordera des fils qui hérite- 
ront de sa puissance. 

» Si ton mari étant en voyage, tu apprends 
qu'il revienne, sors aussitôt de chez toi, et 
va le recevoir avec tes femmes. Accueille-le 
avec beaucoup de tendresse et de pudeur ; 
par ce moyen tu seras chérie de lui et de te& 
parents lorsqu'ils te verront pudique et 
bien élevée, et l'amour que vous avez l'un 
pour l'autre fera notre joie; mais si tu com- 
mets des actes indignes de ta qualité, tu nous 
accableras de chagrin et de honte. ». Après cea 
avis et d'autres semblables, elles ajoutaient : 
«Va, ma fille, avec tes mères (tes gouver- 
nantes)^ elles t'accompagneront; ce sont elles 
qui t'ont élevée, elles te serviront et auront 
soin de toi; prends grand soin de ne com- 
mettre aucune action honteuse et mauvaise. >^ 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 153 

Les parents recommandaient surtout à leurs 
filles la pudeur, Tobéissance et l'amour con- 
jugal. Ces avis des pères et mères à leurs filles 
ressemblent à ceux que les beaux-pères de 
Tobie donnèrent à Sara. 



Conseils des femmes du peuple à leurs filles. 

Celles qui n'étaient pas nobles donnaient 
aussi des avis à leurs filles en leur disant : 
«Ma fille, je t'ai mise au monde, je t'ai élevée 
et nourrie comme il faut, l'honneur de ton 
père a rejailli sur toi ; si tu ne fais pas ton 
devoir, tu ne pourras pas vivre avec les 
femmes vertueuses, et personne ne voudra de 
toi pour épouse, 

» L'on ne vit dans ce monde qu'avec beau- 
coup depeine et de travail, les forces s'épuisent; 
il faut donc servir Dieu pour qu'il nous aide , 
nous soutienne et nous accorde la santé. Il faut 
être active et soigneuse pour acquérir le né- 
cessaire. 



154 RAPPORT SUR LES CHEFS 

>) Ma fille chérie , évite 4a paredse et 4a ilég;Ii- 
gçnce , sois propre et laborieuse , soigné toii 
ménage^ faisr-y régner l'ordre, que chaque 
chose soit à sa place : voilà comme tu appren-* 
dras à faire ton devoir quand tu seras mariée. 

» Dans quelque endroit que tu ailles, res- 
pecte la pudeur ; ne marche pas trop vite ni 
en riant ou en regardant ça et là les hommes 
qui passent près de toi; ne regarde que ton 
chemin; c'est ainsi que tu acquerras la ré^ 
putation d'une honnête femine. 

» Aie bien soin d'être polie , de parier oo»« 
venablemeiitf et quand on t'interroge, que 
tes réponsç^ soieii^t courtes et claires. 

» Soigne ta maison, fais de la toile, travaille; 
tu seras aimée, tu mériteras d'avoir le néçes-- 
saire pour vivre et te vêtir, tu seras heureuse, 
et tu remercieras Dieu de ce qu'il t^a dontté 
les talents nécessaires pour cela. 

» Ne te liaisse pas aller au sommeil ni à la 
paresse, n'aime pas trop à rester au lit, à 
l'ombre ou au frais; car tu deviendrais non- 



t 



DE tA NOUVELLE-ESPAGNE. 155 

chalante , libertine , et tu ne pourrais vivre 
avee honneur et convenablement. Les femmes 
qui se livrent au libertinage ne sont ni recher- 
diëes ni aimées. 

» Que tu sois assise ou levée, que tu marches 
ou que tu travailles , que tes pensées et tes ac- 
tions, ma fille, soient toujours louables. Rem- 
plis ton devoir, afin d'obéir à Dieu et à tés 
parents. 

» Ne te fais pas appeler deux fois , viens 
tout de suite pour voir ce que Ton désire, 
afin que l'on n'ait pas le chagrin de punir ta 
paresse et ta désobéissance. 

» Écoute bien les ordres que Ton te donne, 
ne réponds pas mal ; et si tu ne peux pas faire 
ce que l'on t'ordonne sans manquer à Thon- 
neur , excuse^toi poliment , mais ne mens 
pas et ne trompe personne , car Dieu te voit. 

» Si tu entends appeler une autre personne 
et qu'elle n'arrive pas aussitôt, hâte-toi d'al- 
ler voir ce que l'on désire; fais ce que l'on 
voulait qu'elle fit, et tu seras aimée. * 



I 



156 RAPPORT SUR LES CHEFS 

» Si Ton te donne un bon avis, profites-en , 
ne le méprise pas de crainte de te faire més- 
estimer. 

» Que ta démarche ne soit ni trop hâtée ni 
déshonnête; tu passerais pour une femme lé- 
gère. 

» Sois charitable , n'aie de haine ni de mé- 
pris pour personne , évite l'avarice, n'inter- 
prète rien en mauvaise part, et ne sois pas ja- 
louse du bien que Dieu accorde à d'autres. 

» Ne fais pas de tort à autrui dans la 
crainte qu'on ne t'en fasse à toi-même ; évite 
le mal, ne suis pas les penchants de ton 
cœur ; tu pourrais te tromper , tomber dans 
le vice, et tu ferais ta honte et celle de tes 
parents. 

» Évite la société des menteuses , des pares- 
seuses , des commères et des femmes de mau-r 
yaises mœurs; elles te perdraient. 

» Occupe-toi de ton ménage, ne sors pas de 
chez toi pour te divertir, ne perds pas ton 
temps au marché , dans les places et les bains 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 157 

publics; c'est très-mal, et c'est ainsi que l'on 
se perd, que Ton se ruine et que l'on devient 
vicieuse , car on y nourrit de mauvaises pen- 
sées. 

» Lorsqu'un homme cherche à t'adresser la 
parole, ne l'écoute pas , ne le regarde pas, 
garde le silence et ne fais pas attention à 
luij s'il te suit, ne lui réponds pas, dans la 
crainte que tes paroles n'excitent sa passion , 
Si tu ne fais pas attention à lui , il cessera de 
te suivre. 

)) N'entre pas chez les autres sans besoin , 
pour éviter que l'on ne jase sur ton compte. 

» Si tu vas voir tes parents , témoigne-leur 
tes respects; ne sois pas paresseuse, prends 
part au travail qui est en train si tu le peux, 
et ne reste pas à regarder celles qui tra- 
vaillent. 

* 

» Si tes parents te choisissent un époux, tu 
dois l'aimer, l'écouter, lui obéir, faire avec 
plaisir ce qu'il te dit, ne pas détourner la tète 
lorsqu'il te parle , et s'il te disait quelque chose 



158 RAPPORT SUR LES CHEFS 

de désobligeant, cherchera sui'monter ton 
chagrin. S'il vit de ton bien, ne le méprise pas 
pour cela. Ne sois ni bourrue ni incivile, car 
tu offenserais Dieu, et ton mari s'irriterait 
contre toi ; dis-lui avec douceur ce que tu cï*ois 
convenable. Ne lui tiens pas de discours of- 
fensants devant les autres et même étant 
seule, car c'est toi qui en porterais ïa honte 
et le mépris. 

>) Si quelqu'un vient rendre visite à ton 
mari, reçois-le bien et fais-lui quelque amitié. 

» Si ton mari ne se conduit pas convenable- 
ment, donne-lui des avis sur la manière de se 
conduire et dis-lui d'avoir soin de sa maison. 

» Sois attentive à ce que Ton travaille à tes 
terres, aie soin des récoltes et ne néglige rien. 

» Ne prodigue pas ton bien , aide ton mari 
dans ses travaux : de cette façon tu ne man- 

f a 

queras pas du nécessaire et tu pourvoiras à 
l'éducation de tes enfants. 

» Ma fille, si tu suis mes avis, tu seras 
aimée et estimée de tous. En te les donnant, 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 159 

je remplis mon devoir de mèrej en les suivant^ 
tu vivras heureuse. S'il en est autrement, ce 
sera de ta faute , tu verras plus tard ce qui 
t'arrivera de ne m'avoir pas écoutée , et 
l'on ne pourra pas dire que j'ai négligé de te 
donner les conseils que je te devais comme 
mère* » 



Réponse de la fille. 



{< Ma mère , vous m'avez fait grand plaisir, 
et ce serait bien mal à moi si je ne prenais pas 
en considération tout ce que vous m'avez dit. 
Que deviendrais-je, privée de ces sages pré- 
ceptes ? Vous m'avez élevée avec peine , et à 
présent encore vous ne m'avez pas oubliée, 
puisque vous me donnez ces conseils. En quoi 
puis-je vous être agi^éable? Dieu veuille que 
je sois digne d'en suivre une partie, que je 
sois telle que je dois être, et que vous, ma 
mère, vous preniez part aux faveurs que Dieu 
m'accordera ! Il vous récompensera du soin 



160 RAPPORT SUR LES CHEFS 

que vous n'avez cessé d'avoir pour moi. » 
Tel est, Sire, le système de gouvernement 
de ces peuples avant leur conversion ; tel est 
Tordre judiciaire, l'administration de leur ré- 
publique, la discipline et la sagesse qui pré- 
sidaient à l'éducation de leurs enfants. J'a- 
vouerai à Votre Majesté catholique et royale 
qu'ils avaient quelques lois injustes et mau- 
vaises , plusieurs coutumes cruelles , tyran- 
niques et très-erronées , comme cela doit être 
chez des peuples aveugles, privés de la loi 
évangélique; mais grâce à la miséricorde de 
Dieu, toutes ces erreurs ont disparu depuis 
qu'ils ont reçu la loi si douce de notre Ré- 
dempteur. Le fruit qu'on a retiré et qu'on 
retire de la propagation de la foi est considé- 
rable, mais il serait plus grand encore si les 
circonstances ne s'y étaient opposées. 

Dans la crainte que Votre Majesté pense 
que je ne me fonde que sur le rapport des reli- 
gieux , bien que ce soient des personnes qui 
méritent une grande confiance et qui ont été 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 161 

témoins d'une partie de ce que j'ai avancé, 
outre ce que j'ai appris moi-même d'une ma- 
nière positive, je vais rapporter ce que Fer- 
nand Cortez écrivit à Sa Majesté l'empereur 
notre maître, que Dieu veuille avoir en sa 
gloire, aussitôt qu'il pénétra dans ces con- 
trées. Voici comme il s'exprime en parlant de 
Tlaxcala(i) : 

« Enfin , ils se sont présentés comme sujets 
et vassaux de Votre Majesté, et ils ont offert 
leurs personnes et leurs biens pour votre ser- 
vice royal. Jusqu'à présent ils ont tenu pa- 
role, et je crois qu'ils continueront de le faire 
indéfiniment, comme Votre Majesté pourra le 

voir par la suite » Il ajoute plus loin : 

« Pour céder à leur prière, je me rendis à la ca- 
pitale , qui est si grande et si digne d'admira- 
tion, que de tout ce queje puis en dire, c'est que 
le peu que j'en rapporterai paraîtra incroyable. 



(i) Otte citation est extraite de la seconde lettre de Fernand 
Cortez à Charles V. ^ 

i^Nole de V éditeur.) 

11. Il 



162 RAPPORT SUR LES CHEFS 

En effet, elle est beaucoup plus grande que 
Grenade et beaucoup plus forte; elle ren- 
ferme autant et d'aussi beaux édifices , et une 
population bien plus considérable que n'avait 
cetteville au moment où l'on s'en rendit maître. 
Elle est bien mieux fournie des productions 
du pays, c'est-à-dire de grains, de volailles, 
de gibier, de poissons de rivière, de légumes 
et d'autres excellents produits^ dont les In- 
diens font leur nourriture. Cette ville a un 
marché dans lequel chaque jour on voit trente 
mille personnes qui vendent ou achètent, 
outre beaucoup d'autres plus petits, répan- 
dus dans la ville. On trouve dans le grand 
marché toute espèce d'objets servant à la nour- 
riture, à l'habillement et à la chaussure. On 
y voit de l'argenterie, de la joaillerie, des 
pierres fines, des bijoux et des plumes; tout 
cela aussi bien rangé que dans quelque place 
de commerce qu'il y ait au monde. On y trouve 
toute espèce de vaisselle excellente et com- 
parable à la meilleure qu'il y ait en Espagne. 



DE L\ iNOUVELLE-ESPAGNE. 163 

Il s*y vend une quantité considérable de bois, 
de charbon, d'herbages servant de nourri- 
ture ou de médicaments ; on y remarque sur- 
tout le bon ordre et la police qui y régnent. 
Ces Indiens sont si remplis de raison et d'es- 
prit d'ordre que le peuple le plus avancé de 
l'Afrique ne peut leur être comparé. Le 
pays est rempli de vallées et de belles plaines 
toutes cultivées et ensemencées, sans qu'il y 
ait un endroit en friche. La province a plus 
de quatre-vingts lieues de tour, autant qu'on 
a pu s'en instruire jusqu'à présent. Le mode 
de gouvernement est presque semblable à ce- 
lui des républiques de Venise, de Gênes (i) et de 
Pise, c'est'-à-dire qu'il n'y a pas de prince sou- 
verain. Les chefs , qui sont en grand nombre, 
résident dans cette ville. Le peuple est com- 
posé de laboureurs , vassaux de ces chefs, qui 
ont des territoires particuliers plus ou moins 

(i) Et non pas de Genève, comme le dit le vicomte de Fla- 
vigni en confondant Génova (Gênes) avec Ginehra (Genève), dan» 
sa traduction illisible des Lettres de Fernand Cortez. 

{Noie de Vcditeur,) 



1G4 RAPPORT SUR LES CHEFS 

considérables. Dans leurs guerres, qui sont 
fréquentes , tous se rassemblent et réunissent 
leurs sujets en corps d'armée. On croit qu'ils 
ont une espèce de jurisprudence et qu'ils pu- 
nissent les coupables; car un de ces naturels 
ayant volé un Espagnol , je le fis savoir à 
M axiscatzin , qui est le principal chef; des en- 
quêtes furent faites, et l'on poursuivit le vo- 
leur jusqu'à Chololan , ville peu éloignée de là. 
Il y fut arrêté et ramené avec l'or, et Ton me 
le livra pour que je le fisse punir; je les re- 
merciai du soin qu'ils avaient mis dans cette 
affaire, et je leur dis que puisqu'il était chez 
eux, c'était à eux de le punir suivant leurs 
usages, que je ne voulais pas m'en mêler ni 
infliger de châtiments à leurs sujets. Ils m'en 
' remercièrent et firent conduire publiquement 
le coupable au milieu du grand marché dont 
j'ai parlé, suivi d'un officier qui annonçait à 
haute voix la cause de son arrestation. Le vo- 
leur fut amené au pied d'une espèce de théâtre, 
élevé au centre de cette place , sur lequel l'of- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 165 

ficier monta et publia de nouveau à haute 
voix le délit dont il s'était rendu coupable. 
Tous, ayantentendu sa condamnation, lefrap- 
pèrent sur la tête à coups de massue jusqu'à 
ce qu'il fût expiré. Nous en avons vu un grand 
nombre enfermés dans des prisons, et Ton 
nous dit qu'ils y étaient détenus pour vol ou 
d'autres délits de ce genre. » 

Dans la même lettre, en parlant de Mocte- 
zuma, qui était le plus puissant seigneur de 
tout le pays , de l'obéissance de ses siyets en^ 
vers ce prince, des présents extraordinaires 
qu'il en reçut et de la grande ville de Mexico , 
voici comment Cortez s'exprime : 



Magnificence de Moctezuma. — Grandeur de Mexico. — Choses 
surprenantes que Ton y Toyait. — Traraux des Indiens. 



a Outre la valeur positive de ces pré- 
sents, ils étaient si merveilleux qu'on pou- 
vait les considérer comme inappréciables 
en raison de leur rareté, et Ton ne peut croire 



166 RAPPORT SUR LES CHEFS 

qu'aucun prince du monde connu put en 
posséder d'une aussi grande valeur. Que 
Votre Majesté ne prenne pas pour controu- 
vé ce que j'avance; Moctezuma possédait des 
représentations 'en or, en argent, en pierre- 
ries ou en plume, de toutes les créatures exis- 
tant sur terre ou dans la mer dont il pouvait 
avoir eu connaissance, et si bien imitées, 
qu'on les aurait prises pour la nature même. 
11 m'en donna une grande partie pour Voti^ 
Majesté. Outre cela, je lui fis voir d'autres 
objets dessinés j il ordonna de les foire en or: 
c'étaient des statues,des crucifix, des médailles, 
de petits bijoux et beaucoup d'autres objets 
à notre usage. 11 revenait à Votre Majesté cent 
et tant de marcs pour son quint sur l'argent. 
Je les confiai à des ouvriers du pays qui en 
firent d'après mes instructions des plats de 
toute grandeur, des tasses, des coupes, des 
cuillères aussi parfeites que possible. 

» Moctezuma me fitaussi présent d'un grand 
nombre de vêtements de sa garde-robe. Bien 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE, 167 

que ces habillements fussent en coton , et que 
la soie n'y entrât pas, il aurait été impossible 
de trouver dans tout l'univers des étoffes de 
couleurs aussi variées et qui imitassent aussi- 
bien la nature. 11 v avait des vêtements 

%/ 

d'hommes et de femmes admirables , et d'au- 
tres tissus semblables à nos tapis , propres 
à orner les salons et les églises; des couver- 
tures de lit qui n'auraient pas été plus belles 
quand même elles auraient été en soie, des 
matelas et des rideaux de lit en coton ou en 
plumes de diverses couleurs , et d'une beauté 
surprenante ; tout cela en si grande quantité 
qu'il est impossible d'endonner ledétail àVotre 
Majesté. J'ai reçu pareillement une douzaine de 
sarbacanes à leur usage, il me serait impos- 
sible d'en tracer la perfection. Toutes étaient 
ornées d'excellentes peintures dont les cou- 
leurs étaient parfaites ; on y voyait une mul- 
titude d'oiseaux, d'animaux, d'arbres, de 
fleurs, et une infinité d'autres sujets. Les 
deux extrémités et le centre étaient ornés d'un 



168 RAPPORT SUR LES CHEFS 

morceau d'or ciselé de six pouces de long. I! 
me fît présent d'une gibecière composée d'un 
filet d'or, pour contenir les balles qui servent 
pour les sarbacanes, en me promettant de m'en 
donner en or; enfin des carquois d'or et 
beaucoup d'autres objets fabriqués dans cette 
grande ville ou dans les états de ce prince. 

» Un rapport complet sur les usages et les 
coutumes de ces peuples, sur l'administration 
' et le gouvernement de cette capitale et des 
autres villes appartenant à ce souverain, exi- 
gerait beaucoup de temps et un grand nombre 
d'écrivains fort capables. Je ne pourrai donc 
rendre compte à Votre Majesté que de la cen- 
tième partie des faits qui méritent d'être rap- 
j)ortés; mais je ferai mon possible pour ra- 
conter le mieux que je pourrai quelques-uns 
dont j'ai été témoin oculaire, si merveilleux 
([u'ils passent toute croyance, et dont nous 
ne pouvons pas même nous rendre compte. 
Le seul reproche que Ton puisse m'adresser, 
c'est d'avoir fait un rapport incomplet; mais 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 169 

on ne dira jamais que j'ai exagéré les faits, ni 
ici, ni dans tout ce que j'écrirai, car il me 
paraît juste d'exposer à mon prince et maître 
la vérité le plus clairement possible, sans 
rien admettre qui puisse l'obscurcir ou l'exa- 
gérer » Après avoir décrit dans quel en- 
droit est fondé Mexico, il continue en ces 
termes : 



Position de Mexico. 



« Cette grande ville est bâtie dans le lac 
salé. De la terre ferme au centre de la ville, 
on compte deux lieues, quelle que soit la route 
que l'on prenne. On s'y rend par quatre digues 
pavées construites de main d'homme et de la 
largeur de deux lances. Mexico est aussi grand 
que Séville et Cordoue; les principales rues 
sont larges et droites , et la plupart occupées 
la moitié par un quai et l'autre par un canal 
que l'on parcourt dans des barques. De dis- 
tance en distance, et dans toutes ces rues, il 



170 RAPPORT SUR LES CHEFS 

y a des ouvertures pour se rendre par eau de 
l'une à l'autre. Quelques-unes sont très-larges, 
et cependant toutes sont traversées par des 
ponts construits au moyen de grosses poutres 
réunies avec beaucoup d'art. La plupart sont 
si larges que dix cavaliers peuvent les traver- 
ser de front. 

» Cette ville contient un grand nombre de 
places où se tiennent des marchés continuels. 
On y achète et l'on y vend sans cesse; il y 
a en outre un autre marché deux fois aussi 
grand que la ville de Salamanque, entouré 
de portiques, et dans lequel toute la jour- 
née soixante mille Indiens sont occupés à 
acheter ou à vendre. On y voit toute es- 
pèce de marchandises du pays, des vivres, 
des bijoux d'or et d'argent, du plomb, du 
cuivre jaune,, du cuivi^e, de l'étain, des 
pierres à bâtir, des coquilles, des co- 
raux, des plumes. On y vend de la chaux, 
des pierres brutes ou taillées, des briques 
crues et cuites, du bois de construction ou 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 171 

propre à toute espèce d'usage. Une rue est 
destinée au gibier ; on y trouve toute espèce 
d'oiseaux du pays, des poules, des perdrix, 
des cailles, des espèces de vautours, des hé- 
rons, des tourterelles, des pigeons, des petits 
oiseaux enfermés dans des cages de roseaux , 
des perroquets, des aigles, des faucons, des 
brutiers, des milans, des crécerelles et quel- 
(jues autres oiseaux de proie de ce genre (la 
peau des oiseaux se vend avec les plumes, la 
tête, le bec et les ongles) ; des lapins, des 
lièvres, des cerfs et des petits chiens coupés 
qu'ils engraissent pour les manger. Une autre 
rue est assignée aux herboristes qui vendent 
toute espèce de racines et d'herbes médici- 
nales du pays; on y voit des boutiques d'apo- 
thicaires où l'on débite des emplâtres et des 
médicaments toutpréparés, liquides ou en on- 
guent; des boutiques de barbiers où les natu- 
rels se font laver la figure ou coiffer. Dans 
d'autres maisons, on vend à boire ou à 
manger, 11 existe comme en Espagne des 



1 72 RAPPORT SUR LES CHEFS 

crocheteiirs pour porter les fardeaux. Oii 
trouve dans ce marché une grande quantité 
de bois, de charbon, des brasier^ en terre 
cuite, des nattes très-variées pour les lits, et 
d'autres plus fines pour s'asseoir et pour ta- 
pisser les salons et les chambres; toute espèce 
de végétaux, surtout des oignons, des aulx, 
des poireaux, du cresson alénois, du cresson, 
de la bourrache, de l'oseille, des cardons, une 
espèce de chardons bons à manger. Les fruits 
sont très-variés; ily a des cerises etdes prunes 
semblables à celles d'Espagne. On y vend du 
miel , de la cire, du miel de canne de maïs qui 
est aussi doux et aussi savoureux que celui de 
canne à sucre, du miel d'une autre plante que 
l'on nomme dans les îles maguei , et qui est 
bien préférable au sirop de raisins. Ils se 
servent de ces plantes pour faire du sucre et 
du vin; on en vend aussi de tout préparé. On 
achète dans ces marchés une grande variété 
de coton de toute couleur, préparé en éche- 
veaux et que l'on prendrait exactement pour 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 173 

de la soie de TAlcayceria de Grenade (i) ; mais 
cette marchandise est beaucoup plus abon- 
dante ici que la soie en Espagne. Il s'y débite 
une grande quantité de couleurs pour les 
peintres, aussi bonnes et aussi variées que 
Ton pourrait les trouver en Europe. Ils 
vendent des cuirs de cerf avec le poil ou 
tannés, blancs ou teints de diverses couleurs , 
toute espèce de vases d'argile, des terrines 
grandes ou petites, des cruches, des pots et 
une infinité d'autres espèces de vases d'une 
terre très -rare, et la plupart émaillés ou 
peints; une quantité considérable de mais et 
de pains faits avec cette graine, dont la qualité 
et la saveur sont bien supérieures au maïs des 
îles et des autres parties de la terre ferme; des 
pâtés d'oiseaux et de poissons, beaucoup de 
poissons frais ou salés, crus ou cuits; des 



( I ) C'est ainsi qu'on noiiunc un quartier de cette ville qui , 
au xvi« siècle , n'était guère habité que par des marchands de 
soie. Voyez Cobarrivias, Tesoro fie la iengua castellana, Madrid, 

iGii, in-folio. 

{Note de l éditeur.) 



174 RAPPORT SUR LES CHEFS 

œufs de poules, d'oies et de toutes les espèces 
d'oiseaux que j'ai citées; des gâteaux d'œufs; 
enfin, on vend dans ces marchés tous les 
produits du pays. Je ne m'étendrai pas da- 
vantage sur les marchandises, tant elles sont 
variées, et parce que je ne me les rappelle 
pas toutes ou que j'en ignore les noms. 

» Chaque genre de denrée se vend dans une 
rue particulière où il n'est pas permis d'en 
débiter d'autres ; ils ont pour cela beaucoup 
d'ordre; tout se vend au compte ou à la 
mesure, et jusqu'à présent on n'a vu rien 
vendre au poids. 

» On voit dans ce grand marché un très-bel 
édifice semblable à un tribunal , où siègent 
constamment dix ou douze juges qui pro- 
noncent sur toutes les contestations qui s'y 
élèvent et qui font punir les coupables. D'au- 
tres officiers parcourent sans cesfic ce mar- 
ché, surveillent les marchands, inspectent 
leurs mesures, et nous les avons vus en bri- 
ser plusieurs qui étaient fausses. » 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 175 



Des temples qui existaient autrefois. 

« Cette grande ville contient un nombre con- 
sidérable de temples et d'oratoires consacrés 
aux idoles. Ces édifices sont fort beaux, il v 
en a dans tous les quartiers; les principaux 
sont habités par des prêtres qui n'en sortent 
jamais. Leurs logements sont magnifiques et 
voisins des sanctuaires des idoles. Les prêtres 
sont tous habillés de noir. Depuis le moment 
où ils se consacrent au culte jusqu'à ce qu'ils 
le quittent, ils ne se font ni peigner ni couper 
les cheveux. Les fils des chefs et des nobles 
entrent dans ces communautés religieuses à 
l'âge de sept ou huit ans, et ils y restent jus- 
qu'à leur mariage. Cet usage s'observe sur- 
tout à l'égard des fils aînés, qui sont les hé- 
ritiers présomptifs. Les prêtres ne se marient 
pas et n'ont aucun rapport avec les femmes, à 
qui l'entrée de ces édifices est défendue. Ils 
s'abstiennent de certaines nourritures, sur- 



176 RAPPORT SUR LES CHEFS 

tout à des époques fixes de l'année. Le temple 
principal^ dont aucune langue humaine ne 
serait capable d'exprimer la grandeur et tous 
les détails^ est si vaste que dans l'intérieur, qui 
est entouré d'un mur fort élevé, on pourrait 
bâtir une ville importante. Tout autour de 
l'enceinte sont des bâtiments spacieux où 
l'on voit de grandes salles et des corridors 
destinés à l'habitation des prêtres. On y 
compte au moins quarante tours très-élevées 
et bien construites. On monte au haut de la 
plus grande par cinquante marchés; elle est 
plus élevée que l'église de la cathédrale de 
Séville. Ces tours , construites avec beaucoup 
d'art , en pierre et en bois , ne pourraient être 
mieux bâties dans aucun pays. Les murs in- 
térieurs du sanctuaire où sont renfermées les 
idoles sont décorés d'ornements en maçon- 
nerie ou en bois qui représentent des mons- 
tres et d'autres figures. Ces édifices ne sont 
habités que par les chefs. Chaque oratoire 
est dédié à une idole particulière; Le temple 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 177 

principal renferme trois salles d'une gran- 
deur surprenante; on y voit les images des 
principales divinités, et des autels ornés d'un 
nombre considérable de figures sculptées; 
d'autres décorations ornent les murailles et 
la charpente. » 



Anciens palais et édifices. 

» Mexico renferme beaucoup de maisons 
très-vastes et très-belles; cette multitude de pa- 
lais provient de l'usage qu'ont les chefs du 
pays soumis à Moctezuma d'habiter la capitale 
pendant un certain temps de l'année. Beaucoup 
de simples particuliers possèdent de fort belles 
maisons, de beaux jardins et d'agréables ver- 
gers très-variés , plantés autour de leurs ha- 
bitations ou sur les toitures. Au milieu d'une 
des chaussées qui conduisentàcette grande ville 
sont pratiqués deux conduits construits en 
mortier, de deux pieds de large sur six pieds 

de hauteur. Dans l'un coule un courant d'eau 
11. 12 



178 RAPPORT SUR LES CHEFS 

excellente de la grosseur du corps d'un boinme^ 
et qui va surgir au milieu de la ville. Tous 
lea habitants s'en servent pour boire et pour 
divers usages « L'autre aqueduc reste vide et 
ne sert que quand on nettoie le pr^aàm^; 
alors seulement on y fait passer l'eau. Comnfie 
il est nécessaire que l'on traverse sur les ponts 
à cause de la grande tranchée qui donne pas- 
sage à l'eau salée , on fait couler l'eau douce 
dans des conduits de la grosseur d'un bœuf 
et de la longueur des ponts; par ce moyai 
toute la ville en est pourvue. L'eau se vend 
dans des barques par toutes les rues. Pour 
chaîner ces barques d'eau ^ ils les condui- 
sent sous les ponts où passent les canaux ; 
là, des hommes placés à cet effet dirigent l'eau 
des conduits dans les barques et perçoivent 
une rétribution . m 



Perception des droits d'entrée. 



« A toutes les entrées de la ville et dans tous 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 179 

les endroits désignés pour décharger les bar- 
ques qui servent au transport de presque tous 

les vivres ils ont établi des barraques pour 

loger des préposés chargés de percevoir 

des droits sur tous les objets qui entrent. 

J'ignore si ces droits sont perçus au nom 

du souverain ou bien par les citoyens pour 

pourvoir à l'entretien de la ville; je n'ai 

pas encore pu éclaireir ce point; néanmoins 

je pense que c'est par le souverain. » 



Personnes -qui se louent pour travailler. — Caractère des 

habitants. 



w On voit tous les jours dans les marchés et 
dans tous les lieux publics un grand nombre 
d'ouvriers de tout état qui attendent qu'on 
vienne les louer. 

» La population de Mexico est biçn supé- 
rieure pour son éducation , son esprit et son 
obéissance à toutes celles des autres villes, ce 
qui provient de ce que Moctezuma y résidait 
constamment^ et que les autres seigneurs, ses 



180 RAPPORT SUR LES CHEFS 

vassaux^ y faisaient de fréquents voyages; deux 
causes qui perfectionnaient les mœurs et l'ad- 
ministration. Dans la crainte de trop étendre 
cette relation, je m'arrêterai ici, car mon rap- 
port serait sans fin ; j'ajouterai seulement que 
pour l'obéissance qu'ils montrent à leur sou- 
verain et poui" leur manière de vivre, ces In- 
diens sont presque comme les Espagnols, et 
il y a à peu près autant d'ordre qu'en Espa- 
gne. Si l'on considère que ce peuple est bar- 
bare , privé de la connaissance de Dieu , de 
tout rapport avec les autres nations, et de 
la raison , on ne peut voir sans étonnement 
combien tout est sagement administré. » 



cérémonies observées lorsque Moctezuma sortait. 

« J'aurais bien des choses à raconter sur les 
autres villes, sur les édifices et les temples, 
et sur le service de Moctezuma. Ce prince ne 
sortait jamais sans être précédé d'un chef 
portant trois longues baguettes : on croit que 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. fSi' 

c'était rinsigne de la royauté. Lorsqu'il des-' 
eendait de la litière dans laquelle on le por^ 
tait, il prenait une de ces baguettes et la gar- 
dait jusqu'à ce qu'il fût arrivé où il voulait aller. 
Les cérémonies que l'on pratiquait à l'égard 
de ce souverain sont si nombreuses et si va- 
riées qu'il me faudrait pour les décrire beau- 
coup plus d'espace, et pour s'en souvenir une 
meilleure mémoire que la mienne. Je crois 
qu'il n'y a pas de Soudan , pas de prince infi-^ 
dèle connu jusqu'aujourd'hui, qui se fasse ser- 
vir avec autant de faste et de magnificence. » 
Cortez ajoute beaucoup d'autres choses ad- 
mirables sur la puissance et la grandeur du 
gouvernement de ce prince et des autres chefs, 
sur les arts mécaniques pratiqués chez ces 
peuples ou sur ceux qu'ils ont appris des Es- 
pagnols. 

Arts que les Indiens ont appris des Espagnol». 



Beaucoup d'Indiens savent chanter, con- 



1 82 KAPPOKT SUR LES CHEFS 

naîasent la muskfue j jouent du hautbois ^ de 
la aaquebute, de la trompette, du violon {mr- 
huela de arco). Ils savent lire et écrire, coh- 
pîent tréa-bien la musique vocale , 1^ plain-r 
diant et la musique d'orgue; ils en font des 
li vres ornés de très-*«bel les majuscules et qu^ils 
relient. Un grand nombre savent le latin. 



Connaissances que tous les Indiens possèdent. 

Çn g^éral , ils n'ignorent rien de ce qui a 
rapport aux travaux des champs et de la ville. 
Jamais un Indien n'a besoin de recourir à 
un autre pour se construire une maisoo» ou 
pQur se procurer les matériaux nécessaires. 
Dans qyelque endroit qu'ils soient, ils savent 
où trpuver de quoi lier, couper, coudre tout 
ce qu'ils veulent, et allumer du feu. Lesen&nts 
même connaissent les noms et les qualités 
de tous les animaux, des arbres, des herbes, 
qui sont de mille espèces, ainsi que d'une 
multitude de racines dont ils se nourrirent. 



DE Lk NOUVËLLE-ESPÀGNfi. 183 

Tous savent tailler une pierre, bâtir une mai- 
son , faire une corde , un câbl<3 dé jonc , et se 
procurer ce qu'il faut pour cela. Enfin ils con- 
naissent tous les métiers qui ne nécessitent 
pas un grand talent ou des outils délicats. 
Lorsqu'ils sont surpris par la nuit en pleine 
campagne, en un instant ils se construisent 
des cabanes, surtout lorsquMls voyagent avec 
des chefs ou des Espagnols ; alors tous, quels 
quUls soient, mettent la main à l'ouvrage de 
bon cœur. 

C'est ainsi qu'en parle up des douze pre- 
miers religieux qui vinrent dans ce pays, et 
dont nous avons cité le livre sur les mœurs 
de ces peuples et sur leur conversion au 
christianisme (i). 



(i) Ce religieux doit être frère Torribio de Benavente Mo- 
tolinia , dont nous avons inséré une lettre dans Je recueil de 
pièces sur la conquête du Mexique qui fait partie de cette col- 
lection. 

(iVb/e de Vcditeur\, 



184 RAPPORT SUR LES CHEFS 



Les Indiens ont montré d'excellentes dispositions à embrasser 

le christianisme. 



Depuis qu'ils ont reçu la loi de Jésus- 
Christ, notre rédempteur, ils n'ont rien négli- 
gé de ce qui a rapport à notre religion , et ils 
sont très-pieux. Le même religieux, dans l'ou- 
vrage déjà cité, a consacré un chapitre à ce 
sujet. Comme son livre est manuscrit, je vais 
en extraire un passage, en supprimant les 
citations. 



Facilité avec laquelle les Indiens se convertissent. 

« Quelques Espagnols s'étonnent des progrés 
que les Indiens ont faits dans la religion et re- 
fusent d'y croire , surtout quand il s'agit des 
naturels qui n'ont pas vu des villes habi- 
tées par les Espagnols : etparce qu'ils ne sont 
pas témoins oculaires de leurs conversions 
et de leurs pénitences, ils prétendent qu'elles 



DE LA NOUVELLES-ESPAGNE. 185 

sont feintes. J'avoue qu'il est véritablement 
admirable que ces peuples se soient convertis 
à Dieu par la seule parole de Jésus-Christ, et 
qu*il est surprenant de les voir venir de si 
loin pour recevoir le baptême, se marier, 
se confesser et entendre la parole de Dieu, qui 

V 

est assez puissant pour opérer ce changement, 
assez miséricordieux pour ressusciter ces 
pierres, les transformer en enfants, et les des- 
tiner à la conversion et au salut. La foi de ces 
nouveaux chrétiens est bien remarquable , et 
je n'en ai pas autant vu dans Israël. Que ne 
peut- on pas espérer de Dieu qui a racheté 
ces hommes créés à son image, leur a ac- 
cordé sa grâce et les fera jouir de sa gloire? 
Jamais ils n'ont vu chasser les démons, re- 
dresser les boiteux, accorder l'ouïe aux sourds, 
la vue aux aveugles, ou ressusciter les morts, 
sed inauditu auris obedieriint fidei. On ne leur 
prêche que très-rarement l'^^aw^Z/e, et comme 
les pains de l'apôtre saint Philippe, ils n'en re- 
çoivent que quelques miettes; mais Dieu mul- 



186 RAPPORT SUR LES CHEFS 

tiplie sa parole, il la fait croître dans teuràme 
et dans leur pensée , et le fruit qui en résulte 
se multiplie beaucoup plus que celui qu'ils re- 
çoivent directement. Ils sont presque entière- 
ment libres des entraves qui empêdhent là 
plupart des Espagnols de monter au ciel , car 
ils se contentent de fort peu de chose pour vi- 
vre. Leur nourriture et leurs vêtements sont 
très-simples; ils dorment sur une natte^ et la 
plupart ne peuvent même pas s'en procurer. 
La soif des richesses ne trouble pas leur som- 
meil^ ils ne se tuent pas les uns les autres pour 
acquérir des richesses ou des dignités; un pau- 
vre manteau leur suffit; ainsi habillés, ils sont 
prêts à prier, et s'ils veulent se donner ladis^ 
cipline, rien ne les embarrasse. Us sont pa^ 
tients, tolérants à l'excès, et doux comme des 
agneaux. Je ne me souviens pas d'en avoir vu 
un seul conserver le souvenir d'une injure. 
Remplis d'humilité, ils obéissent à tout le 
monde, ne connaissent que la soumission et 
le travail; et s'ils sont malades, leur patience 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 187 

et leur résignation sont remarquâtes^ Ils 
couchent sur le sol ; à peine ont-ils une vieille 
natte^ et pour oreiller une pierre ou un mor- 
ceau de bois. Leurs maisons sont très-petites^ 
et quelques-unes ne sont construites qu'en 
paille. Les saints avaient choisi ce genre de 
vie; nous étudions leur histoire pour nous . 
servir d'exemple; elle nous semble surpre- 
nante , et cependant nous lisons les mêmes 
faits dans ces livres vivants, nous les voyons 
de nos yeux , et ce que nous voyons surpasse 
ce que nous lisons, ce que nous connaissons 
et ce que nous pourrions croire. » 

Couches des Indiennes. 



« Quand une Indienne est sur le point d'ac- 
coucher, la sage-femme est bientôt prête, car 
elles sont comme les Juives et se délivrent 
toutes seules sans le secours des matrones. Si 

» 

elles accouchent pour la première fois, une 
parente ou la voisine la plus proche les as- 



188 RAPPORT SUR LES CHEFS 

siste. Quand même il y aurait deux enfants ^^ 
la mère les nourrit tous les deux. Il n'est pas 
d'usage de faire des présents à l'accouchée. 
Leur premier soin est de laver l'enfant à l'eau 
froide; dès leur naissance, ils sont accoutu- 
més à n'être que peu couverts, ce qui leur 
procure un tempérament sain et robuste. 
Ils sont bien faits, gais, légers, adroits à tout 
ce qu'ils font, et ceux qui ont la connaissance 
de Dieu suivent sans difficulté sa religion. J'ai 
vu des Espagnols édifiés de la conduite de ces 
hommes si tranquilles et qui mènent une vie 
si favorable à leur salut, tandis qu'ils en sui- 
vaient une dans laquelle il est si difficile 
d'être sauvé, et qui même est si pénible. 
Quand un enfant vient au monde , ses parents 
le saluent en lui disant : « Tu es venu pour 
soufiFrir, souffre et prend s patience! >) Si c'est 
un garçon, on lui met dans la main un arc et 
une flèche , car ce peuple est très-guerrier. On 
place dans la main des filles une quenouille 
et une navette, pour les avertir dès leur nais- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 189 

sance (ju'elks doivent travailler et vivre à la 
sueur de leur front. » 



Discours d'nn chef indien à ses sujets. 

Le religieux à qui Ton doit le discours des 
chefs que nous avons rapporté et les conseils 
donnés par les pères à leurs enfants > a traduit^ 
il y a longtemps, la harangue suivante pro- 
noncée à Tezcuco par un chef indien devant 
ses sujets, lorsqu'ils commencèrent à recevoir 
la doctrine chrétienne : 

(c Vous tous qui êtes présents ici, écoutez 
la parole du vrai Dieu et réfléchissez sérieuse- 
ment à ce qui vous est annoncé de sa part. Il 
vous a ouvert sa maison et découvert ce qu'il 
avait de caché , par les prédications de ces re- 
ligieux nouvellement arrivés. Ce religieux 
(elpadre) qui vous annonce la parole de Dieu 
est comme un grand arbre aux branchages 
touffus et vastes sous lesquels on jouit de 
l'ombre, de la fraîcheur, et où l'on trouve la 



1 90 RAPPORT SUR LES CHEFS 

consolation et le savoir. Qui que vous soyez, 
chefs ou laboureurs, nobles ou vassaux, ri- 
ches ou pauvres, respectez-le. 

» Toi, pauvre malheureux, d^yns quelque 
position que tu te trouves , ou chez toi plongé 
dans la tristesse, ou en voyage fondant en 
larmes en cherchant le moyen de pourvoir 
aux besoins de ta vie temporelle, sa parole 
doit être pour toi un grand sujet de consola- 
tion. 

» Femme, souviens-toi de ses discours, soit 
que tu files , que tu travailles , que tu couses 
ou que tu élèves tes enfants. Ne néglige pas 
de suivre cette sainte religion , et porte dans 
ton cœur tout ce qu'il te dira de la part de 
Dieu, comme on porte au cou les bijoux pré- 
cieux. 

» Laboureur , souviens-toi de Dieu partout 
où tu te trouves , soit que tu descendes dans la 
plaine ou que tu gravisses la montagne. Cette 
religion divine t'encouragera lorsque, courbé 
sous le poids d'un fardeau , accablé de cha- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 191 

grin , couvert de sueur , un bâton à la main , 
tu soupires après le but de ton voyage ; mais 
si tu ne l'embrasses pas à présent qu'on t'en 
donne l'occasion , Dieu s'indignera contre toi 
et t'enverra la maladie ou la mort ^ quand tu 
serais aussi dur et aussi fort qu'une pierre 
ou qu'un arbre, quand tu voudrais te trans- 
former en arbre ou en pierre , ou te ca- 
cher dans l'épaisseur des buissons (abuje- 
ros) (t), dans les montagnes ou les caver- 
nes, pour ftiir sa présence. Pense que lors- 
qu'il s'irrite il punit si l'heure est arrivée. 
— Nous ne sommes que fange, et il nous 
al)andonnera comme de la fange s'il le juge à 
propos. — Écoute des avis qui te sont donnés 
dans tes intérêts, observe-les, et quelque 
malheur qui t'accable, ces paroles divines 
te consoleront dans tes peines et dans tes 
travaux. — Sache que tu vis dans la dépen- 



(i) C'est proprement dit un endroit planté de busseroiles, 
espèce d'arbousier très-touffu , nommé aussi uva ursi. 

( Note de r éditeur,) 



192 RAPPORT SUR LES CHEFS 

(lance de Dieu, humilie-toi sous sa puissance^ 
recherche son abri et sa protection , lui seul 
sait quand tu dois mourir. Nous sommes mor- 
tels , «t loin d'être forts nous sommes bien 
faibles. — Tourne les yeux vers le ciel, séjour 
de la gloire et des richesses de Notre-Seigneur 
Jésus-Christ, qui les accorde à ceux qui croient 
en lui , qui le servent et qui l'aiment. 

» Puisque l'on t'instruit, profite dans l'étude 
de la religion, suis-la exactement et ne la né- 
glige pas; qu'elle soit précieusement conservée 
dans ton cœur, afin de bien vivre et de te sau- 
ver. Si tu n'observes pas la loi de Dieu, crains 
qu'il ne te jette dans sa prison et qu'il ne t'in- 
flige les supplices des damnés et des démons 
de l'enfer, avec lesquels il te précipitera; et 
alors tu diras: C'est donc bien vrai, voilà ce 
que le religieux m'avait dit. Oh ! si j'avais 
suivi ses conseils ! oh ! malheureux que je 
suis! 

» Considère ce que Dieu t'accorde, et qu'il te 
fait voir ce que tes pères n'ont pas vu. Ré- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 193 

jouis-toi en lui , remercie-le , réfléchis dans 
ton cœur, et tu diras : J'ignorais cependant 
tout cela avant qu'on ne me l'^ùt annoncé au 
nom de Dieu* R^om mande-toi à lui du fond 
du cœur, et fais bien attention de ne pas t'enor- 
gueillir, quelque connaissance que tu aies du 
Seigneur. 

» Dieu est comme un oiseau d'une beauté 
rare et charmante , sous les ailes duquel tout 
le monde se réfugie , s'abrite et cherche un 
asile. C'est un père qui nous aime et qui gou- 
verne tout. — Faites bien attention qu'il n'ac- 
corde pas facilement ses grâces ; pour qu'on 
en soit digne, il exige la foi, l'obéissance et 
les bonnes œuvres. Alors l'àme punfiée par sa 
grâce devient digne de vivre à son service 
pendant tout le temps qu'il permet que l'on 
habite son temple et que l'on jouisse de 
hii. 

»Ne cesse de lui rendre grâce, puisqu'il a 

éclairé ton cœur, qu'il t'a retiré de toutes les 

erreurs où tu étais plongé pendant ton idolà- 
11. 13 



194 RAPPORT SUR LES CHEFS 

trie^ et qu'il t'a concédé ces faveurs insignes^ 
la foi et l'instruction. 

»R4i^uissez- vous tous de lafaveur de Dieu, 
qui veut bien pardonner au pécheur^ quelque 
grand qu'il soit, pourvu qu'il croie et qu*il 
s'approche de lui*— * Il est certain qu'il dépend 
de lui que nous méritions sa miséricorde. ^-^ 
Pleurez sur vos péchés et ne vous flattez pas 
par hasard que quelqu'un puisse vous les re- 
mettre* Éloignez de semblables pensées et soyez 
persuadés fermement qu'il n'y a que le vrai 
Dieu qui ait le pouvoir de nous pardonner* 

m 

— ^Humiliez-vous et fléchissez le genou devant 
le Seigneur , car tous craignent et tremblent 
en sa présence. 

>) Vous qui n'êtes pas encore baptisés, prépa- 
rez-vous à croire et à être chrétiens ; car vous 
ne savez pas encore quand vous mourrez. Peut- 
être alors le Seigneur miséricordieux vous 
sera-^i-il favorable eti vous accordant le saint 
baptême. En vous y présentant comme il faut, 
vos péchés seront effacés. — Gardez-vous d'oP- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 195 

feaser Dieu; néanmoins^ si vous péchez et que 
voiis en soyez contrits^ ayez recours à la con- 
fession^ et vousobtiendrezmiséricorde comme 
on nous l'annonce. — -Dieu console ceux qui 
observent ses commandements^ il leur aô* 
ooi^de sa miséricorde et les délivre du dé- 
mon. 

» Réjouissons-nous de la faveur insigne qu'il 
nous a faite en nous purifiant par le saint 
baptême^ et de la grâce qu'il nous a accordée 
en nous éclairant, en nous délivrant de tant 
de maux, de l'aveuglement et des erreurs où 
nous étions plongés. — Remercions-le d'avoir 
pu entendre et connaître sa sainte religion 
qu'on nous prêche si publiquement. 

» Ce religieux ne nouscache rien, il dit tout 
ce que Dieu lui a ordonné et ce qu'il a rœom- 
mandé à ^es apôtres et à ses disciples. 11 nous 
enseigne aujourd'hui sa sainte religion, et 
nous apprend ce que c'est que les sacrements 
que tout le monde devrait connaître , et au 
moyen desquels le Seigneur purifie les pé- 



196 RAPPORT SUR LES CHEFS 

cheurs , leur pardonne et les délivre de Ten- 
fer. Embrassons donc cette sainte religion , re- 
mercions le Seigneur et n'oublions pas Notre- 
Dame Sainte-Marie vierge, en la suppliant de 
prier pour nous son bienheureux fils Notrc- 
Seigneur, afin que par son intercession il nous 
accorde constamment la grâce de bien vivre, 
et de mourir dans la sainte foi catholique que 
nous avons reçue.» 



Gonsêqueuces de ce qui précède. 

S'ils avaient cette opinion de la loi de Jésus- 
Christ il y a déjà fort longtemps , on peut en 
induire qu'elle doit être celle qu'ils en ont au- 
jourdTiui que plusieurs sont bien instruits 
dans notre religion et ti^ès-savants. Il est vrai 
qu'il y en a quelques-uns de méchants et vi- 
cieux ; mais il en est de même des Espagnols, 
qui sont fils , petits-fils et descendants beau- 
coup plus éloignés de chrétiens, nés, nour- 
ris et instruits dans notre religion. Tous les re- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 197 

ligieux affirment qu'on remarque beaucoup de 
dévotion chez les Indiens qui sont encore dans 
leur simplicité naturelle^ et qui ne fréquentent 
pas les Espagnols ni les gens du pays deve- 
nus très-rusés; et personne ne le sait mieux 
qu'eux, car ils sont toujours en rapport avec 
les naturels , puisqu'ils travaillent à les con- 
vertir , les confessent, et leur inspirent de 
bonnes mœurs. Voilà ce qu'ignorent le vulgaire 
^t ceux qui, n'écoutant que leurs préjugés^ 
parlent seulement d'après ce qu'ils ont en- 
tendu dire et sans aucun fondement. 



Erreurs des personnes qui traitent les Indiens de barbares. 

Le gouvernement, l'ordre judiciaire, le res- 
pect pour les lois, l'administration de la jus- 
tice , l'éducation de la jeunesse, du temps de 
l'idolâtrie et depuis l'introduction de la re- 
ligion catholique, font voir pareillement la 
faiblesse des raisonnements, ou, pour mieux 
dire, l'absence totale de raison du petit nombre 



198 «APPORT SUR LES GHEF^ 

d'individus qui ont accuse les Indiens àe man- 
quer tellement d'intelligence qu'ils n'avaient 
d'humain que la ligure. Un passage d'une tra- 
duction des ëpitrcs de saint Jérôme, en lan«« 
gue vulgaire^ appuie cette assertion; mais on 
ignore si le glorieux saint a vraiment eu cette 
opinion , ou si ce n'est qu'une idée du fradue" 
teur qui la donne comme telle, et non commle 
étant véritablement du saint docteur (i). Cette 
eireur est devenue si commune que presque 
tout le monde l'adopte aujourd'hui sans e^-^ 
men. C'est pour la combattre que don Fernand 
Cortez, dans le passage cité de sa lettre adressée 
à l'empereur notre seigneur, s'étend si large- 
ment sur leur sage gouvernement , leur bonne 
administration , et donne aux Indiens les plus 
grands éloges. A propos des TlaxcaHècfues , 
il dit qu'on remarque chez eux toute espèce 



(i) Cette ckdtion de saint Jérôme au sujet des Mexicains 
paraîtrait fort étrange si Ton ne se rappelait, comme nous 1 a- 
Tosi remarqué dans un de nos yolume» précédents , que long- 
temps les conquérants de l'Amérique se sont crus en Asie^ 

(Noie fie r éditeur. ) 



bE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 199 

de bonne administration et de polièe, que ce 
sont des hommes très-raisonnables , très-^en- 
séSf et tels qu'ils surpassent les plus civili^de 
l'Afrique. Plus loin ^ en parlant des habitants 
de Mexico, il dit : « La population de cette 
ville est très-supérietn^e pour son éducation , 
son esprit et son obéissance^ à toutes celles 
des autres villes : cela provient de ce que Moc- 
tezuma y habitait constamment > et que les 
autres seigneurs , ses vassaux , y faisaiertt de 
fréquents voyages, ce qui perfîectionnait les 
mœurs et l'administration dans toutes ses 

branches. pour l'obéissance envers 

leurs souverains , et pour leur manière de 
vivre, les Indiens sont presque comme les 
Espagnols^ » Il est vrai qu'il ajoute aussitôt 
après : « Si l'on considère que c'est un peuple 
barbare, privé de la connaissance de Dieu , 
sans aucun rapport avec les autres nations , 
et sans raison , on ne peut voir sans étonne- 
ment combien tout est sagement adtninis&é.)) 
Mais s'il avoue que c'est une chose admirable 



200 RAPPORT SUR LES CHEFS 

de voir la raison que l'on observe dans tous 
leurs actes, en quoi donc trouve-t-il qu'ils 
manquent de raison , et pourquoi dit-il que 
ce sont des barbares y lui qui raconte des choses 
si extraordinaires de leur gouvernement, de 
leur administration, et qui répète plusieurs 
fois que ni lui ni personne de ceux qui l'ac- 
compagnent ne sauraient raconter, ni même 
comprendre les choses surprenantes que l'on 
voit dans ce pays, et donner une idée de la 
grande puissance du souverain, du respect 
qu'on lui rend et de son gouvernement; en- 
fin, que quelque chose qu'il rapporte, il ne 
pourrait, dit- il, donner qu'une faible idée de 
sa toute-puissance? Il ajoute beaucoup d'autres 
éloges , et cela avec raison , car il est d'accord 
sur ce point avec l 'ou vidage du religieux que 
nous avons cité. Tous deux racontent des 
choses remarquables des autres chefs. Si cela 
est vrai , comment finit-il par dire que cette 
nation est barbare, lui qui ajoute bientôt 
après que l'ordre établi dans toutes leurs af- 






DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 201 

faires est admirable? Il est certain que, c'est 
le résultat de l'erreur populaire que nous 
avons signalée, et dans laquelle sont tombées 
plusieurs personnes capables et savantes , 
qui ont négligé de s'assurer de la vérité en 
s'instruisant des mœurs et des usages , et qui 
n'ont fait que répéter ce que plusieurs auteurs 
ont écrit en latin ou en langue vulgaire , en 
s'appuyant de l'autorité de personnes qui 
n'avaient pas plus vu les Indiens qu'eux- 
mêmes. 

Cette opinion erronée peut provenir aussi 
de l'usage général d'appeler barbares les peu- 
ples infidèles, comme le Prophète royal dans 
le psaume CXIII : In exitu Israël de jEgypto 
domus Jacob de populo barbaro^ où il appelle 
barbares les Égyptiens, parce qu'ils étaient 
idolâtres et quoiqu'ils fussent très-savants, 
puisque l'Écriture Sainte, pour vanter la sa- 
gesse deSalomon, s'exprime ainsi : Etproce- 
débat sapientia Salomonis sapientià orientali et 
jEgxptioriim. jEgjrptiorum^ des Égyptiens, de 



202 ftAPPORT SUR LES CHEFS 

qui , dit-on , nous viennent toutes les sciences, 
qui furent les plus sages de tous les anciens 
peuples, et chez qui les Grecs allaient s'in- 
struire (i). 

Martial , dans sa première épigramme , les 
appelle pareillement barbares , parce qu'ils 
parlent une autre langue que les Romains, et 



(i) Aristote dans sa Métapt^siqae dit qne c'est en Egypte 
que Ton a inventé les mathématiques ; et Platon » dans le 7ï- 
mée , affirme que les Egyptiens connaissaient le cours des astres 
depuis les temps les plus reculés. Tous deux assurent qu'ils 
jouissaient de la réputation de peuple très-savant bien avant 
les Grecs ; c'est aussi ce que rapporte une glose du livre V de 
la Providence divine de Sénèque* 

On trouve dans le Corps du droit civil un grand nombre 
de lois qui prouvent ce que j'avance , comme, par exettiple, la 
loi de Eunuchiii et celle ^u^ res cap. non deb, Adrien Cardinal , 
De elegantid linguœ romana, s'exprime en ces termes :Airto- 
rum quod est extemum , alienum , peregrinum ; et Gilbertus 
Longolius , dans ses notes sur Plante , comédie intitulée Jti- 
naria^ au prologue, en expliquant ce passage de l'auteur Mar- 

eus vertu barhara dit : Barbara nihil aliud est quàm 

Bomana grœcis ; siquidem non modo Scytbâ? ted etiam Latini 
barbari censebantur : atque hinc est cur Plan tus alibi Nerium 
poetam barharum appellat. 

Notre sainte Église , dans l'office du vendredi saint , prie 
pour Tempereur en ces termes : Oremus pro christianissimo 
imperatore nostro , ut Dominus noster subditas illi faciat oni- 
nes barbaras nationes, et n'entend ici par barbaras nationes que 
les infidèles. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 203 

que leurs usages et leur religion sont diffé- 
rents. C'est par 1a même raison que les Latins 
et les Grecs appelaient barbares les peuples 
qui ne parlaient pas leurs langues , quoiqu'il 
soit certain qu'il existât alors d'autres nations 
dont le gouvernement était très-sage , et les 
lois nombreuses et positives. C'est aussi pour 
cela que Mercure Trismëgiste , l'Égyptien , 
appelle barbares les nations qui n'observaient 
pas les mêmes cérémonies religieuses que les 
Égyptiens , comme on le voit par le dialogue 
De voluntate divind , chapitre 9 , où il dit : 

Inhahitaidt jEgypiiam aut Indus aut ali- 

guis talis id est vicinia barbara (i), dans le 
sens tfune nation qui parle une langue étran- 
gère, comme s'exprime saint Paul en écrivant 
aux Corinthiens : Si je ne comprends pas la 
force de C expression, je serai barbare pour ce- 

(i) Ce passage est probablement de Lactance, qui a parlé 
de Mercnre Trismëgiste. Le copiste a sans doute omis au 
commencement de cette phrase quelques mots qui doivent 
répondre à ceux-ci : Lactance en parlant de Mercure Trismë- 
giste, etc. 

(Noie de V éditeur.) 



204 RAPPORT SUR LES CHEFS 

lui à qui je parle (i). Les saints docteurs, en 
parlant des infidèles , les nomment pareille- 
ment barbares. 

Il se peut aussi que les Espagnols appellent 
les Indiens barbares à cause de leur extrême 
simplicité; car ils sont sans art, sans malice^ 
comme les habitants dç Saint-Jacques en Ga- 
lice, et tous les hommes qui vivent dans les 
villages, les forêts ou les déserts, sans avoir 

de rapport avec des personnes civilisées. Cette 
extrême simplicité est cause que les Espagnols 

qui traitent avec eux les trompent facilement 

en leur vendant , à des prix exorbitants , des 

objets dont ils ignorent l'usage, et qui leur 

sont tout à fait inutiles, contre du cacao, du 

coton et des manteaux. Les naturels qui sont 

(i) Sijro npn entlendo le virtud de la voz sera algue (^%\c)jro 
hablare barharo. Il semblerait que Boturini, à qui l*on doit la 
première copie du manuscrit autographe , n*était pas à cette 
époque bien versé dans la langue espagnole, car celle qui nous 
sert et qui a été faite sur la sienne prés^ite plusieurs pas- 
sages aussi obscurs que celui-ci. La citation de saint Paul est 
Je commencement du yerset ii, chap. xvi de la première 
épître aux Corinthiens. 

( Noie de V éditeur. ) 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 205 

encore dans leur simplicité naturelle reçoi- 
vent en échange de petites bagatelles de Pa- 
ris, des perles en verre, des grelots et d'autres 
babioles contre de l'or et de l'argent. En vé- 
rité, dans cette acception, le mot barbare 
pourrait aussi bien s appliquer aux Espa- 
gnols. De nos jours, même dans les villes bien 
gouvernées, ne vend-on pas de petites épées, 
des chevaux, des sifflets de laiton, de petites 
couleuvres en alun (culebrillas de alumbre) 
et des hochets ? Une foule d'étrangers ap- 
portent de leur pays toutes sortes de matas- 
sins et de marionnettes ; des bateleurs vien- 
nent faire des tours de force, danser sur la 
corde et montrer des chiens savants. Des bo- 
hémiens circulent publiquement, disent la 
bonne aventure, jouent de la cornemuse et 
font d'autres enfantillages, au moyen desquels 
ces jongleurs ramassent de fortes sommes. 
D^autres font semblant d'être aveugles, par- 
courent les places et les endroits publics où 
se réunissent une multitude de gens du peuple 



-- *■ 



206 RAPPORT SUR LES CHEFS 

qui les écoutent et achètent fort cher les chan- 
sons que ces gens font imprimer. En Italie ^ 
des charlatans exercent publiquement sur les 
places publiques^ et font rassembler une foule 
dC; gens qui viennent les entendre. Us pré- 
tendent qu'ils ont des huiles inconnues pour 
guérir toute espèce de maladies^ de plaies et de 
blessures ; jusqu'à de l'huile de pierre (i). Us 
ne se contentent pas de vendre leurs drogues 
dans ce pays seulement; ils viennent che» 
nous et vont chez d'autres peuples aussi po-* 
licés. Pourquoi donc nous étonner des Indiens 
et les appeler barbares ? U est certain , aii con* 
traire, qu'en général ce sont des gens fort 
sensés, et qui se sont instruits très-facile-- 
ment dans tous les arts mécaniques connus 
aux Espagnols qui sont venus dans ce pays, 
et cela seulement après les avoir vu exeixîer 
quelques jours. J'ai déjà dit qu'on trouvait 
parmi eux des personnes qui possèdent bien 

(i) Azeyle de pet r a , sans doute du piitrole. 

{Noie de l'éditeur.) 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 207 

la langue latine et la musique. Que ceux qui 
les appellent barbares répondent à ces faits; 
enfin il serait aussi juste 4'appeler barbares 
les Espagnols et les autres nations. 

On peut juger, d'après ce qui a été rapporté 
plus haut, si les Romains si célèbres et les 
autres peuples anciens qui , par respect pour 
les lois , les ont fait exécuter dans toute leur 
rigueur sur leurs propres enfants, ont sur- 
passé les Indiens; s'ils étaient plus civilisés, et 
si leurs guerres étaient plus justes. Certes 
si l'on considère attentivement les faits, on 
verra que les Indiens ont égalé les Anciens 
en tout ou peu s'en faut. Alexandre le 
Grand enviait Achille de ce qu'il avait eu 
pour chanter ses exploits un poète tel 
qu'Homère; c'est aussi ce qui leur a man- 
qué pour illustrer leur histoire, et ils peu- 
vent porter envie aux Anciens , qui ont eu 
un si grand nombre d'excellents historiens ; 
car, ainsi que le dit Salluste dans un pas- 
sage cité par saint Jérôme dans la Vie de 



208 RAPPORT SUR LES CHEFS 

saint Hilaire, rautorité que présente la vie 
des hommes vertueux est d'autant plus 
imposante que le génie des historiens a pu 
la rendre respectable par leurs écrits. Les 
peintures anciennes des Indiens sont en 
partie perdues ou très-détériorées , et à Tex- 
ception de quelques religieux seulement^ per^ 
sonne ne s'est occupé de les étudier. Je n'écris 
pas l'histoire, mais un simple rapport abr^ë : 
c'est pourquoije ne m'étendrai pas sur ce que 
Votre Majesté pourraitdésirer savoir là-dessus, 
comme il me serait facile de le faire : ce que j'ai 
dit doit suffire pour répondre à ce que Votre 
Majesté désire connaître; je crains même 
qu'on ne m'accuse d'être trop long. En traitant 
des impôts, je parlerai plus en détail des 
peintures (i) des Indiens. 

On comprendra maintenant quels avantages 
les sujets retiraient du gouvernement de leurs 
chefs, et combien ils profîtaientde leur admi- 



(i) Il doit y avoir un autre ouvrage de Tautçur sur les im- 
pôts. (Boturini.) 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 209 

nistration^ ce qui est le sujet de la question 
proposée. Afin de mieux faire apprécier le 
mal qui est résulté de la ruine des chefs na- 
turels, on exposera ce qui se pratique depuis 
que l'on a détruit leur administration, qui était 
si bonne, et si profitable à ces peuples. 



Des officiers qui ont remplace les anciens chefs. 

Les officiers institués pour remplacer les 
chefs naturels encouragent le vol et sont 
charmés qu'il y ait des délinquants, afin de 
pouvoir leur imposer des amendes. Ils ne 
s'occupent nullement à corriger les coupables, 
parce qu'il leur est plus profitable qu'ils per- 
sévèrent dans leur mauvaise conduite. Ceux 
qui rassemblent les Indiens pour les faire in- 
struire dans la religion feignent de 'remplir 
leur devoir, afin que ceux-ci leur fassent des 
présents en argent ou en comestibles ; car les 
Indiens n'ont plus l'ardeur qu'ils avaient au- 
trefois, et les religieux qui ont changé de 
11. 14 



210 RAPPORT SUR LES CHEFS 

conduite n'ont plus le même zélé ni la même 
autorité, ce qui provient du désordre et de 
la confusion actuelle; enfin ils ne sont plus 
aussi charitables qu'autrefois, ni aussi res- 
pectés des naturels. 



On n'observe aucune règle dans l'application des peines. 

Un grand désordre règne dans la punition 
des crimes et délits; les officiers de justice se 
rendent coupables d'excès, carie caractère des 
naturels est bien changé et fort éloigné de 
leur ancienne simplicité. Cela provient de ce 
que les Indiens qui remplissent les magistra- 
tures fréquentent les Espagnols, avec qui ils 
ontété élevés, et qu'ils ont déjà Thabileté néces- 
saire pour commettre toute sorte de mauvaises 
actions , ce qui leur est très-facile à cause de 
la grande simplicité du peuple. C'est un fait 
avéré que dans tout le pays ceux qui rem- 
plissent les charges derégidor, alcalde, al- 
guazil , notaire et procureur fiscal , ont 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 211 

été élevés avec des Espagnols ou à leur service, 
ou bien ce sont d'anciens esclaves qui ont 
constamment vécu avec eux et qui sont très- 
rusés et très-adroits. 



Sur les alguazils indiens. 

Les alguazils indiens arrêtent sur les 
routes les naturels qui se rendent à la ville 
pour vendre leurs denrées ou pour d'autres 
affairés^ les examinent (i) et les accusent 
faussement d'être ivres. Si ces pauvres gens 
ont quelque chose sur eux, ils le donnent 
aux officiers, et ceux-ci les laissent li- 
bres; mais s'ils n'ont rien , on les conduit 
en prison, où ils restent d'ordinaire trois, 
quatre jours ou même davantage, enfin jus- 
qu'au samedi, jour où l'auditeur va faire sa 
visite. Ce magistrat leur impose une somme 

{\)Jndan olienJo, littéralement ils sentent leur haleine; l'au- 
teur pourrait bien avoir employé cette expression au sens 

propre. 

(Note de l éditeur.) 



212 RAPPORT SUR LES CHEFS 

pour le temps qu'ils sont restés en prison , 
les fait châtier et les condamne à l'escla- 
vage; car les alguazils^ qui sont fort nom- 
breux, le greffier et le geôlier disent tout 
d'une voix qu'ils étaient ivres. De sorte que 
ces malheureux Indiens perdent ce qu'ils 
portaient vendre au marché, sont ruinés, 
dépouillés de leurs terres, ou ne peuvent 
plus exercer leur métier, et leurs femmes et 
leurs enfants souffrent injustement. Si quel- 
qu'un d'eux cherche à se défendre et à s'op- 
poser aux démarches iniques des alguazils, 
ceux-ci prétendent que les accusés ont brisé 
leur baguette, insigne de leur office, tandis 
que ce sont eux-mêmes qui Tontbrisée. Ils dé- 
chirent leurs manteaux et leurs chemises et 
disent que ce sont les prévenus, et l'auditeur 
qui fait la visite les condamne à payer le 
dommage. Quelquefois les alguazils se plai- 
gnent d'avoir été blessés par les Indiens, afin 
de leur faire payer les frais de la prétendue 
maladie et des dommages-intérêts ; ce qui a 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 213 

Heu. Pour leur extorquer plus d'argent, ils 
restent chez eux et font croire qu'ils ont été 
roués de coups , tandis que c'est le pauvre pri- 
sonnier qui est vraiment roué, puisqu'on le 
garrotte, qu'on lui inflige la bastonnade et que 
c'est à lui que l'on a déchiré les vêtements. Il 
n'ose parler et ne sait comment se défendre, 
car tout le monde est contre lui ; les officiers 
de justice ont dressé le procès-verbal comme 
ils l'ont voulu, et c'est sur cette pièce que 
doit prononcer l'auditeur. Cependant le pau- 
vre malheureux reste en prison; l'auditeur 
ordonne que des médecins visiteront l'algua- 
zil ; et comme tous s'entendent pour soutirer 
de l'argent au prisonnier, les gens de l'art 
certifient qu'il est dangereusement malade. 
Si l'auditeur envoie un autre Espagnol pour 
le visiter , l'alguazil feint d'être malade , ce 
qu'ils font avec beaucoup d'adresse. Il se 
frotte avec des préparations qui le font pa- 
raître affaibli; ses parents viennent le voir 
et déposent leurs plaintes à la commission des 



214 RAPPORT SUR LES CHEFS 

visiteurs, car il faut que chacun ait sa part de ce 
que l'on peut soutirer au prévenu. Pendant 
toutes ces démarches , le pauvre Indien souf- 
fre en prison ; deux ou trois visites se pas- 
sent jusqu'à ce qu'enfin le prétendu malade 
déclare qu'il va mieux. Plus il retarde son 
rétablissement, plus il gagne, les domma^s- 
intéréts étant en raison de la durée de la ma- 
ladie. Ajoutez à tous ces frais ce que le pri- 
sonnier, sa femme et ses enfants ont dépensé 
pendant tout le temps de sa longue arresta- 
tion. Enfin on le fait sortir, on le condamne 
à l'esclavage, et on le punit avec la plus^ gi^nde 
rigueur pour la prétendue résistance dont on 
l'accuse. 11 arrive quelquefois que des Indiens 
arrêtés par des alguazils abandonnent leur 
manteau, bien contents de le perdre pour 
éviter d'être traînés en prison et de se voir 
exposés à être faits esclaves et à toutes les in- 
justices qu'on vient de raconter. Quand le 
manteau, qui est une pièce d'étoffe que les In- 
diens portent en guise de cape, est bon, les al- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 215 

guazils s'inquiètent peu que l'Indien prenne 
la fuite, ils ont tout ce qu'ils prétendaient; 
autrement, s'il ne vaut rien, ils poursuivent 
l'Indien, l'arrêtent, et sa fuite sert ensuite à 
prouver sa rébellion et son ivresse. 



Sur les officiers qui sont charges d'inspecter la culture. 

Les officiers chargés de surveiller si les In- 
diens cultivent leurs champs punissent in- 
justement le propriétaire qui n'a pu cultiver, 
sans considérer s'il a été occupé à des tra- 
vaux publics ou malade à la suite des cor- 
vées , ce qui arrive souvent, comme on le 
dira plus loin. Ils disent à ceux qui ont cul- 
tivé leurs champs que le travail est mal fait, et 
leur imposent des amendes ou d'autres peines. 
Quelquefois même ils confisquent leurs ré- 
coltes et les chassent de leurs terres sous 
prétexte qu'ils ne peuvent les cultiver et qu'on 
ne les leur a données que pour cela, ou bien ils 
les accusonl do quelque autre délit, comme je 



218 RAPPORT SUR LES CHEFS 

cesseraient, ainsi que les dommages que les In- 
diens éprouvent par la perte de leurs récoltes, 
n'ayant pas le temps de travailler à leurs 
champs. Il arrive souvent que dans un seul 
jour ils font des pertes considérables, sans 
compter qu'on les punit pour ne pas avoir cul- 
tivé leurs terres, encore qu'il n'y ait pas de leur 
faute. Des alcaldes majors et des corrégidors, 
sous prétexte de servir les intérêts de l'État , 
imposent aux Indiens des amendes à leur pro- 
fit et les font traîner en prison. Si on les lais- 
sait venir travailler lorsqu'ils le veulent, ou 
si on leur envoyait des caciques pour les 
louer à raison d'un prix convenu, chacun 
d'eux se présenterait quand leur présence 
ne serait pas nécessaire dans leurs terres, 
puisqu'ils font leurs récoltes à des époques 
différentes. Le cacique aurait soin d'arrêter 
ceux qui auraient moins d'occupation, et 
prendrait en considération le temps et la 
saison, et jamais on ne manquerait de jour- 
naliers, car il y a des hidiens si pauvres que 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 217 

répondre qu'ils sont au service des Espagnols 
et qu'ils doivent travailler à leurs propriétés. 
Celui qui rassemble les Indiens n'a droit qu'à 
un cuartillo ( i ) que lui paie le commandeur par 
chaque tête d'Indien. Il serait beaucoup mieux 
d'abolir ces corvées , ou d'ordonner à tous les 
villages d'envoyer chaque jour ou chaque se- 
maine un nombre fixe d'Indiens proportionné 
à la population. Ces travailleurs se loueraient 
volontiers, comme il y en a beaucoup qui le 
font journellement; mais peu de personnes 
sont de cet avis, parce qu'elles ont beaucoup 
plus d'avantage à faire faire les travaux par 
corvée , et ce n'est que lorsqu'elles ne peuvent 
pas obtenir des Indiens qu'elles ont re- 

* 

cours aux journaliers. Si l'on abolissait les 
corvées, tous les naturels viendraient se louer 
sur les places et dans les endroits où l'on va 
les chercher, et les inconvénients qui ré- 
sultent des rassemblements pour les corvées 

(i) Le quart d*un réal , c'est-à-dire environ quinze centimes. 

• (^Note de Véditeur.) 



218 RAPPORT SUR LES CHEFS 

cesseraient, ainsi que les dommages que les In- 
diens éprouvent par la perte de leurs reeolfieSy 
n'ayant pas le temps de travailler à leurs 
champs. Il arrive souvent que dans un seul 
jour ils font des pertes considérables, sans 
compter qu'on les punit pour ne pas avoir cul- 
tivé leurs terres, encore qu'il nV ait pas de leur 
faute. Des alcaldes majors et des corridors, 
sous prétexte de servir les intérêts de TÉkat , 
imposent aux Indiens des amendes à leur pro- 
fit et les font traîner en prison. Si on les lais- 
sait venir travailler lorsqu'ils le veulent, ou 
si on leur envoyait des caciques pour les 
louer à raison d'un prix convenu, chacun 
d'eux se présentei^it quand leur présence 
ne serait pas nécessaire dans leurs terres, 
puisqu'ils font leurs récoltes à des époques 
différentes. Le cacique aurait soin d'arrêter 
ceux qui auraient moins d'occupation , et 
prendrait en considération le temps et la 
saison y et jamais on ne manquerait de jour- 
naliers^ car il y a des Indiens si pauvres que 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 219 

leurs récoltes, très -peu considérables, sont 
bientôt faites. Les marchands et les artisans, 
qui en un jour gagnent plus dans leur mé- 
tier ou dans leur négoce , sans cjuitter leurs 
maisons, leurs femmes et leurs enfants, 
qu'on ne leur donne dans toute la semaine, 
seraient exemptés des corvées , qui leur sont 
très-préjudiciables. 

Il y aurait encore beaucoup d'autres faits 
de ce genre et aussi avérés que l'on pourrait 
citer ; mais on n'en finirait pas si l'on vou- 
lait rapporter toutes les vexations que souf- 
frent ces pauvres Indiens. Ce que j'ai dit doit 
suffire pour faire comprendre tous les maux 
de leur triste existence et les remèdes qu'il 
faut y apporter, ce qui est l'objet des questions 
proposées dans l'ordonnance royale de Votre 
Majesté. 

Il me paraît nécessaire de passer tout de suite 
au quatrième paragraphe de l'ordonnance 
de Votre Majesté, attendu qu'il est conve- 
nable d'y répondre avant de s'occupci' des 



220 RAPPORT SUR LES CHEFS 

autres. Si quelquefois je répétais ce que j'ai 
déjà dit, c'est que je ne pourrais faire autre- 
ment , et qu'il est nécessaire de revenir deux 
ou trois fois sur le même sujet pour se con- 
former à cette maxime de Platon : // est pen^ 
mis de se répéter quand c'est pour mieux faire 
sentir ce que l'on veut dire. Au reste, j'ai 
été d'autant plus autorisé à le faire, que plu- 
sieurs paragraphes contiennent des questions 
semblables. Le quatrième est conçu en ces 
termes ; 



PARAGRAPHE IV. 



« De plus, vous vous informerez quelles 
» classes de sujets payaient l'impôt, s'il n'y 
» avait que les laboureurs et les macehuales, 
» si les marchands ou d'autres personnes 
» étaient imposables ou non, et s'il exis- 
» tait des sujets affranchis des contribu- 
» tions. » 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 221 



RÉPONSE. 



Ce paragraphe contient deux questions : la 
première, quels étaient les sujets imposables; 
la seconde , quels étaient ceux qui ne Tétaient 
pas. 

On comptait quatre classes de contribuables. 

Quant à la première question , autant qu'on 
a pu s'en instruire, il y avait quatre classes 
de contribuables qui comprenaient tous les 
gens du peuple. 



Première classe. 

La première classe se nommait teccallec, ce 
qui veut dire gens qui appartiennent à des 
chefs. Ils étaient soumis aux tecteclutzins, chefs 
du second ordre dont les seigneuries n'étaient 
pas héréditaires, mais seulement une récom- 



222 RAPPORT SUR CES CHEFS 

pense à vie accordée par le souverain à ceux 
qui s'étaient signalés à la guerre , au service 
de l'état ou du prince. Ce second ordre de 
chefs payait une contribution au souverain , 
comme on l'a déjà dit quand on a répondu à 
la première question de ce paragraphe en trai- 
tant des difierents ordres de chefs. 



Seconde classe. 

La seconde classe se nommait calpuUec ou 
chinancallec y ce qui veut dire habitant d'un 
quartier connu ou membre d'une famille an- 
cienne et connue, qui vitàpart. Ils étaient fort 
nombreux , comme les calpullis. Cette classe 
comprenait tous ceux qui payaient des con- 
tributions au souverain suprême et à leurs 
chefs particuliers ; ils cultivaient des champs 
destines à l'entretien du prince et de ces 
chefs, et acquittaient des prestations person- 
nelles en raison de la population à titre de re- 
devances, et pour pourvoir à la dépense des 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 223 

assemblées qui se tenaient chaque année dans 
le palais de leur chef pour discuter les intérêts 
généraux. Ces contributions n'étaient pas obli- 
gatoires, elles ne se payaient qu'en vertu 
d'un usage établi depuis la plus haute anti- 
quité et indépendamment des impôts payables 
au souverain. 



Troisième classe. 

Les marchands composaient la troisième 
classe de contribuables ; ils étaient de familles 
connues. Personne ne pouvait exercer le né- 
goce que comme héritier de son père , ou avec 
l'autorisation des chefs. Ils jouissaient de cer- 
tains privilèges, parce que leur profession 
était utile à l'état. Les artisans payaient les 
contributions en objets de leur industrie, 
comme les commerçants en marchandises de 
leur commerce; les uns et les autres étaient 
exempts de fournir des prestations person- 
nelles etde travail 1er aux ouvrages d'utilitépu 



•s, 



224 RAPPORT SUR LES CHEFS 

blique, excepté en cas d'urgence. Us n'étaient 
point astreints non plus à cultiver les milpas 
ou champs dont le produit était destiné aux dé- 
penses des chefs, parce qu'ils y pourvoyaient 
parleurs contributions. Ils avaient continuel- 
lement un chef chargé de leurs intérêts et de 
traiter pour tous avec les souverains ou les 
gouverneurs. Cet usage existait également 
dans les calpullis et lestecallis, car un quartier 
était composé de toute espèce de citoyens. 



Quatrième classe. 



La quatrième classe se nommait tlalmaîtes 
ou mayegues (i), ce qui veut dire laboureurs 
qui travaillent dans les terres d'autrui, pour les 
distinguer des deux autres classes de contri- 
buables, qui ont tous des terres à euxenpar- 

(i) Après avoir écrit mague^es comme nous avons orthogra- 
phié page 87, le copiste écrit ici majregues; nous pensons qae 
le premier nom est le véritable et nous l'avons conservé. Tlal- 
maitl signifie laboureur suivant Alonzo de Molina {f^ocabo- 
lariomexicano). (^ Noie de V éditeur). 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 225 

ticulier, ou bien qui appartiennent à leur cal- 
pulli , tandis que ceux de la quatrième classe^ 
au contraire , cultivent des terres qui ne leur 
appartiennent pas. Cela vient de ce que, dans 
le principe, lorsqu'après la conquête du pays 
par les Indiens on fit le partage des terres , 
ceux-ci n'en reçurent pas, comme il arriva 
quand les chrétiens conquirent ce pays : 
des Espagnols reçurent des terres et des In- 
diens^ et d'autres n'en reçurent pas. 



Les magueyes ne pouvaient pas changer de pays. 

Il était défendu aux magueyes de quitter 
une terre pour aller dans une autre, et il n'y 
a pas d'exemple qu'un d'eux ait abandonné 
les terres qu'il cultivait, ni même qu'on eût 
cherché à le faire, car personne n'aurait osé 
manquer à son devoir. Ces terres passaient 
aux héritiers du chef qui acquittaient les im- 
pôts au moyen des magueyes qui y résidaient, 

et en raison des charges et des prestations 
H. 15 



226 RAPPORT SUR LES CHEFS 

personnelles que payaient leurs auteurs^ sans 
changement aucun. Ils donnaient pour cela 
une portion des récoltes , ou bien leurs ma- 
gueyes, en raison de leur nombre, cultivaient 
un territoire appartenant au souverain, d'après 
des règles fixées.'Telles étaient les impositions 
que les Indiens payaient au souverain , et de 
plus ils fournissaient l'eau et le bois pour sa 
maison. 



Contribution des magueyes. 

Ces derniers contribuables ne payaient au- 
cun impôt aux souverains, ni à qui que ce fut, 
excepté à leurs seigneurs; ils ne travaillaient 
pas non plus aux terres qui se cultivaient en 
commun. L'impôt au souverain était repré- 
senté par les redevances qu'ils payaient aux 
seigneurs des terres qu'ils cultivaient, et ils 
se regardaient comme propriétaires de ces 
terres , parce que , de temps immémorial , ils 
en avaient le domaine utile et leurs maîtres 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 22T 

le domaine direct, du consentement du sou- 
verain, qu'ils servaient seulement en temps de 
guérie, personne n'en étant exempté. Ce 
prince exerçait sur eux la juridiction civile et 
criminelle. 



Le père de famille peut partager comme il entend ses terres 

et ses magueyes. 



Lorsqu'un seigneur est sur le point de 
mourir et qu'il laisse des enfants, il peut par- 
tager entre eux , comme il le désire , ses terres 
patrimoniales et ses magueyes; car il n'y a 
pas de majorats. Les autres personnes qui ont 
des terres et des magueyes jouissent du même 
droit. 

Emploi de Timpôt. 

Les impositions que les Indiens payaient 
aux souverains étaient employées aux be- 
soins de l'état et aux dépenses occasionnées 
par leurs guerres fréquentes. Le souverain 



228 RAPPORT SUR LES CHEFS 

suprêmes de qui relevaient les autres chefs ^ 
qui, cependant, étaient maîtres chez eux, 
employait une partie des impôts qu'il en re- 
cevait à payer les gouverneurs, les magistrats, 
les chefs militaires, et à pourvoir au logement 
et à la nourriture d'un grand nombre de 
nobles, suivant leur rang. Ordinairement, 
tous les dignitaires avaient, chacun dans le 
palais du souverain, un appartement parti- 
culier conforme à leurs dignités, à leurs qua- 
lités, ou à l'emploi qu'ils occupaient dans la 
maison du prince , à la guerre , ou au service 
de l'état. Le souverain ne pouvait pas disposer 
des revenus publics suivant son bon plaisir; le 
peuple et même les nobles se seraient soulevés. 
Comme la population était nombreuse, l'im- 
pôt était considérable, et suffisait à tous les 
besoins. 



Des Indiens qui sont restés imposables. 



Les deux premières classes de contribuables. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 229 

c'est-à-dire les teccallecs et les calpullecs,qui, 
comme nous l'avons dit^ composent toute la 
classe populaire, les marchands et les arti- 
sans qui habitent avec eux, sont devenus 
tributaires de Votre Majesté ou des enco- 
menderos. Les nobles seulement, et quelques 
particuliers qui avaient des magueyes dans 
leurs terres patrimoniales, les avaient con- 
servées dans le principe; mais aujourd'hui 
tous en sont dépossédés, comme on le dira 
plus loin. 



Terres qui dépendent des seigneuries. 

Il y avait autrefois, et il existe encore aujour- 
d'hui , des terres désignées comme faisant par- 
tie du domaine; on les nommait Tlaloca- 
milli'y le souverain ne pouvait pas les aliéner, 
mais seulement les affermer suivant sa 
volonté. Comme ces terres étaient nombreu- 
ses et très-bonnes, elles donnaient un pro- 
duit important qui se consommait dans la 



230 RAPPORT SUR LES CHEFS 

maison du souverain. Ces princes étaient dans 
l'usage d'employer dans leurs maisons tous 
les revenus des terres du domaine. Les 
voyageurs et les pauvres , outre les nobles et 
les employés dont nous avons parlé, étaient 
défrayés et nourris dans leurs palais : c'eat 
pourquoi on avait pour eux le plus grand res- 
pect et la plus grande obéissance. Pour faire 
face à ces dépenses, les chefs employaient en 
outre la plus grande partie de leurs revenus . 
patrimoniaux. 



Indiens qui n'étaient pas imposables. 

On demande, dans la seconde partie de ce 
paragraphe, s'il y avait des Indiens affranchis 
des impôts. Tout ce que l'on a pu apprendre, 
c'est que les laboureurs acquittaient les pres- 
tations réelles et personnelles, et que les mar- 
chands et les artisans payaient seulement 
des contributions, sans être soumis aux cor- 
vées , excepté en temps de gueiTC , et que les 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 231 

Tecutles et les Pilleys étaient exemptés de ces 
deux genres d'impôts. Nous avons dit que 
c'étaient des espèces d'hidalgos ou de gentils- 
hommes employés à la guerre, dans les char-^ 
ges publiques , les offices de la justice, ou 
qui servaient le prince dans son palais. Les 
uns étaient comme des écuyers et l'accom- 
pagnaient partout; d'autres remplissaient les 
fonctions* d'ambassadeurs, faisaient Içs af- 
faires du prince, étaient chargés de recueillir 
les laboureurs pour cultiver les terres ou pour 
les travaux publics qui se faisaient à l'occa- 
sion des fêtes et du service du souverain. Voilà 
pourquoi les villages étaient séparés par 
quartiers. Parmi ces nobles, un certain nom- 
bre n'avaient d'autre emploi que d'accom- 
pagner le souverain ; ils étaient tous exemp- 
tés des impôts, nourris et logés par le prince, 
qui leur donnait des gens du peuple pour les 
servir, les pourvoir d'eau, de bois, et tra- 
vailler à leurs terres. Le nombre de ces do- 
mestiques était en proportion du rang des 



232 RAPPORT SUR LKS CHEFS 

officiers. Leur service n'était pas perpétuel, 
on les remplaçait à tour de rôle ; ils étaient 
exemptés de travailler à la milpa et de faire 
les corvées pour le souverain, attendu qu'ils 
servaient les officiers à sa place. On doit cepen- 
dant les considérer comme ayant été toujours 
dans la classe des contribuables. En temps 
de guerre, ils servaient le prince, de telle sorte 
qu'un Indien n'avait jamais deux maîtres à la 
fois; leurs impôts étaient le service personnel 
et le travail de la milpa, ou des terres qu'ils 
cultivaient pour le souverain ou pour un autre 
chef d'après ses ordres. 



Personues afiranchie« des impôts. 

Les individus en puissance paternelle et les 
orphelins étaient pareillement aff*ranchis des 
impôts. Depuis que le bon ordre qui pré- 
sidait à l'éducation des enfants a disparu, 
ceux qui perdent leurs père et mère sont 
conduits chez un do leurs ])arents qui les 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 233 

nourrit et les fait travailler jusqu'à ce qu'ils 
se marient. Jamais il n'a été d'usage chez eux 
de payer des gages. Les veuves, les estropiés, 
ceux qui ne pouvaient pas travailler ne 
payaient pas d'impôts, quand même ils au- 
raient possédé des terres, et l'exemption durait 
tant qu'ils ne pouvaient pas les cultiver, ou 
jusqu'à ce qu'ils eussent quelqu'un pour les 
aider dans leurs travaux. S'ils laissaient leurs 
champs incultes sans que ce fut de leur faute, 
on ne les en dépossédait pas pour les donner 
à d'autres. Les pauvres, les mendiants et les 
nobles n'étaient pas imposables; il en était de 
même de ceux qui travaillaient dans les ma- 
gueyes dépendant des chefs ou des particuliers, 
car les prestations personnelles dont ils étaient 
tenus envers ces derniers remplaçaient les im- 
positions qu'ils devaient au souverain su- 
prême. Les personnes employées au service 
du temple étaient affranchies en tout temps 
des charges publiques et n'étaient tenues de 
s'occuper que du culte. 



234 IIAPPORT SlJh LES CHEFS 

Je vais maintenant revenir au commence- 
ment de l'ordonnance de Votre Majesté^ et 

répondre au premier paragraphe ^ ainsi 
conçu : 



PARAGRAPHE PREMIER. 

« Au nom du Prince , 

» Président et auditeurs de l'audience 
» royale des frontières , 

» Désirant être éclairé sur les objets 
» ci -dessous indiqués , nous vous fai- 
» sons savoir qu'aussitôt que vous recevrez 
» cette ordonnance de la plus grande 
» importance, nous désirons que vous vous 
» informiez auprès des vieillards indiens, 
» après leur avoir fait prêter serment entre 
» vos mains, quelles étaient les imposi- 
» tions que les villages et les naturels de ces 
» contrées payaient au dernier souverain, 
» à ses prédécesseurs ou à tout autre prince 
» exerçant le pouvoir souverain ; quelles en 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 235 

» étaient la nature, la quantité, et la valeur 
» réduite en pesos d'or pour chaque année. » 

RÉPONSE. 

Ce paragraphe contient trois questions : la 
première, comment les naturels étaient-ils 
imposés? la seconde, quelles étaient la quotité 
et la nature des contributions? et la troisième, 
à combien s'élevaient-elles chaque année en 
réduisant la valeur en pesos d'or ? 

Ordre suivi dans la répartition de l'impôt. 

Le payement des impôts était bien réglé ; 
chaque province et chaque ville étaient impo- 
sées suivant la nature, la population etl'étendue 
du territoire. Elles s'acquittaient en nature 
et en produits de leur sol ou de leur industrie, 
sans qu'il fut nécessaire d'aller chercher ces 
objets dans une autre contrée, comme des 
terres chaudes dans les terres froides, H des 
terres froides dans les terres chaudes. 



236 RAPPORT SUR LES CHEFS 



Nature des impositions. 

Le plus communément les impositions se 
payaient en maïs , axi (espèce de poivre) ,/r/- 
joles (haricots noirs), et en coton. Chaque ville 
avait des terrains destinés à la culture de ces 
produits. Les seigneurs y enti^etenaient une 
grande quantité d'esclaves pour les garder. 
Les habitants des villes.cultivaientdes terrains 
destinés à acquitter l'impôt, et se faisaient 
aider par les naturels du voisinage, pourvu 
toutefois que ceux-ci n'eussent pas déjà des 
terres à cultiver pour l'état; car, dans ce cas, 
ils ne les quittaient pas pour travailler à 
d'autres. Les contribuables étaient tenus, en 
outre, de fournir de l'eau et du bois pour la 
maison du chef. Les artisans acquittaient les 
impositions en produits de leur industrie. Ja- 
mais l'impôt n'était réparti par tête, mais par 
village. Chaque corps de métier travaillait 
ensemble aux contributions qui lui avaient 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 237 

été imposées, en se partageant le travail, et ils 
en apportaient les produits à l'époque qui 
leur avait été assignée, ainsi qu'on l'expli- 
quera plus loin, et comme cela se fait pour les 
capitations (encabezamientos) , en usage en 
Espagne. 

Ainsi , les laboureurs cultivaient des terres 
affectées aux impôts, faisaient les moissons et 
rentraient les récoltes. Les artisans acquittaient 
en produits de leur industrie, les marchands 
en marchandises , en étoffes , plumes , bi- 
joux et pierres fines, chacun suivant son né- 
goce. Comme cette dernière classe était riche 
et heureuse, les impositions qu'elle payait 
étaient les plus considérables. 

Dans les pays qui produisaient du coton, 
on en cultivait pour acquitter les charges pu- 
bliques. Les naturels dont le territoire n'en 
produisait pas , mais qui avaient des vassaux 
qui cultivaient cette plante, payaient aussi avec 
ce produit. D'autres villes étaient chargées de 
mettre le coton en œuvre, et faisaient d'excel- 



238 RAPPORT SUR LES CHEFS 

lentes étoffes. Bien que les habitants des terres 
froides ne cultivassent pas le coton , c'était 
dans ces contrées que Ton faisait les tissus les 
plus parfaits; car les naturels y sont plus 
adroite que dans les terres chaudes. Ainsi ^ il 
y avait des villages qui contribuaient en coton, 
et d'autres qui acquittaient les impôts en le 
mettant en œuvre. Dans les provinces qui 
fournissaient du maïs , du chile ou des hari- 
cots, on payait avec ces produits; dans d'au- 
tres, c'était en fruits, en poisson ou en gibier, 
suivant la nature du pays. Dans les contrées 
où l'on ramassait de la poudre d'or dans les 
rivières et sans travail, on payait avec ce 
métal , mais en petite quantité. 

Tout était bien ordonné pour que les uns 
ne fussent pas plus grevés que les autres. Ce 
que chacun payait était peu de chose ; mais la 
population étant nombreuse, la totalité deve- 
nait considérable ; enfin , quelle que fût la 
nature des impositions , elles étaient peu éle- 
vées, on les payait sans peine, et on les per- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 239 

cevait sans faire éprouver aucune vexation. 



Valeur et perception des impôts. 

A l'égard de la seconde question^ c'est-à-dire 
quelle était la quotité des impositions^ nous 
avons déjà dit que chaque particulier payait 
peu de chose , et que la totalité était considé- 
rable à cause de la population. A cette époque, 
tout le commerce se faisait par échange ; l'u- 
sage de la monnaie n'étant pas connu, on 
trafiquait en donnant un objet pour un 
autre , ce qui est la manière de commercer la 
plus ancienne, la plus respectable, la plus 
sûre et la plus conforme à la nature. 

On prélevait des tributs plus forts que les 
impôts ordinaires sur les villes conquises qui 
s'étaient révoltées ; ils se payaient de la même 
manière. En répondant à la quatrième question 
du paragraphe ix , par lequel nous commen- 
çons ce rapport, nous avons dit ce que cha- 
cune d'elles payait en particulier. A cer- 



240 RAPPORT SUR LES CHEFS 

taines fêtes de l'année, les chefs inférieurs , 
pour rendre hommage-lige aux seigneurs su- 
zerains, leur faisaient des présents. 

Outre les impositions ordinaires des mar- 
chands, il était d'usage qu'en raison de leurs 
fortunes et de la considération que les sei- 
gneurs avaient pour eux, ils fissent à ces der- 
niers, à l'occasion de ces fêtes, des présents 
gracieux, sans cependant y être obligés. Cha- 
cun d'eux offrait ce qu'il voulait, on recueillait 
tous ces dons particuliers, et le chef des mar- 
chands les présentait au nom de tous au 
seigneur, qui les employait à célébrer des fêtes 
où assistaient tous les marchands. 

Lorsque les réjouissances étaient terminées, 
les souverains donnaient aux chefs inférieurs, 
à leurs sujets et aux étrangers qui s'étaient 
trouvés à ces solennités , des manteaux pré- 
cieux ou d'autres présents, suivant leur qua- 
lité; puis les marchands se retiraient satisfaits 
et payés de ce qu'ils avaient apporté. 

Les souverains, les chefs inférieurs et les 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 241 

nobles possédaient en propre des terres pa- 
trimoniales dans lesquelles étaient établis leurs 
magueyes ou tlalmaites, dont il a été ques- 
tion. Les impositions que payaient ces derniers 
revenaient aux seigneurs, qui pouvaient en 
disposer comme de leur chose propre. 

Si donc l'on résume ce qui a été dit , les deux 
premières classes de contribuables sont pre- 
mièrement les telcallecs, secondement les cal- 
pullecs. Ces deux classes comprennent tout 
le peuple et payent aujourd'hui les impôts à 
Votre Majesté ou aux encomenderos. Viennent 
ensuite les marchands et les artisans, que Ton 
a rangés dans la troisième classe. La qua- 
trième , composée des magueyes ou tlalmaites, 
doit des impôts et des prestations person- 
nelles aux maîtres des terres qu'ils cultivent 
et qui n'en ont pas été dépossédés. Ces proprié- 
taires sont en très-petit nombre, s'il yen a. 

Quant à la troisième question , savoir : quelle 
est la valeur des impositions réduites en pe- 
sos d'or commun? on ne peut pas bien s'en 
11. 16 



242 RAPPORT SUR LES CHEFS 

assurer. Ce que chaque contribuable payait 
était peu de chose et d'une valeur médiocre à 
cette époque, bien* que de nos jours le prix 
en soit très-augmenté. Il est certain qu'aujour^ 
d^hui un contribuable paye plus que six de 
ceux qui payaient en or, car on n'exploitait 
pas ce métal avec tant de peine que de nos 
jours, et il était moins estimé. Néanmoins, 
d'après ce que l'on peut supposer, cela s'éle- 
vait à peine à trois ou quatre réaux tout au 
plus, tant l'impôt était bien réparti. Un In- 
dien n'était obligé de travailler aux corvées 
qu'une fois ou deux par an ; encore ceux qui 
travaillaient deux fois étaient-ils les moins 
éloignés. On les choisissait de préférence pour 
qu'ils ne perdissent pas leur temps à aller et 
venir. 



PARAGRAPHE H. 



« Vous vous informerez pareillement 
» de la quotité et de la valeur des tributs 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 243 

» que les caciques soumis payaient aux chefs 

» inférieurs, et à combien ils s'élevaient cha- 

» que année , indépendamment de ceux qui 

>) étaient perçus par le souverain. » 

RÉPONSE. 

Ce paragraphe contient deux questions : la 
première, quels tributs payaient les caci- 
ques aux chefs inférieurs? la seconde, à 
combien s'élevaient ces tributs annuels , indé- 
pendamment de ceux qu'ils payaient au sou- 
' verain ? 

Quant à la première question , je dirai que 
les Indiens des provinces soumises à Mexico, 
à Tezcuco et à Tacuba , payaient des imposi- 
tions à leurs chefs naturels de la même ma- 
nière qu'on les payait au souverain universel , 
car les chefs vaincus n'étaient pas dépouillés 
de leurs revenus, et ils les dépensaient comme 
nous l'avons indiqué en parlant de Mexico et 
de ses alliés. Nous avons dit pareillement de 



2M RAPPORT SUR LES CHEFS 

quelle manière on acquittait les impositions et 

les services personnels envers les chefs de 

Mexico. Tous ces chefs suprêmes ou inférieurs 

jouissaient des mêmes droits et possédaient 
des terres patrimoniales, des magueyes et des 

domaines fixes où ils exerçaient leur pouvoir. 
On ne peut savoir quelle était la quotité 
de ces impôts, comme nous l'avons dit déjà , 
mais ils n'étaient pas considérables; généra- 
lement on les acquittait en grains. A l'égard 
de la seconde question, savoir : à combien ils 
s'élevaient chaque année? il est impossible 
d'en réduire la valeur en argent. 



PARAGRAPHE ut. 

« Outre les informations que vous vous 
» procurerez par la déposition des témoins, 
» vous vous ferez présenter toutes espèces de 
» peintures, tableaux ou comptes, quels qu'ils 
» soient, remontant à cette époque, afin que 
» l'on puisse s'éclairer sur les sujets en 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 245 

» question.. Vous ferez en sorte que les re- 
» ligieux se les procurent, et qu'ils cherchent 
» parmi eux quelqu'un qui connaisse la 
» langue et les usages du pays; vous pren- 
» drez des informations près de ces religieux 
» et de toutes autres personnes qui pour-« 
» raient vous éclairer à ce sujet, n 



RÉPONSE. 

J'ai fait autant que possible toutes les re- 
cherches recommandées pour découvrir la 
vérité sur tout ce que j'ai dit et sur ce que je 
dirai , 

PARAGRAPHE IV. 

J'ai déjà répondu à ce paragraphe. 



PARAGRAPHE V. 



« Vous vous informerez aussi à quelle 



246 RAPPORT SUR LES CHEFS 

» époque de l'année on payait l'impôt, corn- 
» ment s'en faisaient la répartition et la per- 
» ception >ji 



RÉPONSE. 

Ce paragraphe contient deux questions : la 
première, à quelle époque payait-on les im- 
pôts? la seconde, quels étaient les usages 
que l'on observait quant à la répartition et 
à la perception ? 



Nb>de de perception. 

Quant à la première espèce d'imposition „ 
c'est-à-dire celle qui se payait en nature, ou 
la percevait à l'époque de la moisson dans 
chaque village. On recueillait les fruits dans 
des bâtiments ou greniers destinés à cet effet ; 
on les retirait de là pour les dépenses qui ont 
été indiquées. Cependant, aux environs de 
Mexico, l'on était dans l'habitude de 1rs 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 247 

transporter à la ville pour pourvoir à la sub- 
sistance des habitants^ qui n'avaient pas de 
terrains à cultiver, puisqu'ils étaient entou^^ 
rës d'eau. 



Impositions des marchands et des artisans. 

On suivait plusieurs usages à l'ëgard des 
impositions que payaient les marchands et 
les artisans. Dans certains pays on les per-r 
cevait tous les vingt jours, dans d'autres 
tous les quatre mois ou tous les quatre- 
vingts jours, car leurs mois étaient de vingt 
jours ; par ce moyen il y avait dans un an 
un, deux ou trois payements. Les impôts 
étaient répartis par villages ou par corps 
de métiers, suivant la nature des objets 
payés et les distances qui séparaient les vil- 
lages. Ainsi tout le monde ne payait pas uni- 
formément tous les vingt jours ou tous les 
quatre-vingtsjours, mais d'après la répartition 
qui avait été faite, si bien qu'il se faisait 



248 KAPPOKT SUR LES CHEFS ^ 

des versements toute l'année, et jamais dans 
les palais des chefs on ne manquait des ob- 
jets percevables. Il en était de même des 
fruits, du poisson, du gibier, de la vaisselle 
et des autres objets nécessaires à la nour- 
riture et au service; chaque contribuable 
s'acquittait en deux ou trois payements, sui- 
vant que c'était convenable* 



Mode de répartition. 

Quant à la seconde question, qui a rapport 
au mode de répartition, il y avait dans cha- 
que village des terrains destinés à la cul- 
ture, proportionnés à la classe des habitants , 
à leur nombre et au genre de produit qu'ils 
devaient fournir. On a déjà dit que la ma- 
uière la plus générale d'acquitter l'impôt était 
en grains. Quant à ce que les marchands et 
les artisans étaient tenus de payer pour 
subvenir aux frais de la guerre , on le ré- 
glait toujours eu raison de la force de la 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 249 

population^ de la richesse et de la nature du 
sol. Il n'y avait pas de variété dans la quo- 
tité générale de l'impôt ni aucune confusion ; 
car les Indiens ne changeaient pas de village 
ni même de quartier. Cet usage était observé 
comme une loi, et, à moins d'être contraint 

par la force, un Indien et ses descendants 
naissaient et mouraient où étaient nés leurs 

pères et leurs aïeux. 



De la perception et des officiers qui y étaient préposés. 

Les souverains et les chefs inférieurs 
choisissaient parmi les Pilles des intendants 
chargés de recevoir les impôts , de veil- 
ler à la culture des terrains communaux 
et des terres appartenant aux particuliers. 
Ces intendants n'étaient pas absolument né- 
cessaires, car les sujets les prévenaient dans 
l'exécution de leur charge en apportant ati 
souverain les impôts qu'il avait ordonné de 
percevoir. 



250 RAPPORT SUR LES CHEFS 



Pourquoi et dans quelles occasions les souverains 
affranchissaient des impôts. 



Dans les temps de disette ou de peste , les 
chefs inférieurs ou majordomes se présen- 
taient au souverain suprême pour l'instruire 
de ce malheur public. Le fait étant constaté, 
ce qui arrivait toujours, car autrement ces 
officiers n'auraient pas osé se mêler de l'af- 
faire, le souverain ordonnait que pour l'année 
on ne percevrait pas d'impôt dans les villa- 
ges qui avaient été victimes de ces calamités; 
et même, si la disette y obligeait, il faisait 
distribuer des vivres et des semences pour 
l'année suivante. Toute leur attention avait 
pour but le soulagement et la consolation de 
leurs sujets autant qu'il était possible^ 



Comment les Indiens acquittaient les prestations personnellee. 



Le service personnel et ordinaire, qui con- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 251 

sistait à fournir chaque jour l'eau et le bois 
nécessaires à la maison des chefs, "^tait réparti 
de jour en jour par villages et quartiers, do 
sorte qu'un Indien y était astreint une fois ou 
deux tout au plus par an, et, comme on l'a 
dit, il n'y avait que les sujets du voisinage 
qui y fussent soumis, et encore dans cette con- 
sidération les dégrévait-on d'une partie des 
impôts. Quelquefois un village se présentait 
avec tout le bois qu'il était tenu de fournir : 
cela arrivait surtout lorsqu'il était éloigné. Le 
plus souvent les corvées se faisaient par des 
esclaves qui étaient très-nombreux. 



PARAGRAPHE VI. 



« Vous chercherez à savoir pareillement si 

» le montant des impôts était en raison 

>^ des terres, du nombre des habitations, ou 
» de la force de la population , et par consé-. 

» quent si c'était une capitation. » 



252 RAPPORT SUR LES CHEFS 



RÉPONSE. 

Onsuivaità cet égard plusieurs usages. Dans 
toute la Nouvelle-Espagne, dont font partie 
les provinces de Mexico, Tlaxcala, Huexo- 
tcingo, Gholula, Oaxaca et beaucoup d'autres, 
ils étaient semblables; mais ils différaient 
dans le Méchoacan , parce que tous les habi- 
tants en général, nobles ou laboureurs, pos-- 
sédaient des terres en propre, et qu'il y avait 
des champs communaux où l'on cultivait les 
produits destinés aux souverains, aux chefs 
inférieurs et aux temples. Les impôts n'é- 
taient pas en raison des terres ni des habita-* 
tions; des champs cultivés en commun étaient 
destinés à les acquitter. En outi^e, les arti- 
sans, les pêcheurs, les chasseurs, les mar- 
chands et ceux qui devaient fournir des fruits 
et de la vaisselle, versaient en masse les pro- 
duits de leur industrie. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 253 



Des magueyes. 

Les màgueyes qui travaillaient dans les 
terres d'autrui payaient une redevance aux 
propriétaires et étaient soumis à des cor- 
vées , comme on l'a dit dans la réponse à la 
première partie du paragraphe iv , qui traite 
de la <[uatrième classe des contribuables. 



Des censitaires. 

Les censitaires qui cultivaient les terres 
d'autrui payaient un cens aux seigneurs et 
faisaient des corvées suivant des conventions 
réglées. Ils différaient des màgueyes, car ils 
affermaient les terres pour un an, deux ans 
ou plus, sans être tenus à d'autres obligations 
à l'égard du seigneur,- mais ils devaient le 
service au souverain comme les autres sujets, 
et étaient tenus de travailler aux terres qui se 
cultivaient en commun pour acquitter les im- 
pôts. 



254 RAPPORT SUR LES CHEFS 

La capitation était inconnue. 

Les Indiens ne connaissaient donc pas la ca- 
pitation ni rien de semblable; de là vient que 
le recensement que Ton a fait il y a quelques 
années pour répartir les impôts a occasionné 
tant de troubles; nous en parlerons plus 
loin. 



Il y avait un domaine public. 

Dans plusieurs contrées, le revenu de cer- 
taines terres était appliqué au besoin de l'é- 
tat. Elles étaient inaliénables ; tous ceux qui 
les cultivaient, nobles ou non, devaient payer 
au souverain une rente fixe : les Espagnols ap- 
pellent ces terres tributarias. 

PARAGRAPHE VU. 

« Item, à qui appartenaient les terres et les 
» héritages cultivés par les Indiens? si les 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 255 

» nobles étaient contribuables, et si , malgré 
» cette qualité, ils payaient des redevances aux 
» seigneurs suzerains à titre d'hommage ? » 



RÉPONSE. 

La réponse à ce paragraphe se déduit de ce 
qui a été exposé : il est donc inutile de la ré- 
péter; j'ajouterai seulement en résumé que 
presque tous possédaient des terres en pro- 
pre, soit en particulier, soit en commun, 
comme les telcallecs et les calpullecs, 
dont il a été question. Ceux qui n'enavaient 
pas, ou qui n'étaient pas copropriétaires de 
territoires communs ou de terrains ap- 
partenant à leur quartier, étaient censitaires 
de quelques seigneurs ou particuliers d'un 
autre quartier. Ils affermaient au moyen 
d'une rente convenue, et pour un an ou deux, 
les terres qu'ils pouvaient cultiver, et ils 
payaient des impôts aux souverains comme 
les autres contribuables. Les magueyes étaient 



256 RAPPORT SUR LES CHEFS 

des tenanciers, et corame tels ils payaient une 
redevance aux seigneurs terriers des domai- 
nes qu'ils cultivaient. Ils n'étaient pas sou- 
mis aux impôts à l'égard du souverain, ex- 
cepté en temps de guerre ou de nécessité pu- 
blique; alors ils devaient des prestations 
personnelles en vertu du droit de souverai- 
neté et suivant l'étendue de sa juridiction. 
Ceci est conforme au droit, comme on l'a 
prouvé au paragraphe des impôts; on en 
parlera de nouveau quand il sera question des 
usages remarquables de la Nouvelle-Espagne. 
Tous les autres habitants acquittaient les im- 
pôts comme nous l'avons dit; ils faisaient les 
corvées et servaient à la guerre ou eiï cas 
de besoin public, en vertu du droit de sou- 
veraineté du prince et en proportion de 
l'étendue de sa juridiction. 



PARAGRAPHE VHI. 



a Vous chercherez à savoir pareillement 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 257 

» comment sont répartis les impôts que les 
» Indiens payent à leurs caciques et à leurs 
» chefs, quelle en est la nature, s'ils sont 
» les mêmes qu'avant leur conversion, si les 
» payements s'effectuent d'une manière ana- 
» logue, et s'il s'est introduit quelque nou- 
w veauté sous ce rapport. ^ 



RÉPONSE. 

Ce que l'on a dit en répondant à la troi- 
sième question du paragraphe ix , qui est le 
premier qu'on a ti^aité, fait pressentir quelle 
doit être la réponse à celui-ci. C'est, en 
un mot, que tous chefs, suprêmes ou infé- 
rieurs, caciques ou nobles, sont dans une si 
grande misère qu'à peine ont-ils de quoi se 
nourrir. On les a dépossédés de leurs domai- 
nes, de leurs terres; on leur a enlevé leurs 
colons ou magueyes. Une des causes de leur 
ruine , c'est de leur avoir retiré le titre 

de seigneur et de les avoir revêtus des em- 
11. 17 



258 RAPPORT SUR LES CHEFS 

plois de gouverneur , dont leurs adversaires 
les privent sans en donner de juste rai- 
son, ce qui équivaut à leur enlever le titre 
de chef. Beaucoup de personnes ont commis 
ces injustices sous prétexte que le service 
de Votre Majesté et le bien du pays exigeaient 
l'abolition de ces s^gneuries, etelles ont rem- 
placé les chefs par des raacehuales. Dans mes 
tournées, j'ai vu des chefs résigner leur oflSce 
entre mes mains sans queje pusse obtenir d'eux 
qu'ils se chargeassent des emplois de gouver- 
neurs. Lorsqu'on leur en demandait la raison^ 
ils disaient que c'était dans la crainte que leurs 
vassaux ne leur intentassent des procès au 
sujet des impôts, et parce que les voyageurs 
et d'autres individus exigeaient d'eux des vi- 
vres ou d'autres objets et les maltraitaient; que 
les officiers de Votre Majesté ou les encomen- 
deros les vexaient et les enfermaient à cause 
des impôts. Aujourd'hui les Indiens ne payent 
plus rien aux caciques ni aux autres chefs 
comme ils le faisaient autrefois, parce que 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 259 

tous ont été privés de leurs titres et réduits 
à rétat de contribuables, quoiqu'ils aient 
cherché à s'affranchir en faisant valoir leur 
qualité d'hommes libres. Lesmagueyes, pour 
ne pas payer les nobles , soutiennent que les 
prétentions de Votre Majesté sont fondées, 
que tous les siyets sont tenus de payer des im- 
pôts, que si quelqu'un s'y oppose il faut l'ar- 
rêter, le faire payer, lui enlever ses magueyes^ 
et \e forcer de contribuer à Votre Majesté 
ou aux encomendei'os. Comme les nobles ne 
savent à qui s'adresser et qu'ils n'ont pas les 
moyens de plaider, ils perdent leur liberté , 
leurs terres et leurs magueyes, qui se révol- 
tent contre eux et disent que les terres sont à 
eux, qu'ils les tiennent de leurs ancêtres. 
Gomme l'on ne connaît pas les titres de 
propriété des chefs, les prétentions de leurs 
adversaires sont accueillies, et les chefs dé- 
possédés et ruinés, sans oser ni savoir ré- 
pondre. 



260 RAPPORT SUR LES CHEFS 



PARAGRAPHE IX. 



On y a déjà répondu. 

PARAGRAPHE X. 

(( Vous devez aussi vous informer si , lors- 
» que les Espagnols ont découvert et con- 
» quis ce pays ^ ils ont rangé dans la classe 
» des contribuables un plus grand nombre 
» d'Indiens que celui qui existait pendant 
>) l'idolâtrie; comment se payaient les îm- 
» pots; comment les naturels acquittaient les 
» prestations personnelles; si l'on a eu soin 
» de ne pas leur imposer d'autres contribu- 
» tions ou d'autres corvées que celles ancienne- 
» ment en usage au profit du souverain; si 
» les nouvelles impositions qui ont été établies 
» sur les Indiens l'ont été seulement pour 
» pourvoir à la subsistance des Espagnols en- 
» comenderosde villages; enfin quelles règles 
» ont été suivies à cet égard. » 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 261 



RÉPONSE. 



Les actes des Espagnols dans le principe, et 
ménie aujourd'hui dans certaines contrées, 
ont été et sont encore si exorbitants, si in- 
justes, si déraisonnables, que, s'il fallait ré- 
pondre à tout ce que contient ce paragraphe , 
on ferait une longue instruction; néanmoins 
en se résumant le plus possible, on répondra 
avec la plus grande brièveté et toute la me- 
sure nécessaire. Pour mieux le faire, il est ab- 
solument nécessaire de rapporter plusieurs 
faits qui ont eu lieu ou qui se passent présen- 
tement. 

Ce paragraphe contient deux questions : la 
première, si à l'époque de la conquête on a 
exigé des Indiens des impôts qui leur étaient 
inconnus? la seconde, comment leur a-t-on 
imposé les prestations personnelles? 



i%2 RAPPORT SUR LES CHEFS 



Comment on a impoté l#ft premières contributions. 

Quaat à la première question , aussitôt la 
conquête achevée, le capitaine don Fernand 
Gortez ordonna que les caciques et lea chafs 
se réuniraient à Cuyoacan, qui est une des 
villes capitales des Indiens, éloignée de df^ix 
lieues de Mexico, et qu'il avait prise pour \w, 
ainsi que d'autres villages des environs de 
la capitale* Ayant convoqué tous les ehefe 
qui purent venir, il leur dit qu'ils n'avsôeiit 
plus d'impôts à payer aux souverains de Mexi- 
cQ,^ de Tezcuco et de Tacuba, comme ils le fai- 
saient autrefois, mais bien à l'empereur et, en 
son nom, aux Espagnols et à lui; qu'ils n'é- 
taient plus tenus de cultiver les terrains com- 
munaux, et que chaque ville, dont le nombre 
était très-considérable, serait indépendante* 
Les chefs, se souvenant de la manière dont on 
venait de les traiter, eux et leurs sujets , ac- 
ceptèrent ces nouvelles propositions. On peut 



Dfi LA NOUVBLLE-E&PAGNE. 263 

juger combien était libre leur consentement. 
Cortez divisa te pays entre lut et se» officiers, 
sans régler le montant des impôts et l'époque 
où ils seraient payables. Chaque Espagnol 
s'arrangea avec le seigneur ou les chefs du vil- 
lage qu'il avait reçu en partage pour ré- 
gler ce qu'il devrait payer tous les quatre- 
vingts jours. Quelques-uns, mais en petit 
nombre, eurent recours au capitaine pour 
firire confirmer leurs accords* Son caprice et 
son avarice étaient la mesure et la taxe des im- 
pôts, ûes prestations personnelles et des es- 
claves qu'il autorisait à exiger, sans consîdé-^ 
rer si c'était possible ou non. On peut voir 
par cela s'il fit attention à ne pas les imposer 
plus qu'ils ne l'étaient par leurs chefs. Les 
Espagnols forçaient ks naturels à donner ce 
qu'ils leur demandaient, et pour cela ils les 
tourmentaient par des tortures et des cruau- 
tés inconnues jusqu'à cette époque. Ces actes 
de barbarie, joints aux calamités qui ont affligé 
ce peuple, et que Von racontera pi us loin, ont 



264 RAPPORT SUR LES CHEFS 

tellement diminué la population qu'elle n'est 
pas le tiers aussi forte qu'elle était autrefois. 

La seconde question a rapport aux cor^ 
vées qu'on leur faisait faire. Je pourrais 
m'étendre longuement sur ce sujet; mais je 
serai aussi bref que possible , parce que j'ai 
dit, en répondant à la première question , que 
les maux et les cruautés dont on les acca- 
blait Joints aux calamités qu'ilsont souffertes, 
ont réduit la population à moins du tiers, et ^ 
de plus, parce que tous les Espagnols, entre 
autres plusieurs auditeurs, prétendent que cer- 
tainement du temps de l'idolâtrie ils faisaient 
plus de travail qu'aujourd'hui, que par con- 
séquent il y a lieu de croire que les corvées 
ne sont pas cause de la diminution de la 
population , et que les excès des travaux , s'il 
y en a, sont occasionnés par la construction 
des couvents, des églises, par la culture des 
champs de leurs caciques, par celle des ter- 
rains communaux et les travaux publics, ce 
qu'ils ne faisaient pas sous leur gouverner- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 265 

ment. J'exposerai de quelle manière les In- 
diens acquittaient les prestations personnelles^ 
ce qui est le sujet de la seconde question de 
cet article^ afin que l'on connaisse la cause de 
rénorme destruction des naturels qui a eu 
lieu et qui continue de nos jours. Il ne faut 
donc pas prendre la population pour base des 
impôts qu'ils doivent payer aujourd'hui, ni 
avoir égard aux corvées qu'ils faisaient du 
temps de leur gouvernement , et croire qu'é- 
tant exempts de ces prestations personnelles 
ils sont aujourd'hui plus soulagés; car, outre 
qu'il est impossible d'abolir l'usage des cor- 
vées, qui esttrès-ancien parmi eux, ils en ont 
fait et ils en font de bien plus considérables 
quand ils travaillent aux ouvrages publics ou 
dans les propriétés particulières des Espa- 
gnols. 



Usages observés pour les corvées publiques sous le gouverne- 
ment d|| Indiens. 

Lorsque le gouvernement des Indiens exis- 



266 RAPPORT SUR LES CHEFS 

tait^ les naturels travaillaient dans leurs pro- 
pres villages, comme ils le font aujourd'hui «Ces 
corvées sont peu considérables. Us étaient et 
ils sont encore bien traités, n'abandonnent 
pas leurs familles , et se nourrissent eoiDine 
à l'ordinaire et à leurs heures habituellefi^* 
Les travaux en commun se font trè»-vo- 
lontiei^s, parce qu'encore qu'ils soient peu 
robustes, ils travaillent beaucoup ldrsq[u'ils 
sont réunis. Six travailleurs indiens ne font 
pas tant d'ouvrage qu'un seul Espagnol, car 
leur nourriture étant légère ils ont peu de 
force. Les temples, les habitations des chefs 
et les édifices publics étaient toujours êon- 
stmits en commun. Lorsqu'ils sont réunis en 
grand nomJbre, ils sont fort gais. Aussitôt la 
pointe du jour, et dès que le froid du matin 
était passé, ils sortaient de leurs maisons après 
avoir pris un léger repas conforme à leurs 
usages et à leur pauvreté, et qui leur stfffi- 
sait. Ils travaillaient un peu, comme ils le 
pouvaient, sans qu'on les pressât ou qu'on 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 267 

les maltraitât. En hiver et dans le printemps, 
afin d'éviter la rigueur du froid , ils quittaient 
le travail de très-bonne heure, avant que 
la fraîcheur du soir ne se fit sentir, car tous 
en génâ^al sont nus ou portent sur eux si peu 
de vêtements que c'est comme s'ils n'en avaient 
pas. Pour peu qu'il plût, ils se mettaient à 
l'abri , parce que, pour quelques gouttes d'eau 
qu'Us reçoivent, ils frissonnent de frcâd. Ils 
se rassemblaient et s'accompagnaient à leurs 
maisœis, qui sont trèsr-petites , bien abritées 
et remplacent pour eux les habillements. 
Leurs femmes y avaient allumé du feu et pré- 
parc leurs repas ; ils se réjouissaient avec 
elles et leur enfants; aussi jamais n'a-t-i) 
été question de les payer pour ces travaux. 
C'est ainsi que les églises et les couvents des 
villages se sont construits avec beaucoup de 
facilité et de gaieté. Ces édifices, loin d'être 
auâsî somptueux que quelques personnes le 
disent, sont très - modestes en tout et seule- 
ment conformes au besoin. 



268 RAPPORT SUR LES CHEFS 



Corvées dans les champs des chefs. 

Des personnes prétendent que l'on doit con- 
sidérer comme une des causes de la dépopu- 
lation les corvées que les Indiens font dans 
les champs des chefs^ des caciques ^ et dans les 
terrains communaux* Cette opinion est très- 
erronécy car ils les faisaient aussi du temps où 
ils étaient dans l'idolâtrie, et cela comme au- 
jourd'hui, en travaillant tous ensemble pen- 
dant deux ou trois heures. Ils retournent chez 
eux le soir, lorsque le soleil est encore sur l'ho- 

■ 

rizon, et s'éloignent si peu de leurs villages 
que tous les jours et à toute heure ils peuvent 
revenir chez eux. Il en était de même quand 
ils travaillaient dans les terrains communaux 
qui étaient près de leurs villages. Ils partent 
pour travailler, après avoir pris, suivant leur 
habitude, un repas qui tient leurs estomacs 
chauds, et ne quittent ni leurs familles ni leurs 
voisins. Si le vent s'élève, s'il pleut, si la tem- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 2619 

pérature se refroidit, ce qui arrive fréquem- 
ment dans l'après-midi, ils se réfugient chez 
eux, et aussitôt que le mauvais temps est 
passé , ils viennent aux heures accoutumées 
travailler encore un peu. Ils s'aident les uns 
les autres; les femmes et les enfants, tout 
petits qu'ils soient, prennent quelquefois 
part à leurs travaux. Quand ils rentrent, ils 
trouvent le feu allumé pour se réchauffer, 
leurs repas, leurs boissons préparées, leurs 
maisons en ordre et bien fermées, toutes 
choses qui leur sont nécessaires, comme je l'ai 
dit, parce qu'ils sont nus, quelques-uns ont 
à peine un misérable manteau , et beaucoup 
tout au plus un mauvais linge sale pour ca- 
cher leur nudité. 



De l'ivrognerie. 

D'autres personnes prétendent qu'il faut 
attribuer à l'ivrognerie la diminution de la 
population , parce qu'il meurt un grand nom- 



270 RAPPORT SUR LES CHEFS 

bre dlndiens, et que dans Tivresse ils se 
tuent les uns les autres. Mais on se trompe 
aussi à ce ^ujet; le même vice existe dans 
d'autres pays^ et les habitants ne diminueut 
pas. Néanmoins il serait très-nécessaire qu'on 
s'occupât de les corriger , parce que ce défaut 
est cause d'excès , de délits et de péchés très- 
graves, qu'ils commettent dans l'ivresse. Ce 
que j'en ai dit n'est donc pas pour excuser les 
Indiens , mais seulement pour faire compren- 
dre que ce n'est pas une cause de dépopulation. 



véritable cause de la dépopulation. 

Ainsi , ce ne sont pas les travaux publics en 
usage sous leur gouvernement qui tuent les 
Indiens, attendu l'ordre sage qui préside au 
travail, mais bien les travaux publics et les 
corvées des Espagnols, fort contraires à leurs 
usages et à leurs habitudes. Pour qu'on le 
comprenne mieux, j'ex|X)scrai ce qui s'est 
pratiqué de tout temps à ce sujet. 



DE L4 NOUVELLE-ESPAGNE. 271 

Ce que j'ai dit sur les coutumes suivies 
pour les travaux publics sous leur gou- 
vernement était généralement reçu dans 
toutes le$ Indes; je l'ai vu partout où j'ai 
voyagé, et je sais qu'il en est de même dans 
les contrées où je n'ai pas été, parce que cela 
m'a été rapporté par des témoins oculaires. 

Les maux dont on accablait les Indiens de 
la Nouvelle-Espagne ont été exercés pareille- 
ment dans toutes les Indes, de la même ma- 
nière, avec les mêmes circonstances, de sorte 
qu'on les croirait le résultat d'ordres sem- 
blables. Voilà ce qui a détruit la population 
dans toutes les provinces, et ce qui, dans 
la suite, la fera disparaître tout à fait si 
Ton n'y apporte remède; car si à la vérité 
des abus ont cessé dans certaines contrées, 
ils subsistent encore dans d'autres. Les offi- 
ciers de justice ne les voient pas ou les ca- 
chent; plusieurs les tolèrent et même autori- 
sent les Espagnols à les exercer conti^e les 
naturels. 



272 RAPPORT SUR LES CHEFS 



Travaux que l'on fait faire aux Indiens. 



Ce qui a fait mourir les Indiens , et ce qui 
en fait encore mourir de nos jours, c'est la 
construction des grands édifices bâtis à la 
chaux et en pierre de taille dans les villes des 
Espagnols; travaux tout à fait contraires à 
leur santé. On les forçait de changer de pays, 
de passer d'une terre froi(^e dans une terre 
chaude; on leur faisait faire à pied vingt, 
trente, quarante lieues et plus, changeant 
leurs habitudes en tout point, soit pour les 
occupations , les heures de travail , leurs usa- 
ges, leur nourriture, leurs habitations, cela 
pendant longtemps, et sans leur laisser 
prendre de repos de plusieurs semaines. On 
les forçait à travailler depuis la pointe du 
jour jusque fort tard après le coucher du so- 
leil. J'ai vu après V Angélus un grand nom- 
bre d'Indiens cruellement conduits à l'ou- 
vrage par un personnage très-puissant; ils 



' DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 273 

portaient une énorme poutre aussi grande 
qu'un pin royal, et, lorsqu'ils s'arrêtaient 
pour se reposer, un nègre qui les suivait ar- 
mé d'une courroie les forçait de continuer 
leur marche en les frappant depuis le pre- 
mier jusqu'au dernier, non pas pour qu'ils 
gagnassent du temps et qu'ils fissent d'autres 
travaux, car la journée était finie, mais pour 
les empêcher de se reposer, et pour ne pas 
perdre la mauvaise habitude si générale de les 
battre sans cesse et de les maltraiter. Comme 
tous étaient nus, qu'ils n'avaient pour se 
couvrir qu'une pièce d'étoffe qui cachait leur 
nudité, et que le nègre frappait autant qu'il 
avait de force, tous les coups de fouet faisaient 
effet. Pas un d'eux ne disait un mot ou ne 
détournait la tête, car tous sont accablés par 
le malheur. On a l'usage de les presser con- 
stamment dans leurs travaux, de ne pas leur 
laisser prendre de repos et de les châtier s'ils 
le font. Ces mauvais traitements sont cause 

qu'avec l'autorisation de Votre Majesté je 
1i. 18 



274 RAPPORT SUR LES CHEFS 

me suis démis de ma charge d'auditeur» 
Dix espèces de calamités ont détruit et dé^ 
truisent les Indiens y et de nouvelles les ont 
accablés (i). 

Un des douze premiers religieux qui vinrent 
à la Nouvelle-Espagne, homme d'une grande 
bonté, très-vertueux, très-pieux, et qui n'au- 
rait rien dit de faux, compte dans un de 
ses ouvrages dix espèces de calamités qui ont 
fait périr les Indiens , ou qui les affligent en- 
core, et les compare aux plaies de l'Egypte. 
Voici comme il s'exprime en parlant des édi- 
fices : « La septième plaie fut la construction 
de la ville de Mexico, à laquelle, pendant les 
premières années , concourut presqu'autant 
de monde qu'à la construction du temple de 
Jérusalem , sous le règne de Salomon, La mul- 

(i^ Cette phrase est ajoutée dans le texte comme plusieurs 
autres que l'on remarque dans ce manuscrit ; elles sont de ta 
même main que les notes qui disculpent les Indiens de Tacca- 
sation de barbarie et doivent être de l'auteur lui-même , qui 
corrigeait ou ajoutait ce qu'il croyait nécessaire. Cette cir- 
constance doit faire considérer ce manuscrit comme originaJ. 
(Boturini. ) 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 275 

titude des travailleurs et des personnes oc- 
cupées à transporter les matériaux , les vivres 
et les objets que les Indiens fournissaient jour- 
nellement aux Espagnols, étaient si considé- 
rables, qu'à peine pouvait-on passer dans les 
rues et sur les digues, qui sont cependant 
très-larges. Pendant les travaux, tandis que 
des hommes étaient occupés à monter des 
poutres sur les édifices, d'autres pièces de 
bois tombaient sur eux. D'un côté, on abat- 
tait des monuments pour les construire autre 
part. Tous les travaux se faisaient aux frais 
des naturels; ils fournissaient les matériaux, 
payaient les Espagnols, charpentiers, menui- 
siers ou maçons, et s'ils n'apportaient pas des 
vivres de chez eux, ils restaient sans man- 
ger. Ils portaient les matériaux, les poutres 
et les pierres de taille sur leur dos, suivant 
leur usage, ou bien ils les traînaient à l'aide de 
câbles; et comme ils ne sont pas robustes, 
quand il aurait fallu cent hommes pour char- 
ricr des pierres ou du bois de charpente, ils 



276 RAPPORT SUR LES CHEFS 

se mettaient quatre cents. Lorsque pour por- 
ter des matériaux ils se réunissent en nom- 
bre considérable, ils ont coutume de chanter 
et de jeter des cris pour moins éprouver de 
fatigue : ces cris se faisaient entendre nuit et 
jour, car la ville se construisit avec la plus 
grande célérité dans les deux ou trois pre- 
mières années. Il ajoute plus loin : « Le faste 
a présidé à la construction de ces monu- 
ments; il a fallu pour cela abattre des habita- 
tions et même des villages indiens^ car on 
éleva beaucoup d'édifices outre les maisons 
particulières que les Espagnols avaient fait 
bâtir pour eux. On amenait de fort loin jus- 
qu'à Mexico les matériaux nécessaires à la 
construction de cette ville magnifique. » 



Impôts exorbitants. 

Les impôts excessifs que les Indiens ont 
payés et qu'ils payent encore par la terreur 
qu'on leur inspire, sont une des causes de 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 277 

dépopulation. Us donnaient aux Espagnols 
tout ce qu'ils possédaient; et comme ces con- 
tributions étaient excessives, ils étaient forcés 
de vendre à vil prix leui^ terres et même 
leurs enfants. Beaucoup d'Indiens ne pou- 
vant accpiitter les impôts mouraient en pri- 
son , ou s'ils en sortaient c'était dans un état 
si misérable qu'ils ne survivaient que quel- 
ques jours. D'autres succombaient dans les 
tortures auxquelles on les soumettait pour 
leur faire avouer où ils avaient caché leur or. 
Enfin on les traitait en tout comme des ani- 
maux, et sans respecter en rien la justice. 

Un grand nombre sont morts dans l'escla- 
vage auqfuel on les assujettissait pour le 
service des Espagnols et dans les travaux des 
mines. Tels étaient les résultats de l'impa- 
tience que les Espagnols nouvellement arri- 
vés à Mexico avaient de s'enrichir , et il en 
était de même dans toutes les autres par-, 
ties des Indes. On v vovait des troupes d'In- 
diens que l'on conduisait pour être enchaî- 



278 RAPPORT SUR LES CHEFS 

nés. L'ardeur des Espagnols à réduire les 
Indiens en esclavage et la terreur qu'ils leur 
inspiraient étaient si grandes que pour leur 
complaire les naturels leur amenaient leurs 
sujets^ et même leurs enfants quand ils 
n'avaient pas d'autres personnes à. leur li- 
vrer, et cela se fait encore aujourd'hui ; car 
malgré les prohibitions que Votre Majesté a 
publiées à cet égard, on réduit encore des 
Indiens en esclavage sous prétexte qu'ils se 
sont révoltés. 

On a occasionné pareillement la diminution 
de la population en forçant les Indiens à 
travailler aux mines d'or et d'argent, et en 
^es accablant de fatigue par des occupations 
auxquelles ils n'étaient pas habitués. On les 
envoyait à quatre-vingts ou cent lieues de chez 
eux , et ils mouraient en voyage, de faim , de 
froid , de chaleur ou de fatigue sous les énor^ • 
mes charges qu'on leur faisait porter, telles 
que les outils en fer destinés aux mines ou 
d'autres objets d'un poids énorme; car on ne 



DB LA NOUVELLE-ESPAGNE. 279 

se contentait pas seulement de leur faire 
faire de si longs voyages, on les chargeait en- 
core comme des bêtes de somme. S'ils avaient 
quelques vivres c'est qu'ils s'en étaient pour- 
vus chez eux, encore était-ce en petite quan- 
tité , car ils ne pouvaient en emporter beau- 
coup, et ils les consommaient avant d'être 
arrivés au terme de leur voyage , c'est-à-dire 
aux mines ou tout au plus avant d'être de 
retour chez eux; aussi en mourait-il un grand 
nombre. La population d'une infinité de vil- 
lages des environs des mines disparaissait ; il 
en était de même de ceux qui étaient sur la 
route. Les Indiens s'enfuyaient dans les forêts 
en abandonnant leurs maisons et leurs fa- 
milles; tout cela n'empêchait pas qu'on les 
forçât d'aller aux mines, sous prétexte qu'ils 
devaient travailler aux édifices publics qui y 
sont établis, que c'était de bonne volonté, que 
Votre Majesté ne l'a pas défendu et qu'elle n'a 
prohibé que le travail des mines proprement 
dit. Quant à prétendre que ce n'est pas mal- 



280 RAPPORT SUR LES CHEFS 

gré eux, il est certain qu'ils y vont toujours 

à contre-cœur, qu'ils ne cèdent qu'à la vio- 
lence, qu'on les y force et qu'on profite pour 

cela des facilités que donnent les répartitions 
faites aux encomenderos et après avoir ob- 
tenu une autorisation de l'audience, ce qui est 
contraire aux règlements de Votre Majesté, 



Tamemes, ou Indiens à qui l'on fait porter des fardeaux. 

Ce qui a diminué aussi la population, c'est 
de les avoir fait voyager par milliers en les 
forçant de porter des charges énormes de 
marchandises pendant plusieurs journées de 
marche , en les faisant passer réciproquement 
d'une terre chaude dans une terre froide, ce 
qui est mortel pour eux, car ils n'y sont point 
habitués. Les Espagnols faisaient transporter 
par eux leurs bagages, leurs femmes, leurs 
enfants et tout leur ménage, lits, chaises, 
tables, ustensiles de cuisine et vivres; les 
hommes eux-mêmes se faisaient porter pen- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 281 

- dant la route dans les montagnes et les en- 
droits difficiles. Ils harassaient les porteurs à 
tel point qu'ils retournaient chez eux pres- 
que morts de fatigue et ne survivaient que 
peu de jours ; quelquefois même ils sucoin- 
baient en route sous leur charge; c'est en- 
core ainsi que voyagent les encomenderos 
quand ils vont dans leurs villages avec leurs 
familles entières ou lorsqu'ils en reviennent. 
Pendant leur séjour, qui dure à peu près un 
an, presque toute la population n'est occupée 
qu'à les servir. 



Des habitations. 



La construction d'un nombre immense 
d'habitations et d'enclos où l'on nourrit des 
moutons , des vaches et des porcs, est aussi 
une cause de la mortalité, car ce travail 
n'était pas approprié à leur constitution, à 
leurs usages et à leur manière de travailler. 
On les occupait pendant un grand nombre de 



282 RAPPORT SUR LES CHEFS 

jours et même de semaines à ces travaux:, 
bu à élever des constructions dans les cam- 
pagnes, les héritages, les jardins et sur 
les routes. On leur faisait faire des ponts*; 
des fontaines, des digues et des moulins 
à sucre. Ils fournissaient tous les maté^ 
riaux et les portaient sur leur dos sans ré- 
tribution , et sans qu'on leur donnât aucune 
espèce de vivres. Si on les paye aujourd'hui , 
c'est à si bas prix qu'ils ne peuvent se nour- 
rir, ce qui n'empêche pas l'audience d'accor- 
der des autorisations pour mettre les Indiens 
en réquisition, et ils n'en sont que plus mal- 
traités. 



lis transportaient les impôts à lears frais. 



On doit encore considérer comfn€ une 
cause de la dépopulation l'habitude de leur 
faire porter tous les ans les impôts sur leur 
dos dans des pays de température difiFéreritc 
en les nourrissant peu et mal. Lorsqu'ils ar- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 283 

rivaient excédés de fatigue et moulants de 
faim, on les forçait déporter du bois, de 
l'eau; de balayer les maisons, les écuries; de 
charrier les ordures et le fumier comme cela 
se fait encore, pendant deux, trois jours ou 
plus sans les nourrir ; de sorte que pendant 
ce temps ils consommaient le peu de vivres 
qu'ils avaient apportés de chez eux, et ils re- 
tournaient comme aujourd'hui sans avoir de 
quoi se nourrir. 



Corvées ordinaires. 

Les corvées ordinaires ont diminué la po- 
pulation; elles existent encore aujourd'hui 
dans certaines provinces, pour le service des 
maisons des encomenderos qui font travailler 
les Indiens aux mines pendant le temps qu'ils 
devraient employer à cultiver leurs champs et 
porter l'eau et le bois. Dans certains endroits 
ils étaient forcés de partir de chez eux quinze 
jours d'avance; ainsi pour faire les corvées 



284 RAPPORT SUR LES CHEFS 

d'une semaine il fallait qu'ils employassent 
quatre semaines pour aller et revenir. Les 
routes étaient couvertes d'Indiens excédés de 
fatigue et mourant de faim, hommes fem- 
mes et petits enfants qu'ils emmenaient avec 
eux en les portant sur leur dos avec leurs vi- 
vres, chose qu'on n'avait jamais vue. 



Des conquêtes. 

On ne pourrait compter la multitude d'In- 
diens qui sont morts pendant les conquêtes et 
les voyages de découverte, où on les emmenait 
de force en les contraignant de porter des 
fardeaux. D'autres étaient arrachés à leur 
pays pour le service des gens de guerre ; on 
les séparait de leurs parents, de leurs amis, 
de leurs femmes et de leurs enfants; c'est tout 
au plus si quelques-uns en revenaient, pres- 
que tous mouraient à l'étranger, en voyage, 



OU en revenant chez eux. Etant dans le nou- 
veau royauriie de Grenade, j'ai entendu dire à 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 285 

beaucoup d'Espagnols que pour aller de ce 
pays à Popayaii on ne pouvait se tromper 
car les os des Indiens morts sur les che- 
mins servaient de signes de reconnaissance. 
Des oiseaux s'arrêtaient près des routes et 
aussitôt qu'un Indien tombait ils lui arra- 
chaient les yeux, le tuaient et le mangeaient. 
Ces animaux arrivaient comme s'ils avaient 
été dressés à cela et s'ils savaient quand il 
devait y avoir des voyages d'exploration ou 
des découvertes de mines. Il est arrivé que 
des Indiennes, qui voyageaient chargées de 
fardeaux, tuaient les enfants qu'elles por- 
taient suspendus à leur sein, disant qu'elles 
ne pouvaient marcher avec eux etleul^ charge, 
et qu'elles ne voulaient pas qu'ils souffrissent 
un jour les maux qu'elles enduraient. J'ai en- 
tendu raconter à Guatemala, par un procu- 
reur de l'audience de cette ville, le fait sui- 
vant dont il avait été témoin : Étant militaire 
et faisant partie d'un voyage de découverte, 
il vit, en traversant un marais, un soldat qui 



286 RAPPORT SUR LES CHEFS 

avait laissé tomber son poignard qui s'était 
enfoncé dans la boue. Il ne pouvait le trou- 
ver car il était déjà nuit, lorsqu'une Indienne 
arriva portant sa charge et un enfant au sein. 
Le soldat arracha cet enfant à sa mère, le jeta 
ou était tombé son poignard, et revint le len- 
demain pour chercher son arme, en disant 
qu'il avait laissé l'enfant dans la boue pour 
reconnaître la place. On ne pourrait dire 
combien d'Indiens ont péri victimes des 
emportements et des violences dont on le« 
accablait pendant toute la route. Quand un 
Indien homme ou femme tombait de fhtigue 
sous sa charge, on lui coupait la tète pour 
ne pas se donner lapeinede détacher la chaîné 
qu'il avait au cou, et on répartissait sa charge 
sur les autres. 

Il est impossible de préciser le nombre de 
naturels qui sont morts dans les ports quand 
on construisit les vaisseaux du marquis, 
pour l'expédition de la Californie. Ceux qui 
en ont fait partie y ont péri ou sont morts dans 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 287 

les lies du couchant. On les amenait de qua- 
rante ou cinquante lieues de loin , ce qui a 
dépeuplé la côte de la mer du Sud^ autrefois si 
habitée. On leur faisait porter les vivres, les 
agrès et les munitions des bâtiments. Ils fai- 
saient par milliers de très-longs voyages à tra- 
vers les forêts et les montagnes, par de mau- 
vais chemins , franchissant des rivières et des 
marais, loin de leurs provinces, contre leurs 
hat>itudes, sans vivres, sans vêtements et 
sans maisons pour s'abriter. Les corrégidors, 
les alcaldes majors, leurs lieutenants, lesal- 
guazils, chacun suivant leurs juridictions, 
les inspectaient, les accablaient de travaux 
excessifs, les punissaient, prenaient leurs 
vivres ou tout ce qui leur plaisait, sous pré- 
texte qu'on en avait besoin pour la flotte. 
Aussi les travaux ne finissaient-ils pas; car 
lorsqu'un Indien s'était procuré les objets 
auxquels il avait été imposé, le magistrat se les 
appropriait et lui ordonnait de les remplacer 
pour les besoins des vaisseaux. 



288 RAPPORT SUR LES CHEFS 

Il est inutile déparier de la digue construite 
à Mexico et de la clôture qui enferme une 
grande partie de la vallée de Toluca, qu'on a 
élevée pour s'opposer aux immenses dégâts 
que les troupeaux des Espagnols font aux 
champs des Indiens. Quelques personnes m'ont 
dit que pour travailler à la digue, qui n'a été 
d'aucune utilité, on mit en réquisition tous 
les habitants du pays de trente ou quarante 
lieueîs à la ronde. Cette construction se fit aux 
frais des Indiens, bien qu'ils n'en retirassent 
aucun avantage ; mais il en est toujours ainsi. Il 
ne suffit pas qu'ils fournissent gratis leur tra- 
vail et leur nourriture, ils doiventencore payer 
tous les matériaux qu'ils apportent de chez eux 
pour les travaux publics et autres ouvrages 
semblables. On ne peut estimer la quantité 
de naturels qui périrent et tout ce que leur 
coûta cette construction. Ils achetèrent là 
terre, la pierre, les pieux; enfin ils donnèrent 
leur travail, leur vie, et firent face^à la dé- 
pense pour un ouvrage qui leur éteit inutile, 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 289 

et qui, suivant restimation qu'on en a faite, 
à coûté trois cent mille ducats. On élève à plus 
de deux millions le nombre des ouvriers et 
des maçons qui y furent occupés; car cette 
digue est très-large et l'on y travailla plus 
de quatre mois. Chaque jour il s'y rendait 
une immense quantité de travailleurs qui pas- 
saient toute la journée exposés au froid, dans 
l'eau et dans la boue; la fatigue était excessive; 
ils n'avaient point d'abri ni le jour ni la 
nuit. A la fin de la semaine ils retournaient 
chez eux harassés de fatigue et tombaient 
malades , ce qui en fit mourir un grand 
nombre. 

Eau deTaqueduc. 



Il est inutile de parler des Indiens que 

l'on recrute pour amener l'eau chaque fois 

que se crève l'acqueduc de Chapultepec, qui 

conduit l'eau à Mexico. Jour et nuit , fête ou 

non , on les fait travailler dans l'eau, exposés 
ii. n 



290 RAPPORT SUR LES ClfEFâ 

au froid et sans rétribution j attendu que c'est 
un ouvrage public établi par le gouverne- 
ment des Espagnols. Ce travail , il est vrai, ne 
dure pas longtemps , mais il est très-pénible. 
Telles sont les causes qui ont dépeuplé et 
qui dépeuplent ce pays; car on dérange les 
naturels de leurs habitudes par des travaux 
auxquels ils ne sont pas habitués, par le 
changement de nourriture ou de climat, en 
les forçant d'abandonner leurs maisons et 
leurs familles. Ces travaux sont faits sans- re-» 
lâche et sans ordre; ils y souffrent lu faim, 
le froid , la fatigue, la chaïeur et le vent ; 
couchent sur le sol , en plein air , exposés au 
froid et au serein. Voilà à quoi Ton attribue 
les pestes et les maladies qui les déciment. Ils 
ne sont pas soignés , ne reçoivent aucun se- 
cours , et succombent ie quatrième ou le cin- 
quième jour en regardant la mort comme le 
seul soulagement et le seul remède aux maux 
et aux tourments qui les accablent pendant 
leur vie. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 291 



Cultures. 

On pourrait encore citer d'autres causes de 
la mortalité de ces malheureux Indiens. Je ne 
parlerai plus que d'une seule qui serait suffi- 
sante : c'est la multitude de cultures que pos- 
sèdent aujourd'hui les Espagnols. Il y a quinze 
ou vingt ans on en voyait peu , et la popula- 
tion indienne était plus considérable; on for- 
çait les naturels d'y travailler; ils en souflFraient 
beaucoup, mais comme ils étaient nombreux 
cela était peu sensible. Aujourd'hui que les 
Indiens ont beaucoup diminué, les champs 
sont très-multipliés et très-vastes. Ils sont 
forcés de défricher, de labourer, de faire les 
récoltes et de rentrer les fruits. Tous ces tra- 
vaux pèsent sur le petit nombre qui reste. 
On compte dix fois plus d'Espagnols qui ont 
des héritages , des fermes et des terres , et pas 
le tiers des Indiens qu'on voyait autrefois; 
encore sont-ils fréquemment victimes des épi- 



292 RAPPORT SUR LES CHEFS 

démies qui en enlèvent considérablement, ce 
qui fait que les travaux augmentent pour ceux 
qui survivent. Comme ces corvées sont exces-- 
sivement pénibles, ils abandonnent leurs 
maisons, leurs terres et leurs villages ; gagnent 
les montagnes et les forêts ; errent de côté et 
d'autre pour chercher le repos; mais dans 
quelque endroit qu'ils aillent, ils ne trouvent 
que des peines, la misère et le malheur. 

Il est d'usage que les audiences expédient 
des ordonnances de recrutement adressées à 
tous les chefs, afin qu'ils envoient dû monde 
aux villages des Espagnols et aux territoires 
qui en dépendent, et dans lesquels sont des 
édifices publics, des cultures, des héritages et 
des étables pour les troupeaux. On donne à 
chaque Indien deux réaux et demi ou trois 
par semaine. Il y en a qui viennent de vingt- 
cinq lieues et plus, suivant qu'ils dépendent 
de tel ou tel chef-lieu , et suivant la distance 
des endroits où ils doivent être répartis. Pour 
arriver le lundi, ils sont quelquefois obligés 



DK LA NOUVELLE-ESPAGNE. 293 

de partir de chez eux le mercredi ou le jeudi 
d'avant. On les congédie presque tous le di- 
manche après la messe, ou le samedi soir, lors- 
qu'il ont bien satisfait leurs maîtres. Ils ne 
sont de retour chez eux que le mercredi ou le 
jeudi , quelquefois même plus tard. Beaucoup 
restent en route, fatigués par le travail qu'ils 
ont fait et tout ce qu'ils ont souffert, presque 
sans prendre de nourriture; car les vivres 
qu'ils ont apportés de chez eux n'ont pu leur 
sufiSre pour si longtemps. Us ont été privés 
pendant tout ce temps-là de leurs manteaux , 
puisqu'en entrant dans les établissements où 
ils doivent travailler on les en dépouille sous 
prétexte de les garder en gage dans la crainte 
qu'ils ne s'enfuient. De sorte que pour servir 
pendant une semaine pour deux réaux et de- 
mi ou trois, ils sont obligés de passer quinze 
jours hors de chez eux, et même davantage. 
Gomme les héritages, les constructions, les 
fermes et le troupeaux sont en grand nombre 
'et très-considérables, les audiences accordent 



294 RAPPORT SUR LES CHEFS 

facilement ces provisions. Les corrégidors et 
les alcaldes majors forcent les Indiens à se 
rendre aux travaux y malgré le dommage qui 
en résulte pour eux et la diminution' de la 
population; car ils ne s'occupent qu'à proté- 
ger les Espagnols. C'est en vain que les chefs 
indiens se plaignent et disent qu'ils n'ont 
pas assez de vassaux pour exécuter les ordres 
qu'on leur donne : on les punit pour ces ré- 
clamations^ on les arrête et on les maltraite» 
Les religieux ont beau donner des avis à ce 
sujet, on ne les écoute pas et l'on répond con- 
stamment qu'il faut que les ordres soient 
exécutés, que les Indiens travaillent pour 
les Espagnols. Cette plaie intolérable diminue 
la population , et les Indiens meurent sans 
confession , sans être instruits , n'en ayant 
])as le temps. Plus leur nombre diminue, plus 
leurtravail augmente puisqu'il est reporté sur 
ceux qui restent. Cet abus , joint aux mauvais 
traitements dont on les accable , fait qu'ils 
i*e tournent chez eux l'esprit tout troublé ; 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 295 

enfin pendant l'année entière et même toute 
leur vie ils sont exposés à des calamités renais- 
santes comme les causes qui les produisent. 

Lorsque les Indiens partent de chez eux 
pour travailler aux corvées, ils emportent 
des pains ou des galettes de maïs pour tout 
le temps qu'ils doivent rester. Le troisième 
ou le quatrième jour les pains fermentent, 
se noircissent, s'aigrissent, répandent une 
mauvaise odeur, et les galettes durcissent 
comme des planches. Il faut pourtant qu'ils 
les mangent ou qu'ils meurent de faim. Sou- 
vent leur pauvreté les empêche d'en emporter 
de chez eux, ou bien ils n'ont personne qui 
les leur prépare dans les fermes ou dans les 
autres endroits où on les envoie faire les 
corvées. 

On les oblige de travailler depuis le lever 
du soleil jusqu'à la nuit, exposés au froid ri- 
goureux des matinées et des soirées, qu'il 
fasse du vent ou de l'orage, sans autres ra- 
fraîchissements que ces pains pourris ou ces 



296 RAPPORT SUR LES CHEFS 

galettes trop dures , et encore n'en ont-ils pas 
leur suffisance. Ils couchent sur le sol, en 
plein air, nus et sans aucun abri» Quand 
même ils voudraient acheter de quoi se nour- 
rir au moyen de leur misérable salaire , ils 
ne pourraient le faire, car on ne les paye que 
lorqu'ils ont terminé leur corvée, A l'épo- 
que des récoltes, après qu'ils ont travaillé tout 
le jour , on les charge d'une fanègue de blé ou 
de maïs, qu'ils doivent porter sur leur dos; 
ensuite on leur fait porter l'eau, balayer 
les maisons, transporter les ordures, net-^ 
toyer les écuries, et, à la fin quand ilsontfini, 
on ne leur paye pas même leur journée tout 
entière. Les prétextes ne manquent pas pour 
retenir leur salaire ou leurs manteaux; quel- 
quefois l'un d'eux aura brisé le vase dans le- 
quel ils portent l'eau chez leur maître : alors 
on en diminue la valeur sur le prix de son 
travail , de sorte que ce malheureux Indien 
revient chez lui accablé de fatigue, sans ar-^ 
gent, sans manteau, après avoir consommé 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 299 

Tous les volent et s'engraissent de leurs 
sueurs. Mais on ne peut tout dire, et ce que 
j'ai exposé doit suffire pour faire comprendre 
combien les remèdes sont nécessaires. Lais- 
sons donc une infinité de faits véritables que 
nous pourrions rapporter, soit que nous les 
ayons vus ou que nous les ayons entendu 
raconter à des personnes dignes de foi. 

Jamais les anciens rois et les chefs indiens 
ne les ont gouvernés ainsi ; ils ne les arra- 
chaient pas à leurs villages et ne contrariaient 
pas leurs habitudes ni leurs coutumes. 

Il faut croire que Votre Majesté et les mem- 
bres de votre conseil catholique ignorent ce qui 
se passe, car, s'ils le savaient, ils ordonne- 
raient de prendre les mesures nécessaires pour 
conserver à Votre Majesté ces misérables 
sujets, et l'on ne souffrirait pas que la vo- 
lonté des Espagnols dispose en tout de leur 
existence. Votre Majesté perdra nécessai- 
rement ces royaumes , puisque les Indiens , 
dont le nombre diminue avec la plus grande 



298 RAPPORT SUR LES CHEFS 

sée y ou bien ils auront semé ou labouré trop 
tard, et ne récoltent rien ou du moins tout 
au plus la moitié de ce qu'ils auraient eu si les 
travaux avaient été faits aux époques conve- 
nables. La plupart du temps ils revien- 
nent chez eux mal portants, ne peuvent 
cultiver leurs champs, et par conséquent 
ne récoltent rien ou très-peu de chose , ei>- 
durent la faim toute l'année^ tombent 
malades et meurent eux et leurs familles. 
Ces maladies sont même cause qu'on les pu- 
nit, parce que, sous prétexte que leurs terres 
ne sont pas cultivées par leur faute y on s'en 
empare et on met les propriétaires à 1'*- 
mende. 

Qui pourrait raconter complètement to^ 
les genres de misère et de calamités que sou^ 
frent ces malheureux Indiens, sans se- 
cours, sans protection, persécutés, affligés et 

abandonnés de tous ? quel est l'Espagnol qui 
n'est pas tourné contre eux? quel est celui 
([ui ne les persécute pas et ne les afflige pas ? 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 299 

Tous les volent et s'engraissent de leurs 
sueurs. Mais on ne peut tout dire, et ce que 
j'ai exposé doit suffire pour faire comprendre 
combien les remèdes sont nécessaires. Lais- 
sons donc une infinité de faits véritables que 
nous pourrions rapporter, soit que nous les 
ayons vus ou que nous les ayons entendu 
raconter à des personnes dignes de foi. 

Jamais les anciens rois et les chefs indiens 
ne les ont gouvernés ainsi ; ils ne les arra- 
chaient pas à leurs villages et ne contrariaient 
pas leurs habitudes ni leurs coutumes. 

Il faut croire que Votre Majesté et les mem- 
bres de votre conseil catholique ignorent ce qui 
se passe, car, s'ils le savaient, ils ordonne- 
raient de prendre les mesures nécessaires pour 
conserver à Votre Majesté ces misérables 
sujets, et l'on ne souffrirait pas que la vo- 
lonté des Espagnols dispose en tout de leur 
existence. Votre Majesté perdra nécessai- 
rement ces royaumes , puisque les Indiens , 
dont le nombre diminue avec la plus grande 



300 RAPPORT SUR LES CHEFS 

rapidité, disparaîtront bientôt tout à fait, 
comme c'est arrivé dans toutes les îles, dans 
la grande province de Venezuela, sur toute 
la côte et dans d'autres contrées très-vastes, 
où la dépopulation s'est consommée de nos 
jours. La volonté de Votre Majesté et de son 
conseil royal est manifeste ; les ordonnances 
qui chaque jour sont données en faveur des 
Indiens et pour favoriser leur augmentation 
et leur conservation , témoignent assez quelle 
elle est; mais ces ordres ne sont pas exécutés. 
Ton n'y a point égard, personne même ne 
cherche à s'en instruire : c'est pourquoi la 
ruine des Indiens continue. Que d'ordon- 
nances, que de lettres, de règlements l'em- 
pereur notre maître, que Dieu veuille avoir en 
sa gloire, n'a-t-il pas envoyés? combien de 
dépêches des plus importantes Votre Majesté 
n'expédie-t-elle pas chaque mois, qui toutes 
sont sans résultat? Au contraire, plus les lois, 
plus les ordonnances sont nombreuses, plus 
les Indiens soufiFrent, attendu les mauvaises 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 301 

interprétations et les chicanes que les Espa- 
gnols emploient pour consommer leur des- 
truction. Il me semble, en vérité, que ce mot 
d'un philosophe s'applique bien à notre sujet : 
« Gomme il n'y a pas de santé où il y a beaucoup 
de médecins, disait-il, il n'y a pas de justice 
où les lois sont nombreuses. » Les lois abon- 
dent; nous avons des juges, des vice-rois, des 
gouverneurs, présidents, auditeurs, corrégi- 
dors, alcaldes majors , un million de lieute- 
nants, un autre d'alguazils; de quelle utilité 
tous ces officiers sonfc-ils aux Indiens ? ce n'est 
pas eux qui feront cesser leurs misères ; au 
contraire, plus il y en aura, plus les naturels 
auront d'ennemis qui tous se montreront 
acharnés contre eux. L'amour que l'on porte 
aux magistrats est en raison de la haine que 
ceux-ci portent aux Indiens; alors on les ap- 
pelle les pères de la patrie , les conservateurs 
de la république; on dit qu'ils sont très- 
équitables, très-justes, et plus ils sont oppo- 
sés aux Indiens et aux religieux, plus on les 



302 RAPPORT SUR LES CHEFS 

honore de titres et d'épithètes aussi fausses. 
Si, au contraire, ils se montrent disposés à les 
protéger ainsi que les religieux dont les in- 
térêts sont unis à ceux des indigènes, cela suf- 
fit pour les faire abhorrer de tout le monde. 
On ne désire que les intérêts des Espagnols, 
et l'on considère comme rien la mort et la des- 
truction complète de ces malheureux Indiens, 
de qui cependant dépendent toute la richesse 
et la force du pays. Dieu aveugle donc leurs 
yeux et assoupit leur entendement, puisqu'ils 
ne voient pas ce qui se passe, qu'ils ne com- 
prennent pas que leur destruction marche à 
grands pas; fait qu'ils touchent pour ainsi 
dire à la main, en voyant le peu de cas que 
l'on fait d'eux et combien peu on les protège. 
Un auditeur a osé dire sur son si^e et à 
haute voix, que lorsqu'il n'y aurait plus 
d'eau pour arroser les champs des Espagnols,, 
il faudrait les arroser avec le sang des In- 
diens. J'en ai entendu un autre qui disait : 
« C'est aux Indiens de travailler et non aux 



CE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 303 

Espagnols; qu'ils travaillent et qu'ils crèvent, 
ces chiens ! ils ne sont que trop riches et trop 
nombreux (i). » Ils s'expriment ainsi parce 
<}u'ils n'ont point vu leur misère et leurs 
maux f eux qui ont gagné leurs salaires à 
l'ombre. Us tiennent ces discours pour faire 
la cour aux Espagnols et mériter leur recon- 
naissance ; car tous ces officiers ont des gen- 
dres f des cousins , des parents , des amis ou 
des alliés qui regorgent de biens et qui ont en 
profusion des fermes et des troupeaux dont 
souvent eux-mêmes possèdent la meilleure 
partie : voilà ce qui les aveugle au point de 
dire et de faire ce qu'ils font. 

Sous l'ancien gouvernement les Indiens 
avaient si peu de lois qu'ils les savaient toutes 
par cœur, comme les Lacédémoniens et les 
Scythes. Personne n'osait les violer ; aussi ils 



(i) Un jour que devant un gentilhomme de Mexico je déplo- 
rais les ravages que l'épidémie de 1 786 à 1 787 avait faits parmi 
les Indiens : « £h! Monsieur, me dit-il, il vaudrait mieux qu'il 
n'y en eût pas un seul dans les Indes ! » 

(BoTmiNi.) 



306 RAPPORT SUR LES CHEFS 

beaucoup de caciques et de chefs , par crainte 
de leurs encomenderos, ou pour leur com- 
plaire , disaient qu'ils pouvaient payer les im- 
pôts auxquels ils avaient été taxés , et même 
ils les augmentaient, afin que si Ton vînt à 
faire une diminution, ces impôts restassent 
les mêmes qu'auparavant. 

Plus tard, les anciennes taxes ayant été 
trouvées exorbitantes, l'audience et plusieurs 
visiteurs en établirent de nouvelles et cru- 
rent faire beaucoup en accordant quelques 
dégrèvements ; mais leur insuffisance a 
été cause que les Indiens n'ont cessé d'en 
demander de nouveaux, et cela devait êti^e 
puisqu'on ne s'était pas déterminé à alléger 
ces charges tout d'un coup. Dans quelques 
circonstances on a diminué les impôts; dans 
d'autres non ; quelquefois, on les a augmentés 
et même doublés; enfin ils sont devenus aussi 
forts à peu près qu'ils étaient dans le principe, 
grâce aux ruses et aux fraudes qui ont eu lieu 
dans cette branche de Tadministration. De là 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 307 

vient que les Indiens continuent de faire à l'au- 
dience de fréquents voyages qui leur coûtent 
beaucoup d'argent, souvent même la vie sans 
jamais obtenir justice. 



Mode actuel de taxer les Indiens. 



Depuis quelques années il est d'usage, lors- 
que les encomenderos déclarent que leurs In- 
diens peuvent supporter de plus fortes char- 
ges, parce qu'ils sont très-nombreux, d'or- 
donner qu'on ira les recenser ; et l'audience 
nomme un commissaire. L'encomendero s'ar- 
range pour que ce soit une de ses créatures. 
S'il n'y réussit pas, ou si cette personne ne le 
satisfait pas, il fait en sorte que les Indiens la 
refusent, et il leur fait conseiller d'pn choisir 
une autre, car il ne manque jamais de trouver 
quelqu'un qui leur persuade de choisir tel ou 
tel individu. Enfin , si l'encomendero n'est pas 
satisfait du second commissaire, il agit avec 
lui comme avec le premier, jusqu'à ce qu'il 



306 RAPPORT SUR LES CHEFS 

beaucoup de caciques et de chefs, par crainte 
de leurs encomenderos, ou pour leur com- 
plaire , disaient qu'ils pouvaient payer les im- 
pôts auxquels ils avaient été taxés, et même 
ils les augmentaient, afin que si Ton vînt à' 
faire une diminution , ces impôt3 restassent 
les mêmes qu^auparavant. 

Plus tard, les anciennes taxes ayant été 
trouvées exorbitantes, l'audience et plu3ieurs 
visiteurs en établirent de nouvelles et ornè- 
rent faire beaucoup en accordant quelques 
dégrèvements ,• mais leur insuffisance a 
été cause que les Indiens n'ont cessé d'en 
demander de nouveaux, et cela devait être 
puisqu'on ne s'était pas déterminé à alléger 
ces charges tout d'un coup. Dans quelques 
circonstances on a diminué les impôts ; dans 
d'autres non ; quelquefois, on les a augmentés 
et même doublés ; enfin ils sont devenus aussi 
forts à peu près qu'ils étaient dans le principe, 
grâce aux ruses et aux fraudes qui ont eu lieu 
dans cette branche de 1 administration. De là 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 307 

vient que les Indiens continuent de faire à l'au- 
dience de fréquents voyages qui leur coûtent 
beaucoup d'argent, souvent même la vie sans 
jamais obtenir justice. 



Mode actuel de taxer les Indiens. 



Depuis quelques années il est d'usage, lors- 
que les encomenderos déclarent que leurs In- 
diens' peuvent supporter de plus fortes char- 
ges, parce qu'ils sont très-nombreux, d'or- 
donner qu'on ira les recenser ; et l'audience 
nomme un commissaire. L'encomendero s'ar- 
range pour que ce soit une de ses créatures. 
S'il n'y réussit pas, ou si cette personne ne le 
satisfait pas, il fait en sorte que les Indiens la 
refusent, et il leur fait conseiller d'^n choisir 
une autre, car il ne manque jamais de trouver 
^quelqu'un qui leur persuade de choisir tel ou 
tel individu. Enfin , si l'encomendero n'est pas 
satisfait du second commissaire, il agit avec 
lui comme avec le premier, jusqu'à ce qu'il 



308 RAPPORT SUR LES CHEFS 

parvienne à faire nommer celui qu'il voulait 
avoir. Pour le conserver sous sa dépendance, 
il lui fait considérer qu'il n'a été nommé 
qu'à sa recommandation. Le commissaire se 
fait accompagner d'un interprète et d'un no- 
taire , et part suivi d'un train considérable de 
nègres , de métis , de mulâtres et de chevaux. 
Après avoir signifié ses pouvoirs aux gouver- 
neurs , alcaldes et régidors qui déjà ont été 
avertis, subornés, et la plupart du temps 
achetés par l'encomendero , il fait le recense- 
ment du village, ce qui emploie de trois à 
quinze jours, et même davantage, suivant 
qu'il est plus ou moins considérable. Le com- 
missaire se fait fournir par les habitants tous 
les vivres dont il a besoin, et lorsqu'ayantfini 
son travail il se dispose à partir, on lui en porte 
le compte qu'il paye comme il lui plaît et sou- 
vent pas du tout. 

Le recensement étant achevé, on l'envoie à 
Taudience et Ton fixe la taxe ; mais bientôt les 
Indiens viennent dire que le compte est mal 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 309 

fait et qu'il faut qu'on les dégrève, attendu 
que les contributions qu'on leur a imposées 
sont excessives. On communique leurs de- 
mandes à l'encomendero j le procès dure un 
an, deux ans, plus ou moins, pendant les- 
quels les Indiens continuent de payer suivant 
la taxe. Enfin on leur envoie un autre com- 
missaire pour les recenser de nouveau. Les 
dépenses qu'il occasionne, lui et ses employés, 
et les frais de la procédure , s'élèvent au delà 
du montant de deux années d'impôts, et l'on 
finit par prouver que le recensement a été 
bien fait, parce que la vérification , comme le 
premier travail, est le résultat de l'intrigue et 
de la corruption. Les Indiens ont toujours tort 
et finissent par rester dans les mêmes embar- 
ras où ils étaient dans le principe, après s'ê- 
tre ruinés. Cette manière de procéder fait qu'ils 
sont chargés de tant d'impôts que Dieu seul 
pourrait les en délivrer. Depuis fort long- 
temps, quelque circonstance qui se présente, 
on en profite pour imposer des charges aux 



310 RAPPORT SUR LES CHEFS 

Indiens. Pendant tout le temps que dure le 
recensement, ils fournissent des vivres au 
commissaire et à sa suite. A ces charges s'en 
Joignent d'autres: sous dififérents prétextes, 
dont les Espagnols ne manquent jamais, on 
(ordonne à chaque contribuable marié de payer 
luiit réaux et demi-fanègue de mais, outre un 
réal et demi pour la communauté ; les veufs 
sont taxés à la moitié, et les célibataires qui 
n'ont pas de parents , mais des teiTÎtoires , 
sont imposés de même , ce qui produit les in- 
convénients que j'ai signalés, et beaucoup d^au- 
très dont je parlerai plus loin. Jamais, depuis 
la conquête, on n'a eu égard aux considéra- 
tions dont Votre Majesté parle dans ce para- 
graphe; on n'a pensé qu'à l'avantage des Es- 
pagnols , sans se soucier de la ruine et de la 
destruction complète des Indiens , de celle de 
leurs femmes et de leurs enfants, et Ton n'y 
apporte aucun remède. Enfin , ce qu'ils payent 
aujourd'hui est sans comparaison beaucoup 
]>lus considérable que co qu'ils payaient lors- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 311 

qu'ils étaient infidèles , et leurs maux sont in- 
supportables, tant à cause des impôts que des 
autres circonstances que nous avons signalées. 



Contre les recensements. 



Le recensement a été pour les Indiens une 
chose toute nouvelle ; jamais ils n'en avaient 
vu faire. Cette mesure était inutile pour per- 
cevoir les impôts , puisqu'ils les payaient en 
raison des terres qu'ils possédaient et en masse. 
Tous étaient inscrits, au moyen de leurs pein- 
tures, dans chaque village ou quartier, aussi- 
tôt qu'ils avaient atteint l'âge de cinq ou six 
ans , et l'on effaçait ceux qui mouraient ou 
disparaissaient. Aussi, en général, ont-ils été 
très-mécontents du recensement, à l'excep- 
tion de ceux qui se sont mis à voler les na- 
turels , et qui , sous prétexte du bien pu- 
blic, leur imposent des charges, vont sans 
cesse à l'audience pour faire des réclamations 
et entamer des procès qu'ils voudraient ne 



312 RAPPORT SUR LES CHEFS 

voir jamais terminés , car ils mangent et voya- 
gent comme il leiir plait. Les plaintes sont 
communiquées à l'encomendero, ce qui occa- 
sionne un long délai y surtout s'il a son domi- 
cile éloigné de l'audience. Ils demandent la ré- 
vision du cens tous les trois mois, ou quand 
il leur plaît , sous prétexte qu'un grand nom- 
bre d'habitants sont morts ou se sont enfuis. 
Sur ces dépositions , l'audience s'occupe à éta- 
blir une autre taxe. Pendant qu'elle y travaille 
ils élèvent d'autrea réclamations , on leur 
donne un juge pour les vérifier; nouvelles 
réclamations, nouvelles taxes; et tant que 
durent tous ces délais, le juge prélève un vé- 
ritable impôt par les vivres que les Indiens 
sont ternis de lui fournir; c'est-à-dire dix 
poules , poulets ou œufs par chaque habitant, 
et le reste en proportion. Les Indiens finissent 
par en être pour leurs dépenses ; car lorsque 
le juge paye pour ce qu'il a reçu, ce n'est pas 
à ceux qui l'ont fourni , et les personnes qui 
1 ccoivcnl de lui cet argent le gardent pour 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 313 

elles. Ces agents prélèvent pareillement d'au- 
tres impôts par les présents qu'ils se font 
donner pour les frais de voyage, et de retour 
à l'audience, pour la présentation de nouveaux 
comptes , pour les honoraires des avocats , des 
procureurs, des solliciteurs, des notaires et 
des interprètes ; de sorte que , pendant toute 
l'année, ils ne sont occupés qu'à prélever des 
impots , tandis que les pauvres Macehuales 
travaillent pour y faire face et finissent par 
rester aussi imposés qu'ils l'étaient d'abord, 
que le nombre des habitants soit diminué 
comme ils l'ont allégué dans leurs réclama- 
tions, ou qu'il ne le soit pas. Les maux des 
Indiens, loin de diminuer, ne font qu'aug- 
menter et se multiplier. Comme ceux qui 
font les recensements sont des Macehuales 
parvenus à de petits emplois ou aux charges 
d'alcalde , de régidors ou d'alguazils , et non 
des chefs naturels, c'est à qui d'eux volera da- 
* vantage tant qu'ils exercent leurs charges: et 
si on les remplace, c'est par d'autres qui agis- 



314 RAPPORT SUR LES CHEFS 

sent de même : quelques chefs aussi se condui- 
sent de cette façon. Si on le soupçonne, on ne 
peut s'en assurer, et quand on y parvient ils 
n'ont pas de quoi payer j alors on les condamne 
aux mines ou à d'autres travaux publics, et 
tout retombe sur le village et sur là masâe, 
car leurs impositions sont réparties sur les 
autres. 



Comment on fait les recensements. 



Des encomenderos ont l'habitude , lorsque 
Ton va faire le recensement de leurs villages , 
de nommer quelques chefs de ces villages 
pour accompagner ceux qui font les recense- 
ments. Ces chefs, pour complaire à leurs enco- . 
menderos, ou corrompus par leurs présents, 
ou enfin pour d'autres raisons, emploient 
tous les moyens possibles pour faire paraître 
la population plus considérable qu'elle ne l'est 
en effet. L'encomendero, de son côté, en fait 
(le même, comme j'ai pu m'en assurer dans 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 3f5 

mes visites. J'ai vu amener des habitants d'un 
village voisin, les encomenderos dire que 
ces Indiens étaient venus pour s'établir chez 
eux, et compter ces étrangers comme contri- 
buables du village. Quand le recensement 
était fini , au moment de payer les impôts ou 
à toute autre époque qui leur convenait , ces 
éti^angers quittaient le pays, et toutes les 
charges retombaient sur ceux qui restaient. 

Il résulte un autre inconvénient du recen- 
sement, c'est qu'on prélève les impôts en rai- 
son de la population à l'époque où il a été fait, 
et que tous les jours le nombre des Indiens di- 
minue, tandis que les contributions ne varient 
pas. La législation a prévu ce cas, mais ces 
dispositions ne sont pas profitables aux In- 
diens, parce qu'ils ne savent pas demander 
ce qui leur convient; car ils sont en général 
d'une extrême simplicité, et supportent pa- 
tiemment leur mauvaise fortune. Si quel- 
qu'un d'eux, plus rusé ou plus zélé pour le 
bien public, se plaint, par les moyens que 



316 RAPPORT SUR LES CHEFS 

nous avons rapportés il dépense en procès 
sa fortune et son existence , et l'impôt se per- 
çoit toujours d'après le premier recensement. 
Enfin y soit par les causes que nous avons 
indiquées, soit que le manque d'argent les 
empêche de suivre la procédure , soit que 
l'encomendero corrompe les magistrats, ou 
que les Indiens ne puissent prouver les décès 
survenus parmi eux ou l'absence de ceux qui 
se sont enfUis, par conséquent les erreurs du 
recensement et le véritable état de la popula- 
tion qui diminue pendant les délais dont nous 
avons parlé, toujours est-il que jamais leurs 
réclamations ne sont accueillies. Cependant 
l'impôt court toujours, et les vivants, pour 
qui , attendu leur misère , il vaudrait mieux 
mourir, payent pour les morts et pour ceux 
qui se sont enfuis. S'ils parviennent à obtenir 
qu'on les recense, cela leur devient plus dis- 
pendieux encore, quand même on trouve 
qu'ils sont en moins grand nombre; car on 
ne diminue rien sur les impôts échus, et les 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 317 

contribuables sont forcés de payer ce qu^ils 
ne doivent pas, chose contraire aux droits 
naturel , divin et humain. Comme la diminu* 
tion de la population ne cesse pas et que les 
impôts sont toujours aussi élevés, les procès 
et les recensements se renouvellent sans cesse , 
et les Indiens dépensent au delà du dégrève- 
ment qu'ils demandaient. 

Les encomenderos répondent presque tou- 
jours à ceux qui se plaignent que ce sont des 
rebelles, et ils s'entendent avec les caciques 
et les chefs pour que ceux-ci disent que tous 
en imposent, que le village est content, qu'il 
peut payer l'impôt. Ils demandent qu'une per- 
sonne, que l'on a déjà prévenue, aille s'in- 
former près des habitants. Tout ce que ga- 
gnent les plaignants, c'est de passer pour des 
factieux; on les jett^ plusieurs mois en prison 
où ils meurent de faim et d'abandon. L'cnco- 
mendero les accuse suivant son bon plaisir; 
on les condamne aux mines ou aux fers pen- 
dant un an et plus, on les fouette et on leur 



318 RAPPORT SUR LES CHEFS 

ooupe les cheveux , peine pour eux très-igno- 
minieuse. On les arrache à leur pays et à leur 
famille ; ils perdent leur maison , leurs terres 
et leurs biens; deviennent vicieux et négli- 
gent leurs devoirs de religion. Quelquefois on 
leur fait supporter tous les frais; leurs biens 
sont vendus à l'encan et sous leurs yeux; 
enfin ils succombent de chagrin et de mi- 
sère, sans savoir que dire ni à qui adresser 
leurs plaintes. 

Pendant le recensement on oblige toute la 
population de rester dans le chef-lieu , même 
ceux qui ont été appelés de cent lieues et plus, 
ce qui les force de négliger leurs affaires et la 
culture de leurs champs. Nous avons dit com- 
bien de temps pouvait employer le magistrat 
chargé de cette opération : il peut même la 
faire durer tant qu'il lui plaît, puisqu'il y gai- 
gne de l'argent. Les habitants qui meurent 
pendant que le travail s'achève sont comptés 
comme contribuables, et ceux qui survivent 
doivent payer pour eux. S'ils font des récla- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 319 

mations^ les magistrats les punissent, leur 
ôtent leurs emplois; et s'ils n'en ont pas, ils les 
condamnent à des amendes qu'on prélève sur 
leurs biens , ou les font mourir en prison ; car 
les retards de payements sont à la charge des 
caciques, des gouverneurs, des alcaldes et 
des régidors, offices qui n'ont d'autre utilité 
et d'autre avantage que de donner à ceux qui 
les remplissent plus de facilité pour voler. 

Ils ont trouvé un moyen de ne pas admettre 
les réclamations des plaignants , c'est de leur 
demander leurs pouvoirs. Comme plusieurs 
viennent de cent lieues et davantage , et qu'ils 
sont pour la plupart illettrés, ils ignorent ce 
qu'on leur demande, restent plusieurs jours 
sans savoir que faire et finissent par s'en aller 
sans être entendus. S'ils ne retournent pas 
chez eux , l'encomendero va trouver le gou- 
verneur et les chefs pour leur faire dire qu'ils 
n'ont rien à réclamer ; on arrête les réclamants 
sur ces dépositions, et on les punit. Beaucoup 
d'autres personnes , étrangères à l'affaire , 



320 RAPPORT SUR LES CHEFS 

leur demandent pourquoi ils viennent à l'au- 
dience ; les Indiens, s'imaginant que ces gens 
les interrogent par compassion, répondent 
qu'ils viennent demander un dégrèvement. 
— Faites attention , répondent les question- 
neurs; d'autres sont venus pour les mêmes 
réclamations, on les a fustigés et envoyés aux 
mines , et il vous en arrivera de même. Gomme 
ce sont des gens timides, malheureux et très- 
ignorants, surtout ceux qui vivent loin des 
villes habitées par les Espagnols , et qui sont 
les plus accablés d'impôts parce qu'ils ne sa- 
vent pas se plaindre, aussitôt qu'on leur dit 
de faire attention, ils s'épouvantent, s'en 
vont sans oser parler, et les misérables qui 
en sont cause sont aussi satisfaits que s'ils 
avaient fait un brillant exploit. 

Depuis que la capitation et le cens sont en ' 
usage, on a prélevé les impôts sur les boiteux, 
les aveugles, les estropiés et d'autres malheu- 
reux qui ne peuvent pas travailler et qui 
n'ont pas de moyens d'existence; sur les en- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 321 

fants , les jeunes filles qui ne peuvent se 
nourrir, ce qui est cause d'oÉFenses graves 
envers le Seigneur. Du temps de T idolâtrie, 
tous ces individus étaient affranchis des 
impots. On leur dit , il est vrai , qu'ils 
n'y sotit pas soumis , mais on leà force de 
les acquitter. Il faut alors qu'ils vendent 
ce qu'ils possèdent, ou bien on leur fait 
des frais et on les retient en prison toute 
leur vie. 

Les personnes chargées de recenser les In- 
diens saisissent cette occasion pour vivre dans 
l'oisiveté ; et pour gagner du temps, elles font 
entrer dans le compte les enfants à la mamelle, 
tous ceux qui sont sous la puissance pater- 
nelle, les pauvres, les perclus, les chefs, les 
caciques, les nobles et les magueyes. Comme 
suivant la taxe chacun doit payer un peso, 
on les porte pour pareille somme sur les rôles 
des impositions, encore que les lois disent que 
l'on ne doit y faire figurer que les contribua- 
bles; mais il faut que le total du cens soit 
11. 21 



322 RAPPORT SUR LES CHEFS 

constamment le même. Lorsque Ton fait la 
répartition, ceux qui manquent sont repor- 
tés sur la masse , et les officiers disent que 
tous ayant été comptés, on doit payer pour 
tous. L'encomendero s'en inquiète peu : tout 
ce qui l'intéresse, c'est la perception intégrale 
de son revenu. 

Découvre-t-on qu'ils oiit perçu l'impôt sur 
des personnes qui eu étaient exemptes, ils re- 
jettent la faute sur les chefs et prétendent que 
ces derniers le font pour voler , tandis que la 
rigueur qu'ils mettent à le percevoir int^ra- 
lement en est la seule cause: si bien que do 
quelque façon que cela se passe, le dommage, 
la faute et la punition retombent toujours sur 
les Indiens. 

Outre les inconvénients ci-dessus et d'autres 
encore qui résultent du recensement, on en 
découvre tous les jours de nouveaux. Il en est 
un entre autres non moins grave : les officiers 
qui vont recenser font conduire devant eux 
lesj[)fitrori s employés par les gouverneurs, les 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 323 

alcaldeSy les rëgidors et Te^uitlatos (1) qui 
sont chargés d'établir la population des ar- 
rondissements , et leur font prêter serment 
comme quoi leur compte sera exact , et qu'ils 
n'omettront pas dé (Contribuable^. Lorsque le 
recensement eàt terminé, ils leur èîi font 
prêter un nouveau- Cette formalité eàt cause 
que preâqiiê toujours quelques-und de ces 
officiers se rendent coupables de pftrjure, 
soit dans leur intérêt particulier, soit poln* 
faire face à des déficits de contribuables, 
soit en jurant que des Indiens appartien- 
nent à leurs arrondissements lorsque cela 
n'est pas. Quoique ces faux serments soient 
bien souvent évidents, on n'y prend pasgarde ; 
tout ce qu'on veut, c'est des corltribuables. Il 
se fait aussi beaucoup de parjures lorsqu'il 
s'agit de la qualité ou de la richesse du paye 
et de la population dans les enquêtes qui se 



(i) Tequiii, tribut : lequitlato, officier chargé de la rei^ar- 
tition de l'iinpot. (Alouzo de Moliiia, P^'ocabolario mexicano.) 

(IVote de V éditeur,) 



324 RAPPORT SUR LES CHEFS 

font pour l'encomendero ou pour les Indiens. 
Un religieux très-digne de foi et d^autres 
frères de son ordre qui s'occupent de la con- 
version des Mixes et des Chontales <iui habi- 
tent près d'Oaxaca , m'ont dit que depuis que 
Ton fait ces recensements, tous les Indiens 
étaient convenus de ne pas avoir de rapport 
avec leurs femmes, de chercher les moyens de 
s'opposer à la génération et de les faire avor- 
ter si elles devenaient enceintes. Les religieux 
ayant fait tous leurs efiForts pour leur faii^ 
comprendre leur erreur et l'offense qu'ils fai- 
saient à Dieu, ces gens leur ont répolodu 
qu'ils agissaient ainsi parce qu'ils n'avaient 
pas de quoi payer les impôts, attendu que 
leur population diminuait considérable- 
ment. Ils s'enfuyaient dans les forêts sans 
avoir de demeure fixe, pas même de campe- 
ments ni d'endroit pour les établir. Ils>ne 
voulaient point, disaient-ils , avoir des enfants 
dans la crainte qu'ils ne souffrissent autant 
qu'eux; et parce qu'il leur était impossible de 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 325 

payer autant d'impôts et d'élever leurs fa- 
milles. Comme ces Indiens sont d'une faible 
intelligence, aucun raisonnement ne put dé- 
truire leur erreur. 

Tels sont les principaux inconvénients qui 
résultent du recensement et de l'usage d'impo- 
ser les contributions en argent, et ce ne sont 
pas les seuls à beaucoup près. Ce système est 
opposé à ceux auxquels les naturels étaient 
habitués. Bien que ce mode de perception par 
tète soit conforme au droit, il estmieux, pour 
éviter ces inconvénients et d'autres plus grands 
encore qui peuvent survenir, de renoncer à 
la capitation et de rétablir les taxes suivant 
les anciennes coutumes du pays, que l'on 
rapportera en répondant au paragraphe xv. 

PARAGRAPHE XII. 



alterriy comment l'on a établi cette taxe; si 
» les villages ontété convoqués pour cela; quel- 
» les raisons y ont engagé ; si les habitants y 



32Ç RAPPORT SUR LES CHEFS 

» ont consenti ; comment ih se sont réunis ; 
» comment on a recueilli leur consentement ; 
» s'il a été forcé ou libre. » 



RÉPONSE. 

Voici comment on s'y prend pour fixer 
l'impôt d'un village: l'encomendero de son 
côté^ et le$ tndien$ du leur > font des enquêta 
sur la qualité du territoire , sa richesse ou sa 
stérilité. Les preuves fournies par le pre- 
mier obtiennent toujours la pi'éférenee parce 
qu'il sait mieux les établir. On fait le recense-* 
ment du village comme nous l'avons dit, et 
pour cela on assigne le gouverneur, les alcal- 
des et les régidors, qui n'entendent rien à ces 

affaires, ou qui, s'ils sont au courant, sont 
fort embarrassés pour répondre, et consen- 
tent à tout ce que l'on veut. Non-seulement 
on ne se proi^ure pas le consentement du vil- 
lage, mais encore on refuse d'écouter les ob- 
jections des habitants. Toutes leurs opposi- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 327 

tions sont sans efiet , ne font que leur attirer 
des frais , des procès , et finissent par les rui- 
ner. Il en résulte tous les maux que nous 
avons exposés. Les réponses aux autres para- 
graphes font voir clairement ce qu'il y a à dire 
sur celui-ci ; c'est pourquoi , sans m'étendre 
davantage, je dirai seulement qu'on ne pens6 
aujourd'hui qu'au bien des Espagnols , et que 
Ton convoque les habitants des villages pour 
les recenser sans leur rien communiquer. 
Lorsque cette opération est achevée, l'on en 
porte le résultat à l'audience : la taxe s'établit 
sans consulter le village qui, par conséquent, 
ne donne pas son consentement; tout se fait 
avec violence, contre la volonté des habitants, 
et seulement sur les dépositions des encomen- 
deros ou d'un Indien qui ne comprendra rien 
aux affaires. 



PARAGRAPHE XlII. 



c( Si en fixant la taxe on a eu soin de mé- 



328 RAPPORT SLR LES CHEFS 

» nager les Indiens et de leur laisser suffisam*- 
» ment pour marier leurs enfants , les élever , 
» se nourrir eux et leurs familles ^ pourvoir à 
» leurs besoins^ aux frais de leurs maladies 
» et acquérir quelque aisance par leurs tra- 
» vaux et leurs économies. Si les auteurs de 
» la taxe n'y ont pas eu égard, mais seulement 
» à ce que les Indiens pussent payer ce qu'on 
» exigeait d'eux. » 

RÉPONSE. 



Jamais on n'a pris en considération ce qui 
est exposé dans ce paragraphe. A l'exception 
(le quelques marchands ou chefs, toute la for- 
t une d'un Indien n'équivaut pas au montant 
lie ses impôts. Il y en a un très-grand nombre 
dont le bien ne s'élève pas à un peso et qui ne 
vivent que de leur travail journalier; il ne 
leur reste donc pas de quoi marier et même 
cMitretenir un enfant. Ce manque de moyens 
est cause que beaucoup de jeunes gens des 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 329 

deux sexes se marient clandestinement ou 
passent toute leur vie dans le concubinage, 
leurs parents n'ayant pas quatre ou cinq réaux 
à dépenser, A peine leur reste-t-il de quoi vi- 
vre sur leurs récoltes ; car ils ne possèdent 

* 

que cela pour pourvoir à leur nourriture, à 
leurs vêtements et à leurs besoins les plus im- 
périeux. Us ont la plus grande peine à se 
vêtir eux et leurs enfants; beaucoup même, 
n'en ayant pas le moyen, ne vont ni à la 
messe, ni au catéchisme. Un grand nombre 
sont désespérés parce qu'ils ne peuvent se 
nourrir ni eux ni leurs familles. Ils sont ab- 
horrés, abandonnés de tout le monde, et, 
comme ils ne peuvent pas travailler, ils man- 
quent de nourriture et d'asile. Ils n'ont pas 
même de quoi faire du feu, ce qui est pour 
eux un des premiers besoins, cat* ils n'ont ni 
habillements ni domicile ; mais ne pouvant 
aller chercher du bois, ils en sont privés 
comme de tout. En faisant une tournée, j'ai 
appris que des Indiens s'étaient pendus après 



330 RAPPORT SUR LES CHEFS 

avoir dit à leurs femmes et à leurs voisins 
qu'ils le faisaient parce qu'ils n'avaient pas le 
moyen de payer des impôts aussi élevés et de 
se nourrir. Étant à Mexico, on m'a dit qu'une 
fille de Moctezuma, qui était gravement aflFec- 
tée d'une maladie dont elle mourut , couchait 
sur une natte, et qu'elle n'aurait pas eu de 
quoi manger si on ne lui avait envoyé des 

aliments du couvent de Saint-François. C'était 

» 

cependant une femme de qualité. Ces misérea 
sont inconnues aux officiers qui vont visiter 
le pays; ils n'ont pas même le soin de 8*en 
informer ; ils se contentent de gagner chez 
eux, et à l'ombre, leurs salaires et la bien-^ 
veillance dii peuple ; ils se moquent de ceux 
qui leur parlent de ces infortunes, attribuent 
ces rapports à la présomption et les regardent 
comme exagérés. 

Enfin les Indiens ne sont pas taxés suivant 
leurs moyens. Même à leur lit de mort, on 
perçoit les impôts. C'est une pitié de voir 
tout ce qui se passe à ce sujet, et combien \sk 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 331 

manière dont on se conduit est opposée aux 
ordres de Votre Majesté. 

PARAGRAPHE XIV. 

« Item, vous vous informerez quelle est la 
» classe des Indiens qui paye des impôts aux 
» Espagnols; s'il n'y a que les laboureurs, 
» si les marchands , les employés et d'autres 
» personnes sont imposés ; si les contribuables 
» sont riches ou pauvres; quelle est leur for- 
» tune et leurs raovens de paver. » 



RÉPONSE. 

Le$ nobles sont soumis a^ùx charges publiques. 

Par ce qui est dit plus haut, nous avons 
déjà répondu à ce paragraphe particulière- 
ment en traitant le quatrième, où nous di- 
sons qu'aujourd'hui tous les Indiens sont 
imposés, que les chefs "et les nobles sont de- 
venus contribuables. Autrefois, non seu- 



332 RAPPORT SUR LES CHEFS 

lement ils étaient affranchis d'impôts, mais 
encore c'était à eux que le peuple.payait. Enfin 
tous, si ce n'est un fort petit nombre, con- 
tribuent et font les corvées publiques. Ce que 
nous avons dit en traitant le treizième para- 
graphe où l'on expose que tous les Indiens 
sont malheureux et dans la misère, a répondu 
a la question qui termine celui-ci. 



PARAGRAPHE XV. 

« Ces informations étant faites, si par ha- 
» sard on pensait qu'il fut convenable , pour 
» décharger la conscience de Sa Majesté, de 
» donner de nouveaux ordres relatifs aux im- 
» pots , je vous somme tous d'envoyer vos 
» avis sur ce que vous pensez qu'il soit con- 
» venable de faire , après les avoir communi- 
» qués aux religieux et aux autres personnes 
» honorables et consciencieuses, en déclarant 
» quel est le montant des impôts que l'on peut 
» exiger pour que les Indiens puissent vivre 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 333 

» en paix , protégés par la justice , dans notre 
» sainte foi catholique, et que, d'un autre côté, 
» les Espagnols jouissent des revenus conve- 
» nables pour qu'ils puissent défendre le pays 
» et propager la religion et la bien protéger. 
» Vous ferez savoir quelle est la règle à suivre 
» pour la répartition de cette somme entre les 
» villages et quel est le système de perception 
» le moins préjudiciable aux Indiens. » 

Pour que la réponse à ce paragraphe soit 
plus intelligible, j'y ajouterai l'avant-dernière 
partie du paragraphe seize. 



PARAGRAPHE XVL 



« .... Attendu qu'il nous a semblé conve- 
» nable que l'impôt soit fixe, et non plus ou 
» moins élevé comme il est aujourd'hui où il 
» varie suivant les moyens des Indiens; at- 
» tendu qu'il paraît injuste qu'ils payent tout 
» ce qu'ils peuvent, ce que l'on peut exiger des 
» esclaves et non pas des hommes libres, et 



334 RAPPORT SUR LES CHEFS 

» qui est contraire aux intentions deSa Majesté 
» qui veut par ses lois que les imp6ts soient 
» modérés et moindres que du temp^ que les 
» Indiens étaient infidèles » 



RÉPONSE. 

Ce& paragraphes contiennent plusieurs ar- 
ticles qui exigent des réponses mûrement ré- 
fléchies j on y remarque le saint zèle de Votre 
Majesté, de l'empereur notre maître et de son 
conseil royal. Ce que j'ai déjà exposé prouvera 
combien la manière d'agir des administrateurs 
y est opposée en tout, surtout à l'égard des 
impôts. Quant aux recherches recommandées 
par Votre Majesté à chacun des au4iteurs 
pour savoir ce qu'il fallait faire à l'égard des 
questions que contiennent ces paragraphes, 
et des informations qu'ils devaient prendre de 
concert avec les religieux et d'autres person- 
nes, j'ai fait ce que j'ai pu pour m'instruirc 
de ce que j'ai avancé. Je me suis informé très 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE» 335 

en détail de chaque chose, mais je n'ai pas 
été présent aux travaux qui ont eu lieu à l'au- 
dience des frontières, ni à celle de Mexico, et 
je n'ai pas pris part aux avis qui ont été en- 
voyés à Votr^ Majesté ; car j'étais absent à cette 
époque comme je l'ai dit au commencement 
de mon rapport. 

Dans les trois réponses au paragraphe x , 
j'ai dit quel était l'ordre suivi par les Indiens 
du temps de leur idolâtrie pour la répartition 
et la perception des impôts. En répondant au 
paragraphe xi, j'ai rapporté les règles que 
l'on avait suivies quelques années après que 
les Indiens se sont soumis à Votre Majesté, et 
j'ai fait sentir les inconvénients qui résultent 
de l'usage actuel et du recensement que l'on 
fait pour les impôts. De plus, il paraît injuste 
de taxer uniformément les pauvres et les ri- 
ches, encore qu'il y ait à la vérité peu de dif- 
férence dans les fortunes des Indiens. 

Avant de continuer , je ferai quelques ob- 
servations sur les dispositions prises par Votre 



336 RAPPORT SUR LES CHEFS 

Majesté dans cette circonstance. Elle ordonne 
d'acquitter envers les caciques et les chefs 
naturels les contributions et les prestations 
personnelles qu'on leur devait avant la con- 
quête, pourvu toutefois qu'elles ne fussent pas 
injustes, exorbitantes ou tyranniques, et dans 
ce cas , elle prescrit d'établir une taxe et de les 
diminuer : autre part Votre Majesté ordonne 
de fixer les impôts payables aux encomende- 
ros , de sorte qu'ils puissent vivre à leur aise , 
sans néanmoins faire tort aux Indiens, sans 
les vexer, et en respectant les dispositions 
établies en leur faveur. Votre Majesté a or- 
donné pareillement que les impôts soient mo- 
dérés et moindres que du temps de l'idolâtrie, 
afin que les Indiens connaissent le désir 
qu'elle a de les protéger. Ceci parait une 
contradiction, car si l'on paye aux caci- 
ques ou aux chefs ce qui leur est dû , et aux 
encomenderos les contributions fixées par les 
taxes, comment les impôts que devront les 
Indiens seront-ils plus légers que ceux qu'ils 



DE lA XOLIVKIXE-KSPAGNK. 337 

payaient à ces caciques et à ces chefs avant 

i 

la conquête; ne seront-ils pas doublés? 

Votre Majesté a ordonné aussi que les taxes 
ne se feraient pas d'après la richesse des vil- 
lages en masse, mais bien d'après la qualité, 
la richesse,, la fertilité de chacun d'eux en 
particulier, afin de répartir les impôts avec 
plus d'équité , et pour que l'on puisse faire 
savoir à chaque Indien ce qu'il doit, et qu'on 
ne les taxe pas au-dessus de leurs forces. 
Quant aux contributions en nature, elle dé- 
fend de les imposer en objets qui soient pour 
eux une cause de ruine, mais en produits de leur 
sol ou du territoire voisin , et qu'ils puissent 
payer sans peine. Elle veut que ce soient des 
produits du sol, ou de leur industrie, suivant la 
qualité du village ou les mœurs des habitants; 
que ces objets soient tout au plus de trois espè- 
ces, non indéterminées, mais précisées ; que 
l'on fasse attention qu'ils ne payent pas tout ce 
qu'ils peuvent, qu'au contraire ils puissent 

s'enrichir plutôt que de s'appauvrir , et qu'il 
11. 22 



338 RAPPOtlT SL'K LES CHEFS 

leur reste de quoi pourvoir aux frais de leurs 
maladies^ à leurs besoins, au mariage de leurs 
enfants; qu'on les soulage, qu'on veille à leur 
conservation , à l'accroissement de la popula- 
tion , à la propagation de la foi ; que les audi- 
teurs visitent continuellement le pays à tour 
de rôle, qu'ils soient chargés de taxer ceux 
qui ne le sont pas , et de dégrever ceux qiii le 
sont trop j que l'on observe avec soin toutes 
ces instructions qui sont pour le plus grand 
service de Dieu et de Votre Majesté. 

L'empereur considérant la gravité de cette 
matière, a prescrit, par une ordonnance 
royale, aux personnes chargées d'établir la 
taxe dans les provinces , de se réunir toutes , 
et de faire préalablement célébrer avec solen- 
nité une messe du Saint-Esprit pour qu'il 
éclaire leur âme et leur accorde la grâce de 
voir avec rectitude et de faire équitablement 
ce dont ils sont chargés. Après la messe, 
ils doivent prêter un serment solennel entre 
les mains du prêtre par lequel ils s'enga- 



bE*LA iNOUVKLLE-ESPAGNE. 339 

gent à s'acquitter de leur emploi avec zèle 
et fidélité , puis visiter les villages en 
personne, s'assurer du nombre des habi- 
tants qu'ils contiennent, reconnaître la na- 
ture du sol^ et, après s'être bien informé 
de ce que les naturels peuvent payer avec 
justice et sans efFort en raison du droit de sou- 
veraineté, le déclarer et le modérer suivant 
que Dieu et leur conscience le leur inspirera. 
Pour bien faire comprendre combien l'em- 
pereur attachait d'importance à cette opé- 
ration, il défend par d'autres ordonnances 
d'expédier pour cela des juges-commissaires, 
de rien percevoir au-dessus de la taxe et 
de changer la nature des objets , quand bien 
même les Indiens y consentiraient. Des peines 
nombreuses sont établies en cas de contraven- 
tion, et même la confiscation des Indiens: 
toutes ces dispositions n'empêchent pas néan- 
moins qu'on ne viole ses ordres. 

Votre Majesté a pris plusieurs fois de nom- 
breuses mesures dans cette intention, par 



;i40 UAPPORT SUR LES CHEFS 

ses ordonnances royales, ses lettres et ses 
instructions, tantôt adressées à un gouverne- 
ment, tantôt à un autre, outre celles qui ont 
été imprimées à Mexico. J'en ai un grand 
nombre entre les mains d'où j'ai extrait ce qui 
a le plus de rapport à cette matière. Ces dis- 
positions sont très-justes, très-nécessaires; 
Votre Majesté y prévoit un grand nombre de 
cas particuliers, c'est pourquoi je me suis at- 
taché à rechercher comment il fallait s'y pren- 
dre pour les accorder toutes. Quelquefois^ 
voyant les inconvénients qui se présentent 
dans toutes ces affaires, j'aurais voulu éviter 
de répondre à ce paragraphe; car, bien que 
toutes les dispositions qui s'y rapportent 
soient très-saines et très-nécessaires, il sem- 
ble impossible de les observer toutes; mais 
voulant obéir aux ordres de Votre Majesté, 
remplir mon devoir et m'acquitter de mon 
service envers elle, je me suis décidé à don- 
ner mon avis tel qu'il fût. 

Eli général, dans toutes les Indes, quoi- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGiVE. 341 

qu'on ait cherché à dire le contraire , les ra- . 
ces indigènes diminuent et disparaissent, par 
suite du désespoir que causent aux Indiens 
les impôts, la manière de les percevoir, l'im- 
possibilité où ils sont de se nourrir et d'élever 
leurs enfants, ce qui les force de les abandon- 
ner malgré toute la tendresse qu'ils leur 
portent. Ils quittent leurs maisons, leurs 
champs qui, à la vérité, sont de peu de va- 
leur, et passent dans d'autres pays, rôdant 
sans cesse d'une contrée dans une autre, où 
bien ils se cachent dans les forêts où les tigres 
et les autres bêtes féroces les dévorent. Beau- 
coup se sont pendus de désespoir, comme j'ai 
pu m'en assurer dans mes tournées; il est 
donc impossible de prendre des dispositions 
qui fixent les impôts à tout jamais, et il est 
évident que l'on doit faire des visites annuelles 
afin de les diminuer, et qu'il n'y a pas de 
retard à apporter à cette mesure. On a déjà 
signalé les inconvénients qui résultent de l'é- 
lat actuel des choses. Si l'on n'adopte pas les 



'{42 RAPPORT SUR LES CHEFS 

réformes que je propose, le peu d'Indiens qui 
restent continueront à payer pour ceux qui 
ont figuré dans le recensement, tandis qu'un 
grand nombre des contribuables sont morts 
ou ont pris la fuite, ce qui occasionne les maux 
continuels que souffrent ceux qui sont restés. 
Nous avons dit que les Indiens ne pouvaient 
supporter de grands travaux; que leurs fai- 
bles récoltes sont à peine suffisantes pour les 
nourrir pendant une année, car ils n'ont pas 
les moyens de cultiver au delà du territoire 
auquel peuvent travailler leurs femmes et 
leurs petits enfants; cependant, terme moyen, 
on prélève tous les ans sur leurs récoltes une 
(lemi-fanègue pour les impôts, malgré les or- 
dres de Votre Majesté qui les en affranchit 
dans les mauvaises années, d'où il résulte de 
grands abus. Cette demi-fanègue , qui semble 
être peu considérable, l'est J)eaucoup pour 
eux, car leurs récoltes sont trcs-modiques ; le 
mais doit fournir à leur subsistance et à leur 
habillement, et s'ils n'en récoltent pas, ils 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 343 

n'ont pas le moyen de se nourrir et de s'ha- 
biller. Alors ils meurent de faim ou mangent 
des herbes , des racines et des fruits sauvages 
qui les font tomber malades et leur donnent 
la dyssenterie. Le manque d'abri est aussi une 
cause de mortalité, car la masse du peuple 
n'est vêtue que d'un misérable manteau et ne 
possède qu'une natte pour se coucher, quel- 
ques poules et une pierre qui leur sert à mou- 
dre le maïs pour faire leur pain qui est leur 
aliment journalier. Cela peut valoir au plus 
dix pesos ; encore tous n'en possèdent- ils 
pas autant, de sorte que le travail de leurs 
mains doit seul fournir à leur nourriture, à 
celle de leurs enfants et à payer les impôts. 



L'impôt en argent est vexatoire pour les Indiens. 

Il est aussi très-préjudiciable d'exiger les 
impôts en réaux monnayés, car, à l'exception 
des naturels qui vivent dans les villages rap- 
prochés des Espagnols et près des grandes 



'MA RAPPORT SUR LES CHEFS 

routes, qui cultivent du cacao, du coton, 
des fruits et qui fabriquent des étoffes , tous 
les autres manquent de numéraire. Il y a des 
contrées où les habitants n'ont pas même vn 
ini réal. 11 est donc nécessaire qu'ils aillent 
s'en procurer loin de chez eux, et pour cela il 
faut qu'ils quittent leur famille, qu'ils fassent 
trente, quarante lieues et plus dans des pays 
de température diflFérente de celle de leurs 
villages, et sans vivres pour se nourrir. Sou- 
vent ils meurent dans ces voyages, ou bien, 
accablés de désespoir, ils ne veulent plus re- 
tourner chez eux, vivent dans le concubi- 
nage, s'adonnent aux vices et abandonnent les 
charges à leurs pauvres femmes et aux autres 
naturels qui ne peuvent les acquitter parce 
qu'ils ne savent où se procurer du numéraire* 
S'ils n'ont pas de biens dont la vente puisse 
couvrir le montant des impôts et les frais, ils 
sont incarcérés et vendus aux Espagnols pour 
trois , quatre mois ou davantage , suivant 
la somme ou les corvées qu'ils doivent, sans 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 345 

qu'aucun d'eux comprenne pourquoi. Les 
impôts étant au-dessus de leurs moyens, ce 
malheur arrive même à ceux qui ont quelques 
biens. Les Espagnols qui achètent ces Indiens 
leur font des avances d'argent, d'étoffes ou de 
cacao , et finissent par les garder toute leur 
vie. Ils payent quelque faible somme à l'enco- 
mendero pour compenser la perte qu'il éprou- 
verait par l'esclavage de ses Indiens, ou bien 
on reporte sur les autres ce que ceux-ci lui 
auraient payé. 



Le numéraire que Von frappe ne suffirait pas pour acquitter 

l'impôt. 



Une difficulté très-grave s'oppose à la pei^ 
ception de l'impôt en argent : c'est que tous les 
jours les mines s'épuisent, et le peu d'argent 
qu'on en retire est expédié en Espagne, L'hô- 
tel de la monnaie de Mexico fabrique moins 
de numéraire qu'autrefois; une gi^ande par- 
tie est envoyée dans le Guatemala en échange 



**}46 RAPPORT SUR LES CHEFS 

du cacao que les marchands exportent (ce 
produit forme une branche importante du 
commerce des Indiens) au Yucatan et dans 
d'autres provinces pour des achats de cire, de 
manteaux et d'axi que l'on envoie en Espa- 
gne sur les flottes et les navires du commerce* 
On en expédie beaucoup aussi pour Votre 
Majesté, pour le commerce, pour le compte 
des particuliers, sans compter ce qu'emportent 
les passagers. On finira par ne plus voir un 
réal entre les mains des Indiens , et Ton sera 
obligé de commercer et de payer les travaux 
avec du cacao. Les naturels n*auront plus de 
numéraire pour acquitter les impôts et pour 
faire face à leurs autres dépenses ; le peu d'ar- 
gent monnayé qui reste aujourd'hui chez eux 
disparaîtra bientôt puisqu'ils payent bien au 
delà de ce que l'on frappe à Mexico. Ce résul-. 
tat sera désastreux pour les naturels , car ne 
pouvant s'en procurer, le commerce du Gua-. 
temala et du Yucatan seront ruinés faute 
d'argent. La perception des impôts occasion- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 347 

liera dans ces provinces les inconvénients 
dont nous avons parlé. L'obligation de con- 
tribuer en numéraire est une des plus grandes 
calamités que les Indiens aient souflFertes et 
qui les frappe tous, sans compter que cette 
mesure est opposée aux règlements de Votre 
Majesté qui ordonnent que les impots soient 
acquittés en produits des villages. Outre qu'on 
n'observe pas ces dispositions , les contribu- 
tions sont exorbitantes et très-préjudiciables 
aux Espagnols et aux Indiens qui marchent à 
leur ruine en cherchant à se procurer du nu- 
méraire qui même ne suffit pas. 



Mesures à prendre pour régler le montant de Vimpôt 

et la répartition. 



11 faudrait d'abord que les quatre chambres 
de l'audience, sans exception, suspendissent 
le jugement des procès, et que tous les audi- 
teurs s'occupassent de visiter les villages , s'as- 
surassent de la nature du sol, de sa fertilité, 



'{48 RAPPOKT SUR LKS CHEFS 

des fruits qu'il rapporte, de la distance de la 
capitale et de la population de chacun ; ce que 
l'on pourrait faire par les moyens proposés, 
sans recenser les Indiens , attendu les incon- 
vénients qui en résultent. On s'instruirait de 
leurs mœurs, du genre d'industrie qu'ils exer- 
cent, de la richesse de chaque pays. On con- 
naîtrait les chefs naturels, les seigneurs et les 
nobles, ce qu'ils retiraient de leurs seigneu- 
ries ou de leurs charges, et l'on se conforme- 
rait aux ordres de Votre Majesté à ce sujet. 
Ou verrait quelles sont les personnes exemp- 
tées des impôts, et on observerait à leur 
égard les anciens usages. Ce travail, il est 
vrai , exigerait du temps et des dépenses j mais 
il est fort important par les raisons que nous 
avons données , et ne présente aucune diffi- 
culté; car les faits sont notoires pour les In- 
diens qui, pour la plupart, les proclament 
hautement et se gardent de les perdre de vue», 
Il sera trcs-facile ensuite de régler les contri- 
bulions en convoquant les habitants du vil- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 349 

lage, rencoraendero et les officiel^ de Votre 
Majesté , tels que le procureur-fiscal et les au- 
tres employés du trésor royal , pour nommer 
des personnes qui devront les représenter 
dans ces opérations. Ceci n'exigerait pas de 
frais, puisqu'on est dans l'usage de nommer 
des commissaires pour accompagner les visi- 
teurs. Ainsi on fixera le chifire de l'impôt sur 
les connaissances qu'on aura acquises des con- 
tribuables à qui l'on communiquera les opé- 
rations, afin qu'ils soient au courant de ce 
qu'ils doivent payer. Il n'en résultera aucun 
retard, et les charges seront acquittées à des 
époques fixes. Si Votre Majesté le trouve bon, 
on fixera à quatre ou cinq ans la durée de la 
taxe. Cette époque étant révolue, et si Ton en 
sent la nécessité, on en établira une nouvelle, 
car ce temps suffira pour voir si la popula- 
tion indienne augmente ou diminue, et s'il 
s'élève quelque circonstance qui empêche les 
naturels d'acquitter les contributions, telle 
que les mauvaises récoltes ou les épidémies : 



350 ItAPPORT SUR LES CHEFS 

(lans ce cas ils pourront le faire savoir à Fau- 
dience , afin qu'elle y pourvoie d'après les rè- 
glements de Votre Majesté* 



Moyen de prérenir les embarras qu'entraiaent les recours 

à l'audience. 



Les réclamations à l'audience occasionnent 
les inconvénients que voici : ou les Indiens ne 
peuvent faire les frais des enquêtes qu^on leur 
demande, fournir les avis, ni donner les pou- 
voirs pour autoriser a faire les démarches né- 
cessaires pour s'assurer de la vérité de leurs dé- 
clarations tendant à obtenir un d«:;rèvement, 
ou bien, pendant les délais que ces formalités 
entraînent, le terme court, et les officiers de 
Votre Majesté ou les encomenderos perçoivent 
intégralement les impôts. Votre Majesté de- 
vrait ordonner au corrrçidor, à Talcalde- 
major ou au missionnaire chargé de Finstruc- 
tion des Indiens, de prendre des informations 
(Kiiir savoir si la stérilité ou les mauTaises an- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 35 1 

nées empêchent de payer les impôts ; ce serait 
le moyen le plus facile, le plus prompt, le 
moins coûteux et le plus ce!rtain d'éviter aux 
Indiens les pertes qu'ils éprouvent quand ils 
sont en réclamation» 



H faudrait charger les chefsindiens de la répartition 

de l'impôt. 



La quotité de l'impôt étant réglée en raison 
de la richesse du territoire et de la population 
des villages, la répartition ne se ferait pas 
par tête. Oh chargerait les chefs naturels des 
villages de le diviser entre les contribuables, 
suivant leurs anciens usages ; car ils connais* 
sent parfaitement les moyens de chaque ha- 
bitant; et, s'il est nécessaire , cette opération 
se ferait tous les ans. Lorsqu'elle serait ter- 
minée ils en communiqueraient le résultat au 
corrégidor ou au lieutenant du village, et 
à leur défaut à l'officier le plus voisin, ou 
bien à l'audience qui, en présence de l'au* 



;{52 ivAiPonr suu lks chefs 

ditcur qui aura lait la visite et la taxe, con- 
trôlerait la répartition, corrigerait les abus 
s'il en existe , ou , dans le cas contraire, don- 
nerait son approbation , ordonnerait Texécu- 
tion, ou ferait recommencer ce travail si elle le 
trouvait nécessaire. En fixant les impôts, onde- 
vra prendre soin que chaque contribuable ma- 
rié ne soit pas imposé à plus de quatre réaux, 
et les célibataires à la moitié, dans le cas où ils 
les payeraient en argent, système dont nous 
avons fait ressortir les inconvénients. Cet 
impôt est suffisant : on le divisera en quatre 
|>ayements exigibles par trimestre. Comme 
Tordre présidera à la perception. Votre Ma- 
jesté et les encomenderos recevront davan- 
tage et les Indiens seront moins vexés. 



Les opérations seront communiquées aux Indiens. 

Apres que la répartition aura été approuvée 
dans les fonues que je viens de proposer, on 
réunira tous les habitants a l'église, tous les 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 353 

jours de fête, on les appellera par leurs noms 
et on leur en fera savoir le résultat, c'est-à- 
dire le montant de l'impôt et ce que chacun 
doit payer dans toute l'année, qu'il y ait plus 
ou moins de contribuables. Cette formalité se 
remplira en présence du corrégidor, du lieu- 
tenant, du religieux ou du prêtre chargé de 
les instruire. On les préviendra que si , après 
avoir payé les impôts auxquels leur village a 
été taxé, il existait un excédant, ce serait pour 
la communauté ; qu'en cas de déficit ils se- 
raient tenus de le remplir avec les fonds res- 
tant des années précédentes, et que s'il n'en 
existait pas , tous se cotiseraient pour y faire 
face. Il est nécessaire de s'y prendre ainsi 
pour faire connaître aux Indiens d'une ma- 
nière certaine ce qu'ils ont à payer. Par cette 
mesure on évitera les procès, les dépenses 
qu'ils entraînent, ainsi que les recensements 
et les frais qu'occasionnent les visiteurs qui en 
sont chargés. En cas d'épidémie ou de mau- 
vaises récoltes, nous avons dit qu'on s'adres- 



354 RAPPORT SUR LES CHEFS 

serait à l'audience pour qu'elle y remédie. 
Les visites et les taxes ne devraient être 
faites que par des auditeurs. Ces officiers, à la 
vérité, peuvent aussi commettre des négligen- 
ces y mais il est à croire qu'ils s'en acquitte- 
ront avec plus de soin et de fidélité que les 
personnes que l'on a coutume de commission- 
ner pour cela, ce qui occasionne bien des dés- 
ordres. 



Inutilité des recensements. 



11 n'est pas nécessaire pour établir la taxe 
de foire des recensements ; on peut connaître 
la force de la population par les patrons des 
villages, les collecteurs des quartiers, les re- 
ligieux ou les missionnaires : on évitera les in^ 
convénients dont j'ai parlé , les retards et les 
frais qui en résultent. On fixera la taxe en rai-» 
son de la population et de la richesse des vil- 
lages, et on abandonnera la répartition au 
chef ou cacique. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 355 

On ordonnera que les contributions soient 
recueillies dans la maison commune^ qui sera 
fermée à trois clefs ; et s'il y a du numéraire, on 
le versera dans une caisse à trois clefe, dont 
une sera remise au gouverneur ou au chef na- 
turel, la seconde à un alcalde, et la troisième 
à un régidor. Les clefs de la maison commune 
seront confiées l'une à l'alcalde et les deux 
autres aux deux majordomes qui existent 
ordinairement dans les villages, chacun la 
sienne. Dans la caisse sera déposé un livre qui 
contiendra l'état des contribuables année par 
année, le montant de l'impôt, l'entrée et la 
sortie dés fonds et des contributions en nature 
qui auront été emmagasinées dans la maison 
commune ; la cause de ces mouvements , d'a- 
près quels ordres il s ont été opérés , ce qui a 
été payé à l'encomendero, la nature et la 
date de ce payement, à qui il a été fait, et ce 
qui reste en caisse ou dans la maison com- 
mune. 



356 RAPPORT SUR LES CHEFS 



L'eiicoinendero ne pourra résider dans les rillages. 



' II sera défendu à rencomendero, ou à qui^ 
conque lui appartenant ^ d'entrer jamais daBS 
les villages 9 excepté à l'époque du payement 
des impositions , où il pourra venir ou en- 
voyer quelqu'un^ mais sans néanmoins avoir 
droit d'y résider plus de trois jours , qui ne 
commenceront que lorsque les contributions 
seront encaissées dans la maison commune. 
Les personnes chargées de la perception de- 
vront la faire à l'époque fixée, en avertissant 
les contribuables quinze jours d'avance à l'é- 
glise ^ en choisissant pour cela detix ou trois 
jours de fête, afin que les Indiens sachent ce 
qu'ils ont à payer et quel jour les percepteui*s 
seront dans le village. Ces derniers seront te- 
nus de payer les vivres qu'on leur fournira. 
Les impots devront être perçus dans le chet- 
lieu, où on les remettra àrencomendero,qui 
les transportera à ses frais où bon lui sem- 



DE LA NOUVELLEHBSPAGNE. 357 

blera, sans pouvoir les faire porter aux In- 
diens. Quiconque violera ces dispositions sera 
puni. A aucune époque, rencomendero n'aura 
droit d'aller dans les villages avec sa famille , 
comme cela se fait aujourd'hui, attendu les 
grands abus qui en résultent, les dégâts qu'ils 
font dans les champs , les cultures et les ver- 
gers des naturels, les pertes que ces officiers, 
leurs domestiques et leurs nègres occasionnent 
aux Indiens ; car ils ne leur permettent pas 
de vendre leurs produits à qui ils veulent et 
au prix qu'ils veulent. Indépendamment du 
mauvais exemple qu'ils leur donnent et des 
troubles qu'ils apportent dans l'exercice de 
leur religion en les occupant à travailler 
pour eux , les encomenderos s'emparent des 
vivres , du maïs et du fourrage des naturels , 
sans rien payer pour eux, pour leurs domes- 
tiques ou pour leurs chevaux, et leur vendent 
du vin et d'autres superfluités. On ne peut les 
en empêcher qu'en leur défendant d'aller chez 
les Indiens. Enfin on ignore tous les torts 



\ 



358 RAPPORT SUR LES CHEFS 

dont: ils se rendent coupables envers les natu- 
rels , et on ne peut y remédier ni compenser 
les dommages qu'ils leur causent^ parce que les 
Indiens n'osent se plaindre, et que les enccH 
menderos, qui prétendent que ceux-ci leur ap- 
partiennent , qu'ils sont leur propriété, les 
menacent et disent qu'ils les en feront repen- 
tir eux et le juge; ce qui arrive en efiet. 

Enfin le seul remède à tous ces maux , c'est 
de leur défendre sous des peines graVes, ain- 
si qu'à leurs gens y d'aller dans les villages 
et d'y résider , excepté pour percevoir les im-* 
pots à l'époque des payements. 

Comment les Indieoi doivent acquitter les contrîbiitioiif^ 

Pour remplir les désirs de Votre Majesté , 
respecter les usages de ces peuples relatifs aux 
impôts 9 détruire les abus de la perception ac- 
tuelle , et empêcher les vexations dont les In- 
diens sont victimes , il faut que les impôts se 
payent en nature suivant les productions des 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 359 

villages, car le pays est riche et abonde en 
produits nécessaires à la nourriture des habi- 
tants. Pour cela, il faut désigner une certaine 
étendue de terrain que les naturels culti- 
veront. On divisera ce territoire en deux par- 
ties , dont une sera cultivée une année , et 
l'autre la suivante. On leur fournira les se- 
mences pour une année, et si on ne les livre 
pas à temps , l'encomendero en sera respon- 
sable. Les naturels devront labourer la terre , 
l'ensemencer, et Farroser dans les endroits où 
il y a des canaux d'irrigation. Us seront te- 
nus de cueillir les fruits, de les nettoyer et de 
les rentrer dans une maison du chef-lieu qui 
sera désignée par l'encomendero. Les récol- 
tes y seront conservées à ses risques et périls. 
Il devra lui être défendu de s'emparer pour 
cela d'aucune maison appartenant à des In- 
diens, sans leur payer de loyer. Il devra louer 
à ses frais un bâtiment ou une partie de la 
maison commune. 
Suivant la nature du sol , on cultivera du 



360 RAPPORT SUR LES CHEFS 

mais^ du chian^ des haricots ou de Taxi. Tous 
ces produits se vendent bien; on en aura 
abondamment. On désignera la quantité de 
terrains appropriée à chaque nature de se- 
mences. L'encomendero pourra envoyer quel*- 
qu'un ou venir lui-même inspecter les se- 
mailles et les récoltes. Il ne devra pas exiger 
des Indiens des quantités certaines^ mais seu- 
lement les fruits de ces terrains tels que les 
années bonnes ou mauvaises les auront pro- 
duits. Enfin les contribuables ne seront ja- 
mais tenus de payer au delà des récoltes det^ 
terres afifectées à l'impôt. 



Avantages qui résultent de Tapplication de terrain» 
au payement de l'impôt. 



Si les naturels contribuent en produits du 
sol comme autrefois, les répartitions et les 
autres opérations deviennent inutiles à l'égard 
des laboureurs, puisqu'ils ne sont tenus de 
livrer que les récoltes, qu'elles soient faibles 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 361 

OU fortes. Ce système convient très-bien aux 
Indiens, qui travaillent tous ensemble, vieil- 
lards, jeunes gens, enfants et femmes, sans 
que cela leur soit pénible. Ils n'auraient d*ail- 
leurs que deux ou trois journées à faire pour 
chaque façon. On éviterait les vexations qu'oc- 
casionne aujourd'hui la perception des contri- 
butions ; on n'aurait plus dé prétexte pour 
accuser les chefs de voler le peuple; tout le 
pays serait pourvu de vivres, deviendrait 
florissant; Votre Majesté, les commandeurs, 
les Indiens, les Espagnols y gagneraient; le 
prix des denrées diminuerait. La manière d'a- 
gir des encomenderos qui perçoivent pour 
leur compte, est très-préjudiciable aux In- 
diens; ils les forcent de porter les contribu- 
tions sur leur dos et les chargent à l'excès. 
Sous prétexte de la perception , lorsqu'ils veu- 
lent les vexer, ils vont résider dans les villa- 
ges , se font livrer sans payer les vivres et 
tout ce qu'ils veulent. Ces abus cesseraient, 
parce que les officiers dé Votre Majesté et les 



362 RAPPORT SUR LES CHEFS 

encomenderos seraient occupés à surveiller 
les cultures et chercheraient à augmenter les 
contributions qu'on leur paye. 

Résultats de la perception en numéraire. 

L'usage actuel de faire payer les impôts en 
numéraire est cause que la rareté des vivres 
se fait déjà sentir dans toute la Nouyelle-Es- 
pagne , parce que chacun s'adonne au trafic 
et au commerce. Le froment, le mais, et les 
autres produits que cultivaient les Indiens , 
sont à des prix exorbitants, et tous les ans 
les récoltes diminuent, ce qui est une grande 
calamité pour le pays. Les encomenderos 
seuls ont de quoi vivre, parce qu'outre le 
numéraire ils reçoivent du maïs et vendent 
au prix qu'ils veulent ce dont ils n'ont paa 
besoin. 

On n'exigera pat de froment des Indiens. 

Il ne convient pas d'ordonner aux Indiens. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 363 

de semer du froment; cette culture est très- 
pénible pour eux, parce qu'ils n'y connaissent 
rien , n'ont pas de charrues et sont obligés de 
payer les Espagnols pour le semer et le récol- 
ter, ce qui leur est très-préjudiciable. Au con- 
traire, ils cultivent très-facilement le maïs, 
parce qu'ils y sont habitués: d'un autre côté, 
il y a beaucoup d'habitations appartenant à 
des Espagnols où l'on récolte une grande 
quantité de froment. 

L'encomendero devra indiquer les jours où 
il sera présent, lui ou son représentant, pour 
voir faire les semailles, les moissons, et ren- 
trer les récoltes. On leur défendra de dépasser 
le nombre de jours qui aura été fixé, et on les 
forcera de payer les vivres qu'ils demande- 
ront aux Indiens , qui ne devront jamais les 
leur fournir gratuitement. 



Cullures pour les communes. 



On ordonnera aux Indiens de cultiver d'au- 



364 RAPPORT SUR LES CHEFS 

V 

très champs en commun^ ou milpctSy dont on 
leur désignera l'étendue , afin de pourvoir aux 
dépenses publiques qui ne manquent jamais 
de survenir. Ils devront rentrer dans la mai- 
son commune les produits qui seront enre- 
gistrés dans le livre dont nous avons parlé. 
Ces produits serviront à payer le gouverneur, 
les alealdes, les régidors, les alguazils, les 
majordomes ^ les autres employés de la 
communauté^ les frais qui résultent de Ten-o 
tretien des écoles , des couvents et des ^lises. 
On fixera la quantité destinée à chacune de 
ces dépenses, et l'on inscrira dans le livre 
cette quantité, le jour du payement, et à qui 
il a été fait. Chaque année qu tous les deux 
ans, on enverra à l'audience un état de ces 
comptes signé par le prêtre ou le religieux 
qui en aura été chargé , car ce ne seront pas 
des officiers de justice qui auront cette com-^ 
mission, attendu les frais que cela occasiou^ 
nerait. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 36S 



Culture commune pour les chefs. 



Pour faire droit aux chefs et aux caciques 
sans vexer les Indiens , on ordonnera d'é- 
tablir une troisième culture dont on fixera 
le territoire et la nature des semences. Les 
Indiens la cultiveront, et lorsque les pro- 
duits auront été rentrés, on les livrera aux 
seigneurs. Les naturels devront, de plus, ac- 
quitter les prestations personnelles en travail- 
lant chez eux, et leur fournir Teau, le bois, 
et le fourrage quand ils auront des chevaux 
ou des mules. Ces corvées se feront à tour de 
rôle j on leur fournira la nourriture ou on les 
payera suivant les usages établis avant la con- 
quête. On aura soin d'allouer aux chefs dés 
revenus suffisants pour qu'ils puissent vivre 
dans l'aisance ; la religion , la justice et la 
bonne administration du pays le réclament. 
On exigera que les Indiens respectent les 
chefs et leur obéissent. 



366 RAPPORT SUR LES CHEFS 



On pourra imposer en numéraire les Indiens qui récoltent 

du coton ou du cacao. 



Les villages qui cultiveraient du cacao, du 
coton ou des fruits, pourront acquitter les 
impots en numéraire ; il en est de même des 
marchands, des artisans, et des Indiens qui 
demeurent à quinze ou vingt lieues des villes 
habitées par les Espagnols, ou à pareille dis- 
tance des mines et des routes fréquentées. 
Comme ces Indiens sont plus riches que les 
autres, on pourrait élever leurs impositions 
jusqu'à six réaux pour les gens mariés , et trois 
pour les veufs et les célibataires sui juris; 
mais ils ne seront pas tenus de travailler aux 
cultures destinées aux encomenderos , ni de 
contribuer aux frais de la communauté , ou 
aux impôts payables aux seigneurs, puisqu'ils 
acquitteront ces charges par la contribution 
que je propose. Cet impôt ne sera pas réparti 
par tête. Après s'être assuré de la population. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 367 

on en fixera le montant^ en en laissant la 
répartition à la charge du gouverneur , qui 
devra la faire dans les formes que nous avons 
proposées. 

Sur les prestations en étoffes. 

Il ne faut pas ordonner que les Indiens 
payent les contributions en étoffes^ quand 
même ils en fabriquent. Ce système est très- 
vexatoirej les pauvres et les femmes occupés 
à ce travail souffrent considérablement, et 
beaucoup de mères avortent à cause des 
fatigues excessives qu'il leur cause; ce qui 
n'arrive pas quand ils travaillent pour eux, 
parce qu'ils y mettent tout le temps néces- 
saire et ne s'y occupent que quand cela leur 
fait plaisir. Lorsqu'au contraire c'est pour 
payer les impôts, il faut qu'ils travaillent à 
des heures fixes. On leur impose une certaine 
mesure et la qualité de l'étofiFe. Gomme une 

pièce d'étoffe surpasse le montant des impoh 



ÎJ68 RAPPORT SUR LES CHEFS 

(le chacun , et que les percepteurs la Font fa- 
briquer à plusieurs, il est impossible que ce 
travail se fasse également; les uns en font 
plus, les autres moins, suivant qu'ils sont 
pressés par ceux qui les surveillent. Plusieurs 
personnes disent avec raison qu'on man- 
quera d'étofifes si les Indiens n'en fournissent 
pas à titre de contribution ; mais ne vaut-il 
pas mieux manquer d'étoffes que de voir dé- 
truire la population ? D'ailleurs on n'en man- 
que jamais dans les pays où on les fabrique 
habituellement, car, outre que les naturels 
en font suffisamment pour eux, ils en fa- 
briquent encore pour être exportées dans 
les pays qui n'en font pas. Beaucoup de mar- 
chands espagnols et indiens s'occupent de ce 
commerce. 

En fixant le montant de l'impôt, qu'il soit 
payable en argent ou en nature, on prendi^ 
en considération ce que les Indiens doivent 
payer à leurs chefs et pour les dîmes dont on 
parlera à la fin du paragraphe xvi. Par con- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 369 

séquent il ne faut pas Taugmenter , ce qui fe- 
rait un tort extrême aux Indiens , puisque, 
ainsi qu'on l'a exposé, ils ne peuvent pas 
payer les impositions actuelles, attendu leur 
excessive misère; il est même absolument né- 
cessaire de les diminuer de beaucoup. Enfin , 
un Indien ne peut payer au delà de ce qjiie j'ai 
proposé. L'impôt, quel qu'il soit, sera divisé 
en dix portions , dont une s'appliquera aux 
dîmes, afin que les Indiens ne les considè- 
rent pas comme une charge nouvelle , sui - 
vant les désirs de Votre Majesté. Les neuf 
restantes seront partagées en deux, l'une 
pour l'encomendero et l'autre pour les chefs 
naturels, ce qui n'empêchera pas les Indiens 
de cultiver les champs appartenant à leurs 
chefs, attendu l'antiquité de cette pratique, 
qu'ils sont nombreux dans chaque village ou 
chef-lieu , et que la moitié qui doit revenir 
aux seigneurs sur les neuf parties est fort peu 
de chose. Cette contribution n'empêchera donc 

pas les Indiens de faire ces corvées, qui sont 
11. 24 



370 rXpport sur les chefs 

dues aux seigneurs en vertu de coutumes fort 
anciennes. Si les encomenderos prétendaient 

r 

qu'on leur retranche une partie de ce qui leur 
revient pour le donner aux chefs et aux caci- 
ques , ceux-ci pourraient répondre avec plus 
de raison que c'est à eux que Ton prend les re- 
venus pour les donner aux encomenderos. 
Néanmoins, il faut qu'il en soit ainsi, pui&^ 
qu'on a besoin d'eux dans les provinces; on 
pourrait cependant se passer d'un aussi grand 
nombre pour conserver le pays. D'ailleurs, 
ce qu'ils perçoivent est un présent gracieux , 
une faveur que leur fait Votre Majesté; il est 
donc de leur devoir de s'en contenter. Ce 
n'est pas à eux de choisir et de fixer ce qu'on 
doit leur donner; et puisque Votre Majesté 
veut bien les honorer de ses grâces , ils doi- 
vent les recevoir telles qu'elles sont. Ils au- 
raient au surplus l'avantage de percevoir les 
contributions franches des dîmes, puisqu'elles 
seraient déjà prélevées sur la totalité de l'im- 
pôt. Ils sont affranchis pareillement du salaire 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 371 

qu'ils devaient payer aux curés , de l'obliga- 
tion de fournir les ornements pour les églises, 
et surtout des charges graves qui pesaient sur 
leur conscience. 11 ne faut pas leur accorder 
ce qu'ils demandent; ce serait les aider à com- 
mettre leurs excès, à soutenir leur luxe, à 
pourvoir à leurs dépenses folles de -toilette, 
de frais de maison et de table ; mais seulement 
ce qui suffit à un honnête entretien; et s'ils 
veulent davantage, qu'ils travaillent et qu'ils 
le gagnent, comme on fait en Espagne. Tous , 
au surplus , possèdent un grand nombre d'ha- 
bitations et de fermes, sont fort riches, et 
le seraient bien plus encore s'ils modéraient 
leurs dépenses excessives. 

Voici donc comment nous proposons de ré- 
gler les impôts : il en résultera moins d'in- 
convénients pour les Indiens ; on leur évitera 
les vexations, les mauvais traitements, les 
vols qu'on commet à leur détriment, les oc- 
casions qui existent aujourd'hui de se livrer 
à ces excès, et celles qu'auraient les encomen- 



372 RAPPORT SUR LES CHEFS 

deros s'ils étaient chargés de percevoir les 
dîmes. 



Des excès ont été commis en faisant la répartition des Indiens 

entre les encomenderos. 



Dans plusieurs provinces, la répartition 
des Indiens entre les encomenderos a été 
irrégulière : comme Votre Majesté ordonne 
d'y remédier et de donner l'excédant aux 
conquérants qui n'auraient pas d'Indiens^ 
afin de leur procurer une honnête aisance ^ 
il plaira à Votre Majesté de recommander 
que ces ordres soient exécutés; mais il est né- 
cessaire qu'elle déclare jusqu'à quelle somme 
doivent s'élever les revenus de chaque en- 
comendero, afin d'éviter les retards qui ont 
eu lieu jusqu'aujourd'hui dans l'exécution 
de ces dispositions. Je crois qu'il convient 
que Votre Majesté n'assigne pas à chaque 

ê 

ciicomendero plus de trois mille ducats. Il 
est nécessaire d'avoir égard à la qualité et au 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 373 

mérite personnel , et de donner même moins 
s'il est possible. Cette somme suffit pour vivre 
très-honorablement, d'autant plus que tous 
ont des fermes, des terres et des rentes. Par 
ce moyen, on aura suffisamment de monde 
pour assurer la tranquillité du pays , d'autant 
plus qu'il y en a beaucoup qui possèdent 
des mines, d'autres revenus , de très^rands 
biens , et qu'ils sont arrivés pauvres dans le 
pays , la plupart après la conquête et la colo- 
nisation. Quant aux Espagnols qui n'ont pas de 
fortune, il est nécessaire de donner des ordres 
pour qu'ils se créent des moyens d'existence, 
et s'ils ne le font pas, de les rappeler en Espa- 
gne; car ce sont eux qui, pour la plupart, 
sont cause des troubles et des insurrections 
qui ont lieu dans ce pays-là. 11 faut défeit- 
dre aussi que personne ne s'y rende; car il 
y a trop d'Espagnols, et, loin d'en envoyer 
(le nouveaux , il est nécessaire d'en faire 
revenir. 



374 RAPPORT SUR LES CHEFS 



Redevances en poules et en miel. 

Comme les dîmes et led revenus des chefs 
sont compris dans l'impôt que j'ai proposa de 
prélever, si Ton pensait qu'il est nécessaire 
que les Indiens payent davantage, Votre Ma- 
jesté voudra bien ordonner que chaque vil- 
lage fournisse une certaine quantité de pdules 
d'Espagne et de poules du pays , non pas à 
raison de tant par tète d'Indien , mais un nom- 
bre fixe par village en raison de la popula- 
tion j de sorte, toutefois, que chaque per^ 
sonne mariée ne donne pas plus d'une poule 
du pays, et les veufs et les célibataires une 
poule d'Espagne, qui coûte la moitié moins. 
Dans les pays où l'on récolte du miel , ils don- 
neront une certaine quantité de calebasses 
pleines de miel pour remplacer les poules, en 
ayant égard au prix des calebasses de miel , 
afin que chaque homme marié n'ait pas à payer 
la valeur de plus de deux réaux de miel, et les 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 375 

veufs OU les célibataires la moitié moins^ puis- 
qu'ils doivent déjà acquitter les contributions 
en produits du sol, si ma proposition est 
adoptée, ou bien en argent, malgré les in- 
convénients que nous avons signalés. Il ne 
faut pas non plus que cet impôt soit fixé 
par tête ; on devra charger le chef ou le gou- 
verneur* d'en faire la répartition. Tous de- 
vront apporter ces redevances à la maison 
commune du chef-lieu , où on les distribuera 
aux personnes qui y ont droit, et le surplus 
restera pour la communautés 



Il est nécessaire de faire en sorte que les communes envoient 

des Indiens pour se louer. 



La bonne administration publique, la ré- 
pression des violences et des vexations dont les 
Indiens sont victimes, exigent qu'on ordonne 
à chaque village d'envoyer toutes les semaines 
un certain nombre d'Indiens aux villes voisi- 
nes habitées par les Espagnols , pour qu'ils se 



37G RAPPORT SUR LES CHEFS 

louent, et d'expédier tous les jours une quan- 
tité fixe de bois et d'herbes , sans néanmoins 
taxer aucun prix ^ ni pour les Indiens ni pour 
les fourrages, afin qu'ils puissent se louer 
librement ou vendre leurs denrées à leur gré. 
Les chefs et les gouverneurs devront être 
chargés de ce soin. Si l'on fait payer les con- 
tributions en nature comme je le propose , 
il sera inutile d'ordonner aux Indiens d'ap- 
porter du mais, car il y en aura en abon- 
dance; c'est d'ailleurs très-préjudiciable aux 
naturels. 



Redevances en poissons et en œufii. 

Il serait convenable pareillement d'ordon- 
ner aux villages voisins des Espagnols d'ap- 
porter des œufs et du poisson les jours mai- 
gres et dans le carême, sans en fixer le prix. 
11 faut qu'il y ait comme aujourd'hui une mai- 
son désignée où ils puissent apporter ces pro- 
visions, pour éviter toutes les vexations qu'on 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 377 

leur fait éprouver. Si, comme c'est l'usage, une 
personne est chargée de les protéger et d'em- 
pêcher qu'on ne leur fasse violence, ce moyen 
évitera les mauvais traitements qu'ils reçoivent 
chaque jour quand on leur fait faire des cor- 
vées et porter malgré eux aux marchés les 
objets dont nous avons parlé, pour les vendre 
à des prix fixés lorsque souvent ils leur coû- 
tent le double chez eux, comme je le prouverai 
plus en détail dans le Traité des ContributioJis, 
Les mesures que je proposé éviteront aux 
Indiens les violences qu'on leur fait et les 
pertes qu'on leur occasionne en les forçant de 
travailler aux ouvrages publics. Il est indis- 
pensable d'établir le chiffre de la population 
et l'importance des villages qui devront four- 
nir des travailleurs, et de leur assigner des 
villes. Il ne faut pas taxer le prix de la journée 
de travail , mais leur laisser la faculté 4^ se 
louer à raison de tant par jour ou par semaine, 
comme cela leur fera plaisir; cette disposition 
est à l'avantage des Espagnols, car tous les 



378 RAPPORT SUR LES CHEFS 

Indiens seront charmés de se louer pour les 
travaux publies^ et ne s'engageront pas à des 
particuliers comme ils le font aujourd'hui lors- 
qu'ils voient qu'on veut les mettre en réqui- 
sition pour les faire travailler suivant là taxe^ 
c'est-À-dire à fort bas prix. Les pauvres et 
d'autres particuliers viennent tous les jours 
pour engager des journaliers qui se louent 
fort cher , et jamais ils n'en manquent. 

Les visites pour la répartition, qui occa- 
sionnent aux Indiens des dépenses excessives, 
deviendront inutiles ; on épargnera aux na- 
turels les mauvais traitements et les d^âts 
que commettent les domestiques, les nègres, 
les mulâtres, les métis, et les chevaux qu'em- 
mènent avec eux les visiteurs, leurs employés 
et leur suite. Le peuple sera affranchi de 
l'obligation de leur fournir des vivres tous les 
jouri, et des contributions qu'ils imposent 
pour payer leurs salaires. On ne les convo- 
quera pas si souvent pour les recenser dans 
les chefs-lieux où on les force de passer plu-- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 379 

sieurs jours après les avoir arrachés à leur 
demeure et leur avoir fait traverser des con- 
ti^ées de températures différentes, tous les 
chefs-lieux étant dans les terres chaudes, sur- 
tout ceux qui sont près de la côte. On les con- 
traint d'abandonner leurs champs et leurs 
affaires pendant tout le temps que durent les 
travaux du recensement. On ne verra plus de 
procès entre les encomenderos et les chefs, 
les allées et venues des naturels pour de- 
mander d'être visités et recensés de nouveau , 
ni tant de discussions entre particuliers, ré- 
sultats des troubles occasionnés par les vi- 
sites et les recensements. On évitera un grand 
nombre de faux serments, et Ton ne verra 
plus cette quantité d'employés inférieurs, qui 
se sont fait nommer pour voler, exciter le 
peuple contre ses chefs naturels. Ces derniers 
seront respectés, obéis et craints, ce qui est 
bien nécessaire pour l'exécution de ce que j'ai 
proposé et pour que les Indiens remplissent 
leurs devoirs de religion, se l'endent au ca- 



380 RAPPORT SUR LES CHEFS 

téchisme, au sermon et à la messe ^ enfin pour 
que tous aient soin de faire leur devoir et de 
travailler à leurs champs comme ils faisaient 
autrefois. Les Espagnols et les Indiens auront 
tout ce qui est nécessaire pour leurs besoins 
sans que les naturels soient vexés comme au- 
jourd'hui, puisque le chef ou gouverneur aura 
soin de ne faire travailler aux champs, que 
les laboureurs. On n'entendra plus parler 
des injustices qu'on leur fait à propos du 
fourrage et des autres objets qu'ils fournis- 
sent. Les chefs seront soulagés, on les retirera 
de leur misère actuelle et de l'abandon où ils 
gémissent» 

Comme on pourrait prétendre toutefois 
(fu'il faut que les Indiens payent non-seule- 
ment en nature, mais encore en argent^ afin 
que le désir de se procurer de quoi acquitter les 
impôts les engage à se louer plus facilement 
et à porter aux marchés les produits qu'ils 
auront à vendre, et que, malgré les inconvé- 
nients signalés, Votre Majesté pourrait croii^ 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE, 381 

que cette objection est sérieuse , elle voudra 
bien dans ce cas ordonner que chaque In- 
dien marié paye deux réaux et le célibataire 
un réal, et que les fruits qu'ils récolteront 
pour les impôts soient diminués d'autant; que 
la taxe soit établie comme je l'ai proposé, 
et qu'indépendamment on cultive toujours 
des champs pour les chefs et la commune. L'ar- 
gçnt de l'impôt devra être versé en deux paye- 
ments semestriels comme les produits du sol. 
Si Votre Majesté désire rendre justice aux In=r 
diens, elle voudra bien recommander les visites 
que les auditeurs doivent faire à tour de rôle, 
encore qu'il n'y ait pas de taxe à établir, en 
raison de l'importance de cette mesure. Ils 
devront contrôler l'administration des gou- 
verneurs et des autres magistrats espagnols 
ou indiens, ce qui est fort important. Cette 
disposition évitera les dépenses qui se font 
lorsqu'on charge d'autres personnes de faire 
des visites, les torts que reçoivent les natu- 
rels, et les dommages que leur causent les Es- 



382 RAPPORT SUR LES CHEFS 

pagnols par rétablissement de leurs fermes, 
les cultures, les troupeaux et une infinité 
d'autres abus que l'on pourra prévenir et 
qui sont iniques, comme je l'ai déjà dit. Il ne 
faut pas se fier à des particuliers , ainsi qu'on 
lefaitaujourd'hui; ils n'ont d'autre but que de 
loucher leurs salaires , et plusieurs raisons les 
empêchent de rendre la justice , quand même 
ils le voudraient. Cet inconvénient n'arrivera 
pas si les auditeurs font les visites, puis- 
qu'il y a lieu de croire qu'ils jouiront de plus 
(le liberté; ils ne permettront pas que leurs 
employés, leurs domestiques et autres per- 
sonnes qui les accompagnent maltraitent les 
Indiens ou prennent quelque chose sans le 
payer . Non - seulement 1 es condamnations 
qu'ils prononceront répareront les domma* 
ges qui auront été commis, mais encore elles 
produiront des amendes au profit de la cham- 
bre de Votre Majesté, qui prescrira la manière 
(le pourvoir aux frais de voyage de ces ma- 
gistrats. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 383 

Votre Majesté leur défendra d'emmener au- 
cun de leurs parents, allié$ ou domestiques, 
en qualité d'alguazil, d'interprète, de notaire 
ni d'employé, quel qu'il soit; de se faire ac- 
compagner par des personnes attachées à d'au- 
tres auditeurs , au procureur fiscal , au vice- 
roi , ou au président. On leur fera constam- 
ment rendre compte de leurs visites, et on exa- 
minera s'ils ont observé les ordres de Votre 
Majesté. Ce contrôle évitera tous les maux et 
les injustices qui ont résulté, jusqu'à présent, 
des visites des auditeurs. Il devra être défendu 
aux auditeurs de se marier dans leur juridic- 
tion, ainsi qu'à leurs fils et à leurs parents. On 
se gardera de leur donner des terres dans le 
pays qu'ils inspectent, pour prévenir les in- 
justices qui se commettent envers les Indiens, 
chez lesquels ils n'auront plus l'envie d'aller, 
leurs visites ne leur étant pas profitables. 

Ce que je viens de dire a rapport à une 
partie du paragraphe xv que j'ai réunie au 
seizième; je répondrai à ce qu'il contient de 



384 RAPPORT SUR LES CHEFS 

plus après avoir traité les autres paragraphes, 
qui demandent à l'être en particulier. 



PARAGRAPHE XVII. 



« Si les avis étaient partagés sur ce qui vient 
» d'être dit, il faudrait les envoyer tous 
» avec les objections de chaque personne qui 
» aura exposé sa manière de voir. Gomme 
» cette affaire est très-importante et que la 
» conscience de Sa Majesté y est engagée, 
» je vous recommande d'apporter tout le soin 
» possible dans vos recherches et dans vos 
» réponses , de sorte que toute chose soit bien 
» exposée, bien éclaircie , et que l'on puisse 
» prendre à cet égard les dispositions les plus 
» convenables. Aussitôt le travail terminé, 
» vous l'expédierez parles premiers vaisseaux 
» qui se rendront en Espagne, avec tout le 
» soin possible. 

» Valladolid, le 2.H «lôccmbrc i55S. »> 



DE LA NOUVELLE-ESPAGME. 385 



RÉPONSE. 

Ce que Ton a dit en répondant au paragra- 
phe XV, sur le soin que l'on doit prendre 
pour les enquêtes, doit servir de réponse à 
celui-ci. J'ai exposé pourquoi j'avais tarde 
jusqu'à présent à donner mon avis. 



PARAGRAPHE XVIII. 

<( Informez-vous pareillement des contribu- 
tions que les Indiens payaient avant leur 
conversion pour le soleil, pour ses tem- 
ples ou Cous et les sanctuaires, et s'il y 
avait des propriétés et des revenus appli- 
qués aux idoles. Vous enverrez un rapport 
détaillé sur tous ces sujets. 

» Date ut suprày 
» le Prince; 
» Par ordre de Sa Majesté, 

» Juan de Samano. » 
11. 25 



386 RAPPORT SUR LES CHEFS 



RÉPONSE. 



Tezcuco, quinze autres villes principales et 
leurs annexes fort nombreuses et très-peu- 
plées étaient appliquées à ce service. Les ha- 
bitants devaient faire les corvées pour les 
temples et fournir le bois pour le feu qui bril- 
lait sans cesse. Frère Thoribio Motolinia en 
parle dans son ouvrage sur la Nouvelle-Es- 
pagne, et il indique le hiéroglyphe qui dis- 
tinguait chaque village. On pourra donc en 
connaître les noms par son livre : tous fai- 
saient partie du territoire de Tezcuco. Votre 
Majesté a ordonné que cette ville, les annexçs 
et les territoires qui en dépendent feraient 
partie de ses domaines ainsi qu il appert de 
la seconde instruction adressée par Votre Ma- 
jesté à l'audience de Mexico, en date de Ma- 
drid le 5 avril 1 528. Cette disposition n'a pas été 
mise à exécution, parce que ces vil les, qui sont 
fort riches et très-importantes aijjsi que d'au- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 387 

très de la même classe, avaient été données 

9 

a divers habitants de Mexico pour qu'ils eu 
fussent les encoraenderos. 

Les autres villes qui étaient affectées au ser- 
vice des temples de Mexico et d'autres capi- 
tales ne sont pas parvenues à ma connais- 
sance ; il est certain, cependant, qa'elles étaient 
en grand nombre, très-puissantes et très-peu- 
plées. 

Outre ces villes, il y avait un nombre con- 
sidérable d'excellentes terres appliquées au 
culte. On les a pareillement partagées entre 
les Espagnols; elles avaient été données aux 
temples par des chefs et d'autres particuliers. 
Autrefois on les aflFertnait; ou bien des na- 
turels les cultivaient par dévotion; on y fai- 
sait aussi travailler les enfants des capitaineries 
instituées pour l'éducation de la jeunesse; nous 
avons dit que les fils des principaux chefs ser- 
vaient dans les temples. Ces terres produisaient 

4. 

beaucoup de mais, de haricots, de l'axi, du 
rhiaii et d'autres graines que les Indiens cul- 



388 RAPPORT SUR LES CHEFS 

tivent pour leur nourriture; les récoltes étaient 
emmagasinées clans des greniers ou dans des 
bâtiments du temple disposés à cet effet. On 
les en retirait pour les fêtes pour faire face 
aux dépenses du culte ou pour l'entretien des 
prêtres qui étaient fort nombreux. Les of- 
frandes étaient très-considérables; les chefs 
donnaient volontairement une partie de leurs 
rentes que Ton joignait aux autres revenus 
du temple. 

Ceci complète la réponse à tous les para- 
graphes de l'ordonnance de Votre Majesté. Il 
reste à traiter la première partie du para- 
graphe xvi où il est question des dîmes. 
Nous commencerons par exposer quelles 
étaientles règles suivies par les habitants delà 
vallée de Matlatzinco qui comprenait Toluca et 
Malinalco , dont il a été question au com- 
mencement de ce rapport ; on parlera en- 
suite de la province de Utlatlan qui est très- 
étendue , fort importante , qui confine avec 
le Guatemala , et dont les chefs-lieux fort 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 389 

considérables sont partagés entre des enco- 
mcnderos. 



Système du gouvernement de Matlatzinco. 



Avant la guerre que Axayacatzîn, père de 
Moctezuma, fit aux habitants de Matlatzinco, 
ces Indiens avaient trois chefs, un suprême, 
un second au-dessous de lui et un troisième 
moins puissant que les deux premiers. A la 
mort du plus puissant, qui jouissait du titre 
de Tlatuarij il était remplacé par le second 
qu'on nommait Tlacuxcalcalcy auquel succé- 
dait le troisième qui portait le titre de Tlacu- 
tecatle. A ce dernier succédait un fils ou un 
frère du premier chef; on choisissait le plus 
digne et le plus capable : de sorte qu'un fils 
ne succédait pas immédiatement à son père et 
qu'il devait passer par tous les grades de l'au- 
torité. Lorsque la famille du tîhef des deux 
degrés supérieurs était tout à fait éteinte, 
on élisait un chef pour remplir la troisième 



390 RAPPORT SUR LES CHEFS 

dignité, et Ton avait toujours soin de nommer 
une personne capable. 

Ces chefs avaient des villes, ou des quartiers 
particuliers que l'on nommait Calpulis. Les In- 
diens payaient les impôts aux chefs qu'ils 
avaient reconnus , et ils avaient dans chaque 
village ou calpuli un officier remplissant les 
fonctions de gouverneMr perpétuel. A sa mort 
le peuple nommait le fils, le frère ou le pa- 
rent le plus proche du décédé, en choisissant 
le plus habile, et Ton soumettait sa confirma- 
tion au souverain qui , si l'élection avait été 
faite dans les règles, l'approuvait et la faisait 
connaître aux deux autres ; dans le cas con- 
traire il ordonnait de la recommencer. 

Les villages ou calpulis acquittaient les im- 
pôts envers leurs chefs en travaillant exacte- 
ment à des terres, sans rétribution. Les ré- 
coltes de maïs, de haricots et de bauhtUques ( i ), 
produits de cette vallée, se rentraient dans les 

(i) Molina {P^ocahoiario mejricano) traduit ce mot par bUdos^ 
c'est-à-dire des blettes. ( Note de V éditeur. ) 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 391 

greniers , et Ton en fournissait la maison du 
chef. Lorsque les intendants ou Tequitlatos 
venaient chez leurs souverains , ils se faisaient 
accompagner d'une suite nombreuse de no- 
bles. Ce chef les recevait fort bien et leur fai- 
sait donner des vivres, un logement, et, pour 
les servir pendant tout le temps qu'ils restaient 
chez lui des esclaves qu'on choisissait par- 
mi ceux du chef qui étaient fort nombreux. 
Ils avaient toujours en réserve une grande 
quantité de mais pour les années de disette. 
Les Indiens qui ont fourni ces informations 
ont dit que de leur temps ils avaient vu qua- 
tre années de famine pendant lesquelles les 
chefs, loin d'exiger aucun impôt de leurs vas- 
seaux, avaient ordonné qu'on leur distri- 
buât du mais et des haricots de leurs gre- 
niers où il y en avait en abondance j et qu'ils 
traitaient si bien leurs -sujets, que ceux-ci 
les appelaient tpujours du nom de père, de 
frère ou de fils suivant leur âge. Ces souve- 
rains prenaient le plus grand soin d'augmen- 



392 RAPPOKT SUR LES CHEFS 

ter la population, et chacun cherchait à mi^x 
se conduire que son prédécesseur; car si quel- 
qu'un d'eux exerçait un pouvoir tyrannique , 
la loi autorisait à le déposer et on en élisait un 
autre à sa place. Les auteurs de ce rapportent 
dit qu'ils en avaient vu déposer un parce qu'il 
gouvernait mal et qu'il tyrannisait ses sujets. 
Les impôts ne s'acquittaient envers les souve- 
rains ou les chefs inférieurs qui les repré- 
sentaient dans les villages, que par le travail 
des champs. Bien que les trois chefs eussent 
des villages et des quartiers désignés pour 
y exercer leur juridiction , s'il s'élevait une 
discussion un peu importante , le second chef 
ou le troisième décidait la question; mais si 
l'affaire était grave, on la communiquait au 
premier, et tous trois prononçaient. 

Les macehuales de ces villages cultivaient 
la terre, chacun en particulier, dans l'endroit 
qui leur convenait davantage par la position 
ou la nature du sol ; ils y semaient ce qu'ils 
^ oulaient pu ce qu'ils pouvaient. Si le chef du 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 393 

calpuli tombait malade^ il priait les autres 
habitants de faire dans ses terres les travaux 
nécessaires; et jamais on ne le refusait. 

Quand le souverain devait célébrer une fête, 
les chefs inférieurs priaient les Indiens qu'ils 
avaient sous leurs ordres d'aller à la chasse 
des cerfs, des lapins et d'autres animaux sau- 
vages dont ils se nourrissent, pour les offrir 
au souverain, sans rétribution: libre à lui 
de leur donner ce qu'il voulait, et ils s'en con- 
tentaient, que ce fût peu ou beaucoup. 

Les trois souverains avaient dans chaque 
calpuli des terres particulières que des labou- 
reurs affermaient sans y être forcés , car ils 
pouvaient, s'ils le préféraient, travailler à 
celles des particuliers, en suivant les règles 
que nous avons exposées en parlant des cal- 
pulis. Pour les revenus , ils s'entendaient avec 
les gouverneurs dont ils dépendaient; c'étaient 
ordinairement quelques poules dont la valeur 
était alors peu considérable : dans ce cas, 
ces Indiens étaient exemptés de travailler 



39A RAPPORT SUR LES CHÇFS 

aux champs destinés à payer les impôts. 
Lorsqu'Axayacatzin eut conquis ce pays, il 
(ît tuer le second et le troisième chef qui 
avaient manqué de soumission dans plusieurs 
circonstances, et il s'empara de leurs vassaux 
et de leurs terres. Comme le premier, qui 
se nommait Ghimaltecutli, et qui portait le 
titre de Tlatobani en raison de sa dignité su- 
prême, s'était montré très-soumis, il lui con- 
serva son autorité et ses terres. Cependant 
ses sujets ayant voulu se révolter parce qu'il 
les oppressait trop pour servir et contenter le 
roi de Mexico, ce prince marcha une seconde 
fois contre eux, leui* fit la guerre et les vain- 
quit. Plusieurs quittèrent leur pays , entre 
autres les habitants de Ginacantepec, qui émi- 
grèrent dans le Mechoacan , près d'une ville 
appelée aujourd'hui Tlaulan. Voilà comme ces 
Indiens furent soumis au souverain de Mexico 
qui s'empara de toutes les terres des fugitifs 
et les afferma à divers particuliers qui lui 
payaient un tribut. En outre, tous les na- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 395 

turels de Maitlatzinco qui restèrent établirent 
des cultures en commun pour le vainqueur ; 
ces terrains avaient huit cents barres de long 
et quatre cents de large. 

Les produits des terres cultivées en com- 
mun par les habitants de Matlatzinco, avant 
la ruine de cet État, étaient emmagasinés dans 
les greniers j on les employait aux frais de la 
guerre et pour les besoins publics; ils ne pou- 
vaient avoir d'autre destination ; si un chef 
voulait en disposer, on s'y opposait comme à 
Mexico. 

Axayacatzin étant mort, fut remplacé par 
Titzutzicatzin qui gouverna comme son pré- 
décesseur. Son frère , nommé Avitzutzin , lui 
succéda et régna de même. A sa mort il fut 
remplacé par un fils dç son frère aîné; c'est 
celui qui se nommaitMoctezumaet qui gouver- 
nait quand les Espagnols vinrent dans cepays. 
Il faisait grand cas des guerriers qui se distin- 
guaient, les aimait, les honorait beaucoup, 
et leur accordait souvent des récompenses. 



396 RAPPORT SUR LES CHEFS 

Avant que les Mexicains n'eussent subjugué 
les habitants de Matlatzinco, toutes les terres 
étaient municipales (coAzze^//e^ (sic) ) et com- 
munes. Celui à qui un bon territoire était échu 
en partage le cultivait à perpétuité, lui et ses 
héritiers; s'il était mauvais, il en choisissait 
un autre parmi ceux qui étaient vacants dans 
son calpuli, car on ne pouvait dépouiller ceux 
qui en possédaient. On respectait les terres 
qui depuis longtemps étaient affectées aux sei- 
gneurs; elles étaient excellentes; ils les fai- 
saient cultiver ou les aflFermaient, mais ils ne 
pouvaient les aliéner, car elles faisaient partie 
du domaine ."c'étaient comme des majorats in- 
stitués en faveur des chefs. 

Après la conquête, les Espagnols divisèrent 
entre pux les villes et les territoires. Le mar- 
quis prit pour lui Toluca, et il ordonna aux 
habitants de payer les continbutions en mais, 
ce qu'ils firent la première année. Ils deman- 
dèrent ensuite de cultiver un territoire dont 
les produits lui seraient destinés; il le leur ac- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 397 

corda et reçut les récoltes pendant fort long- 
temps; déplus, il exigea des contribuables qu'ils 

travailleraient à la construction des maisons 
qu'il faisait bâtir à Mexico. Plus tard,il demanda 
des esclaves pour les mines de Tletiztlac. Les 
chefs et les principaux lui livrèrent tous les 
Indiens qu'ils possédaient en toute propriété, 
hommes et femmes. Le marquis les emmena 
tous en deux différentes fois , après les avoir 
fait marquer d'un fer rouge au visage. Il leur 
fit ensuite porter aux mines le mais prove- 
nant des récoltes des territoires que l'on cul- 
tivait pour lui, ainsi que de la volaille, des 
œufs et des vivres pour les esclaves et les mi- 
neurs. Quand on eut fait la découverte des 
mines de Tlasco Itzultepec, il demanda, pour 
en extraire l'argent, soixante Indiens à per- 
pétuité qu'il employa pendant quinze ans; ils 
travaillaient alternativement pendant vingt 
jours de suite, ce qui en fit mourir beaucoup; 
d'autres prirent la fuite. Ces Indiens tombè- 
rent malades par suite des mauvais traite- 



398 RAPPORT SUR LES CHEFS 

nients dont les mineurs les accablaient : ils 
étaient forcés d'emporter des vivres de chez 
çux , parce qu'on ne leur donnait", pour 
soixante hommes , que deux fanègues de maïs 
par semaine. Des Indiens ont prétendu qu'ils 
avaient encore la taxe entre leurs mains. Ces 
corvées étaient indépendantes delà culture du 
vaste territoire voisin de la ville. Plus tard , 
sous l'administration du vice-roi don Antoine 
de Mendoza, on les imposa en argent ; chaque 
Indien fut taxé à huit réaux, indépendamment 
de la culture en commun. On fit par la suite 
une nouvelle taxe qui ne s'éleva qu'à quatre 
réaux, plus la culture. 

Les personnes qui ont fait ces dépositions 
d'après les ordres du, vice-roi don Antonio de 
Mendoza, ont déclaré qu'un juge indien, na- 
tif de Tula, nommé Pablo-Gonzales, avait fait 
un partage des milpas entre les naturels, et 
qu'il avait donné à chacun un territoire de 
cent barres de long sur vingt de large. La 
barre, qui est la mesure des Indiens, équi- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 399 

vaut à deux brasses; il leur en accorda la pro- 
priété, à la charge de payer deux réaux par 
an au profit de la communauté. 

Dans les vallées de Matlatzinco, de Yztla- 
huaca et de Toluca qui confinent, tout le ter- 
rain est extrêmement fertile : on y récolte 
une quantité considérable de maïs, mais qui 
serait plus grande encore sans le nombre im- 
mense de gros bétail qu'on y élevé et qui oc- 
casionne de très -grands dégâts dans les 
champs des Indiens et dans leurs tunales (i), 
dont les fruits sont fort abondants, délicieux et 
d'une grande consommation pour fes Indiens 
et les Espagnols qui en tirent de gros bénéfices. 
La multitude des troupeaux qui ne sont pas 
gardés est cause que les Indiens ne peuvent 
éviter les dégâts, bien qu'il y en ait constam- 
ment un grand nombre occupé à la garde des 
champs, ce qui produit de graves inconvé- 
nients; le premier est l'emploi de tant de 

(i) Champs plantés de tunas o\i ficus indien. 

( Note de V éditeur.) 



400 RAPPORT SUR LES CHKFS 

monde qui perdent le temps qu'ils donneraient 
à la culture et aux autres travaux; le se- 
cond c'est que le bétail dévore, foule aux pieds 
et détruit les récoltes. 

Pour prévenir ces inconvénients, on a fait 
construire aux Indiens une clôture qui devait 
empêcher les dégâts des troupeaux ; mais cette 
mesure n'a produit qu'un faible résultat, 
comme l'ont prouvé des Espagnols, proprié- 
taires de troupeaux, qui refusèrent de payer 
leur quote-part de ce travail. Tous les jours 
quelques portes tombaient, ou on les renver- 
sait exprès pour que les animaux allassent 
manger les récoltes. Les ouvriers qui y tra- 
vaillèrent ne furent payés que fort long- 
temps après et à la suite de procès , parce qu'on 
n'avait pas fait contribuer les propriétaires des 
bestiaux. On avait même négligé de prendre 
note des travailleurs. Pour subvenir aux frais 
de cette clôture, on établit une taxe qui fut 
considérée très -juste comme toutes celles 
que l'on impose aux Indiens, encore qu'elles 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 401 

leur soient constamment préjudiciables, de 
sorte que la clôture fut payée à leurs frais, 
après y avoir travaillé. La personne chargée 
d'encaisser les fonds y mit de grands retards 
qui lui furent très-avantageux, car elle fit 
bien valoir cet argent, sous le prétexte d'at- 
tendre que la somme fut complétée pour la 
placer à intérêt, afin d'en appliquer les reve- 
nus à l'entretien de la clôture. Fallait-il donc 
que les Indiens contribuassent à cette dé- 
pense comme les propriétaires des troupeaux? 
Une immense quantité de taureaux font 
comme leurs maîtres, maltraitent les Indiens 
qui n'osent élever la voix quand même ils les 
voient entrer dans leurs champs. Ajoutez à 
cela qu'on a pris aux naturels une vaste éten- 
due de terrain pour les pâturages. Les Espa-^ 
gnols frappent les gardiens indiens et leur vo- 
lent une grande quantité de tunas et d'autres 
fruits. Les Indiens de ce pays, se trouvant sur 
la route la plus fréquentée, souff^rent aussi 

beaucoup du passage des bestiaux qui se ren- 
11. 26 



402 RAPPORT SUR LES CHEFS 

dent à Mexico, Tous ces inconvénients, ex- 
cepté celui de la clôture, ont lieu aussi àPeta- 
pan , qui est une ville importante appartenant 
à Votre Majesté , et située dans le Guatemala. 
Les dommages que causent les troupeaux aux 
champs et aux plantations de cacaotiers (caca-- 
huatales) des environs, sont très-considéra- 
bles. J'ai vu qu'il en était de même à Vente- 
petc, lorsque je fis ma visite dans le territoire 
de Chiapa. Les habitants vinrent se plaindre 
de cet abus : ils me dirent que les troupeaux 
de leurs encomenderos dévoraient leurs ré- 
coltes et celles des champs dont le produit est 
destiné à acquitter les impôts. II en est de 
même dans toutes les autres villes. Je l'ai con- 
staté à Sainte-Marthe et à Car thagène , lorsque 
je suis arrivé dans ces deux villes. Il y avait 
peu de troupeaux, ainsi que dans le royaume 
de la Nouvelle-Grenade, à l'époque où j'y ré- 
sidais; mais depuis mon départ on en élève 
beaucoup. Il en résultera les mêmes inconvé- 
nients que dans les autres contrées. Je l'ai re- 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE, 403 

marqué dans le gi^nd nombre de provinces 
que j'ai visitées, etc'estgénéral dans toutes les 
Indes. Je fis éloigner les troupeaux de quel- 
ques villes , mais on les ramena aussitôt mon 
départ. Je ne citei^i que les encomendcros de 
Munuytenango et de Tecpan-Quilco. Dans 
d'autres villages, il me fut impossible de le 
foire, attendu leur grand nombre. Les dégâts 
sont irréparables; quelquefois, à la vérité, on 
feit payer des dommages, si les Indiens se plai- 
gnent; mais ce remède est insignifiant, car les 
indemnités ne compensent jamais les dégâts; 
les frais seuls dépassent toujours les répara- 
tions que l'on adjuge. J'ai acquis la certitude 
qu'il valait mieux épargner les dépenses à 
ceux qui avaient déjà é{M*ouvé des pertes, que 
de condamner les propriétaires des troupeaux 
à des amendes, ce qui n'a jamais lieu qu'à la 
suite d'une longue procédure et de nombreux 
désagréments. Souvent même les Indiens finis- 
sent par perdre leur procès; et les dommages 
et les frais sontpour leur compte, sanscorop- 



404 RAPPORT SUR LES CHEFS 

ter les chagrins qu'ils ont éprouvés, leurs 
voyages à l'audience et les mauvais traitements 
que cela leur attire. Les avocats, les procu- 
reurs, les greffiers, les solliciteurs, les juges- 
commissaires et les experts sont les seuls qui 
y gagnent. Enfin toutes ces démarches sont 
abusives, et il y aurait beaucoup à dire là-des- 
sus, ce qui nous obligerait de nous étendre 
aussi longuement que sur les autres sujets. 
Il a déjà été assez parlé de ces abus dans la ré- 
ponse au paragraphe xvi, et dans celui rela- 
tif aux impôts. 

Ces vallées contiennent trente-cinq villages 
habités par cinquante mille Indiens répartis 
entre des encomenderos ; c'est de là que 
Mexico tire ordinairement le maïs qui lui 
est nécessaire; d'autres pays en fournissent 
aussi ; j'ai entre mes mains un état de ces 
villages, de la population de chacun et des 
encomenderos. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 405 



Sur le Utlatlan. 

La province de Utlatlan (i), dont il a été déjà 
question , est voisine du Guatemala. Pendant 
que j'y étais auditeur , je la visitai , et aidé par 
un dominicain très-religieux, fort instruit, 
savant prédicateur, fort versé dans la langue 
du pays, qui, aujourd'hui, est évêque, je 
m'assurai par les peintures des naturels que 
l'antiquité de leur nation remonte à huit cents 
ans. J'ai su par des Indiens fort âgés, qu'avant 
la conquête ils obéissaientà trois chefs. Le pre- 
mier avait, au-dessus de son siège, trois dais de 
plumes; le second, deux; etle troisième, un. A 
l'époque 'de mon séjour dans la ville de Utla- 
tlan, qui donne son nom à toute la province, 
j'eus occasion de voir ces chefs; ils étaient aussi 
pauvres que l'Indien le plus misérable de la 

(i) Voyez la note sur le Guatemala que nous avons insérée 
sous le n° vri, dans l'appendice du volume de cette collection 
intitulé : Cruautés horribles des Conquérants du Mexique, etc. 

{Note de l éditeur.). 



406 RA.PPOKT SUK LES CHEFS 

ville; leurs femmes faisaient des galettes de 
maïs pour vivre ^ allaient elles-mêmes cher- 
cher l'eau et le bois pour leur maison, car 
ils n'avaient personne pour les servir. Le 
premier de ces chefs se nommait don Juan 
de Rojas, le second don Juan Cortès, et le 
troisième Domingo; ils étaient dans la der- 
nière misère; ils ont laissé des enfants qui 
sont dans le plus grand dénûment, et qui 
payent les contributions, car aucun Indien 
n'en est affranchi. 

Les lois qui réglaient les successions pres- 
crivaient aux chefs de passer par tous les 
grades pour arriver à la dignité suprême; ce- 
lui qui était élu occupait la troisième dignité, 
dont l'insigne était un seul dais. L'élection se 
faisait par les nobles dans la forme que nous 
avons rapportée pour les souverains de Mexico 
et les chefs de Matlatzinco. On choisissait le 
plus habile des frères ou des fils de l'ancien 
chef; enfin , on suivait les usages de la Nou- 
velle-Espagne. 



DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. 407 

Dans toutes les provinces conquises, il y 
avait des gouverneurs nommés par ces chefs, 
et lorsqu'ils mouraient, leurs fils ou leurs 
frères les remplaçaient, s'ils avaient les ta- 
lents nécessaires. Si ces gouverneurs ne lais- 
saient ni fils, ni frères, on choisissait le plus 
habile de ses parents. C'étaient toujours des 
nobles, la plupart du temps alliés du sou- 
verain ou attachés à sa maison. 

Les deux chefs inférieurs jugeaient les af-^ 
faires courantes ; s'il s'agissait d'appliquer la 
peine de mort ou d'une question importante , 
ils communiquaient l'affaire au premier. 

Les tributs se payaient par la culture de 
champs de maïs ou d'autres semences dont ils 
se nourrissent» Un territoire particulier était 
affecté au gouverneur; tout était cultivé avec 
beaucoup d'ordre; le peuple était gouverné 
avec sagesse et équité. 

Le Utlatlan renfermait beaucoup de cous 
dédiés aux idoles; ils n'étaient remarquables 
ni par leur grandeur ni par leurs richesses ; 



408 RAPPORT SUR LES jCHEFS, ETC. 

j'en ai vu plusieurs, mais tout à fait en rui- 
nes. D'autres villes des environs avaient 
aussi des cous ; les plus considérables étaient 
dans une ville nommée Chiquimula, considé- 
rée par les Indiens de l'Utlatlan comme une 
ville sainte; c'est pourquoi il y en avait un 
si grand nombre. Le chef de Chiquimula, qui 
avait commandé à un nombre considérable 
d'Indiens et de villages, était dans la misère 
à l'époque de mon passage. 

Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet; 
je ne finirais pas si je voulais le traiter en 
détail et parler de ce qui se pratiquait dans 
chaque province. Il suffit d'avoir rendu compte 
à Votre Majesté des usages de la Nouvelle-Es- 
pagne. Le gouvernement et les lois qui réglaient 
les successions différaient peu dans les pro- 
vinces voisines. 



FIN. 



TABLE DES MATIÈRES 



CONTBNUBS 



DANS CE VOLUME. 



Pages. 

Avertissement de l'éditeur ix 

DÉDICACE XI 

Adresse . xv 

Causes qui ont engagé l'auteur k écrire ce rapport, et 

qui Vont empêché de le faire plus tôt i 

Paragraphe ix. . 8 

RÉPONSE 9 

Première QUESTION. — 11 y a trois classes de chefs i&. 

Le même usage existe dans le Utlatlan lo 

GouTernement de la province de Mexico. — Partage 

des conquêtes entre les trois chefs supérieurs. ... 1 1 

Suprématie du souverain de Mexico quant à la guerre. ib. 

Ces souverains possédaient des villes en commun. . . ih. 



41 TABLE 

PagM. 

Ordre de succession le plus général ii 

Droit du sang i^. 

Si le fils aîné était incapable , le père en désignait 

un autre i3 

A défaut de fils, les petits-fils étaient appelés à la suc- 
cession f^. 

Les souverains avaient plus d'égards aux capacités de 

leurs successeurs qu'aux droits du sang 14 

Les collatéraux étaient appelés à la succession à défaut 

des héritiers directs i5 

Gomment l'élection des chefs était confirmée ib. 

Observations des mêmes règles à l'égard de la succes- 
sion des chefs dépendants 1 B 

Mêmes usages dans le Mechoacan 17 

Dans quelques états les frères succédaient de préfé- 
rence aux fils ib. 

L'héritier trop avide du pouvoir était déchu de ses 

droits 18 

On donnait la préférence au plus brave 19 

Cérémonies qui avaient lieu lorsqu'un chef succédait 

ou qu'il était élu so 

Discours du grand-prêtre 11 

Hommage des chefs. — Épreuves auxquelles le souve- 
rain était soumis 11 

Les mêmes usages étaient observés à Tlaxcala et dans 

d'autres villes 28 

Les Indiens sont très-patients • 24 

Épreuves chez les habitants de Tlaxcala s5 

Préparatifs de la fête s6 

Le chef qui ne pouvait venir se faisait représenter. . . 27 
Le successeur venait au temple recevoir le tilre de sou- 
verain. — Présents offerts aux assistants 28 

Les œuvres de piété des Indiens n'étaient pas méri- 
toires 29 

Anecdote sur le chef de Sogomoso 3o 

Coutume de Chia 3i 



DES MATIÈRES- 411 

Page». 

Discours des chefs inférieurs à leur souverain 32 

Réponse du souverain 36 

Discours des dames à la souveraine 3; 

Réponse de la souveraine 4o 

Ou a injustement accusé les Indiens de manquer de 

raison * 4s 

Titres des souverains 43 

Les jeunes gens ne gouvernaient pas 44 

Les Indiens n'étaient pas barbares comme on le dit. . 4^ 

Seconde classe de chefs. — - Leurs titres 4^ 

Sur les noms propres <^. 

Seigneurs à vie 47 

Noms des maisons des chefs 4B 

Privilèges des chefs Hf» 

OiBce des chefs de la seconde classe 49 

Ces charges n'étaient pas héréditaires. i^. 

Troisième classe de chefs 5o 

Les terres appartenaient à tous les membres du cal- 

pulli 5i 

OiMgine des calpullis 62 

Ces terres s'affermaient à des habitants d'un autre cal- 

puUi 53 

Raisons qui engageaient les Indiens à prendre ces terres 

à ferme 54 

Celui qui quittait son caipulli perdait ses terres <&. 

Surveillance des terres du caipulli 55 

Le vieillard le plus âgé ou le chef du caipulli donne des 

terres à celui qui n'en a pas ib. 

On laissait les terres à celui qui les cultivait 56 

Celui qui négligeait ses terres était sommé de les cul- 
tiver ib. 

En donnant ces terres à des Espagnols , on a commis 

des injustices 5^ 

Des chefs des calpullis 60 

Occupations du chef 61 

La conservation des calpullis est trét-importante. ... 63 



41 2 TABLE 

Pages. 

Quatrième classe de chefs 64 

Réponse a la seconde question du paragraphe ix. — Les 
chefs gouvernaient et exerçaient la juridiction civile 
et criminelle 65 

RÉPONSE A LA TROISIÈME question 66 

Terrains désignés à, la culture par le conquérant. . . 67 

Coutume suivie dans les états indépendants 68 

Manière générale de contribuer iB. 

Forme de gouvernement respectée à Tépoque de la 

conquête 69 

Comment s*est introduit Tusage de s'adresser aux chefii 

pour les impôts ^ ib. 

Causes de la déconsidération des chefs 70 

Résultat de la création des charges 71 

Inconvénients qui naissent des voyages que font les 

officiers pour se faire confirmer dans leurs charges. 7 s 
Tout était bien réglé sous le gouvernement des chefs 

indiens 73 

Origine de la discorde qui est née entre les chefs et 

leurs vassaux 74 

Origine et résultat des procès 77 

Un grand nombre de chefs et de sujets sont morts en 

voyage , beaucoup ont été condamnés aux mines. — 

Grande diminution de la population 78 

On n aurait pas dû occasionner les procès 80 

Prétexte des Indiens pour plaider. — Comment ils se 

sont soulevés contre leurs chefs et les ont ruinés. . . 8 a 
Effets de la création des charges de gouverneurs in- 
diens 84 

Raisons qui ont engagé quelques chefs à voler 85 

Parce qu'il y a des chefs qui pillent leurs sujets, ce 

n'est pas une raison pour les accuser tous de ces excès. 86 
Les seigneurs indiens pourvoient à la subsistance de 

leurs vassaux 88 

RÉPONSE A LA QUATRIÈME QUESTION DU PARAGRAPHE IX 9I 



DES MATIÈRES. 413 

Page*. 

Avantage que les Indiens retiraient de ce gouverne- 
ment 91 

La Nouvelle-Espagne avait autrefois trois souverains. — 

L'ordre et la justice régnaient dans leurs états. ... 98 

Amour des souverains de Tezcuco pour la justice.. . . 94 

Tribunaux , procès et divorces 96 

Le nombre des procès et des divorces est augmenté.. . 97 
Opinion des Indiens sur la nouvelle administration de 

la justice . 98 

Ancienne manière de rendre la justice 100 

Tribunal d'appel. loi 

II était défendu aux juges de recevoir des présents. . . ib. 

Officiers chargés d'exécuter les jugements io5 

Juges ordinaires des provinces. 106 

Des lois i-- 
Mode de déclarer la guerre 119 

Mode de payer les tributs 1 20 

Le prisonnier qui prenait la fuite était mis à mort par 

les siens ib. 

Lois sur Tesclavage. — 11 n'y avait pas d'usuriers. . .- . 12 1 

Éducation des enfants ib. 

Epoque où les enfants étaient admis au service des 

temples 12Z 

Education des filles 124 

Habitations des chefs. — Punitions. — Pourquoi elles 

étaient infligées 126 

Occupations des jeunes filles 12G 

Gomment les jeunes filles allaient visiter leur père. . . 127 

Discours du père à ses filles 128 

Education des fils des simples particuliers 129 

Punition des menteurs ". ih. 

Des précepteurs veillaient sur leurs mœurs i3o 

11 était défendu de se marier sans autorisation iSa 

Les enfants des laboureurs étaient autorisés à aider 
leurs pères dans leurs travaux. — On les élevait du- 
rement i33' 



41 4 TABLE 

Page». 

Époque de leur sortie de ia communauté i33 

Discours du chef militaire aux jeunes gens qui quit- 
taient la communauté i34 

Admission des jeunes gens dans la classe des contri- 
buables i^. 

Aris des pères à leurs enfants 1 36 - 

Réponse du fils. . . . ^ i4^ 

Conseils des laboureurs à leurs enfants 146 

Réponse du fils i5o 

Conseils des mères nobles à leurs filles i5i 

Conseils des femmes du peuple à leurs filles i53 

Réponse de la fille 169 

Magnificence de Moctezuma. — Grandeur de Mexico. 
— Choses surprenantes que l'on y voyait. — Travaiiz 

des Indiens i65 

Position de Mexico 169 

Des temples qui existaient autrefois 176 

Anciens palais et édifices 177 

Perception des droits d'entrée 178 

Personnes qui se louent pour trayailler. — Caractère 

des habitants. . 179 

Cérémonies observées lorsque Moctezuma sortait. . . • 180 

Arts que les Indiens ont appris des Espagnols 181 

Connaissances que tous les Indiens possèdent 18s 

Les Indiens ont montré d'excellentes dispositions à em- 
brasser le christianisme 184 

Facilité avec laquelle les Indiens se convertissent. . . . ib. 

Couches des Indiennes 187 

Discours d'un chef indien à ses sujets 189 

Conséquences de ce qui précède 196 

Erreurs des personnes qui traitent les Indiens de bar- 
bares 197 

Des officiers qui ont remplacé les anciens chefs 909 

On n'observe aucune règle dans l'application des 

peines sic 

Sur les alguazils indiens s 1 1 



DES MATIÈRES. 445 

Pages. 

Sur les officiers qui sont chargés d'inspecter la culture. 2 15 
Des officiers chargés de réunir les Indiens pour les pres- 
tations personnelles s 16 

Paragraphe iv s 30 

RÉPONSE , 231 

On comptait quatre classes de contribuables ib. 

Première classe ib. 

Seconde classe 232 

Troisième classe. ,' 223 

Quatrième classe. . 214 

Les magueyes ne pouvaient pas changer de pays. ... 226 

Contribution des magueyes 926 

Le père de famille peut partager comme il entend ses 

terres et ses magueyes 227 

Emploi de l'impôt ib. 

Des Indiens qui sont restés imposables 228 

Terres qui dépendent des seigneuries 229 

Indiens qui n'étaient pas imposables 23o 

Personnes afîranchies des impôts a32 

Paragraphe premier 2S4 

RÉPONSE 935 

Ordre suivi dans la répartition de Timpôt tb. 

Nature des impositions * a36 

Valeur et perception des impôts ■. 339 

Paragraphe II 242 

RÉPONSE 243 

Paragraphe m • 244 

RÉPONSE '4^ 

Paragraphe iv. . . > ib. 

Paragraphe v ib. 

RÉPONSE i 246 



416 TABLE 

Pages. 

Mode de perception 246 

Impositions des marchands et des artisans 247 

Mode de répartition 248 

De la perception et des officiers qui y étaient préposés. . 2 49 
Pourquoi et dans quelles occasions les souverains af- 
franchissaient des impôts 260 

Comment les Indiens acquittaient les prestations per- 
sonnelles ib. 

Paragraphe vi , 261 

RÉPONSE 262 

Des magueyes 253 

Des censitaires ib. 

La capitation était inconnue 264 

11 y avait un domaine public , . ib. 

Paragraphe yii ib. 

RÉPONSE 25eS 

Paragraphe viii 256 

RÉPONSE 257 

Paragraphe ix 260 

Paragraphe x ib. 

Réponse 261 

Comment on a imposé les premières contributions. . . 26s 
Usages observés pour les corvées publiques sous le gou- 
vernement des Indiens 266 

Corvées dans les champs des chefs 268 

De l'ivrognerie 269 

Véritable cause de la dépopulation 270 

Travaux que l'on fait faire aux Indiens 272 

Impots exorbitants 176 

l'amemes , ou Indiens à qui Ton fait porter des far- 
deaux 180 

Des habitations 381